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Rencontre avec Margot Bardinet :« J’aime dessiner l’intime et surtout l’humain »

© Autoportrait de Margot Bardinet

Dans Mes petits vieux, Margot Bardinet réalise une galerie de portraits de ceux chez qui elle a travaillé comme aide à domicile. Première BD futée et touchante qui alterne récits et planches d’imagerie. Rencontre.

Margot Bardinet a toujours fait suivre ses carnets dans lesquelles elle glane des scènes de son quotidien. Elle a étudié l’illustration et la bande dessinée. Elle a aussi une pratique de la BD courte dans lesquelles elle met en scène de petites histoires souvent en lien avec ses proches et ses souvenirs. En 2014, elle réalise une exposition de peinture sur boîtes d’allumettes, « Matchboxes painted », pour la galerie Filter à Berlin. Son autre casquette est celle de médiatrice artistique et d’art-thérapeute pour des groupes. Cette pratique lui tient à cœur et, aujourd’hui, c’est ce qui remplit ses carnets. 

Mes petits vieux est sa première bande dessinée publiée aux éditions Les Enfants rouges. Elle se représente chez ces personnes âgées chez qui elle a travaillé comme aide à domicile entre 2010 et 2014. De l’expérience de ce métier naissent d’abord quelques planches qu’elle distribue sous forme de fanzines avant de devenir le projet d’un livre à part entière. Curieuse mais jamais intrusive, elle raconte et dessine les conditions de ce métier. Elle dépeint également, et avec une grande humanité, le lien tissé et la discussion suivie avec ces êtres au caractère souvent bien trempé dont les corps deviennent douloureux.

© Mes petits vieux de Margot Bardinet – couverture et extrait

Quel livre vous a marqué enfant ?

J’ai une sœur et deux frères et on avait plein de livres. Je n’arrêtais pas de relire Les Trois brigands de Tomi Ungerer et Chien Bleu de Nadja. Je le trouvais magnifique bien qu’angoissant. Il y a quelque chose de très triste chez cette petite fille perdue dans les bois mais Chien Bleu vient la sauver d’une panthère noire. 

Quel a été votre parcours ?

Disparate  ! J’ai toujours aimé dessiner. C’était très important. Petite, j’ai pris des cours de peintures chez une amie de mon grand-père, la peintre Murielle Bourgeois. J’aimais beaucoup aller chez elle. J’étais une enfant qui avait la tête dans la lune mais qui observait beaucoup. Après le bac, je me suis cherchée. J’ai fait une fac d’espagnol pendant un an puis une autre année en fac d’arts plastiques. J’ai ensuite fait l’ESMI, une école d’art à Bordeaux, en section illustration bande dessinée. On avait des profs qui étaient auteurs de BD comme Jean-Baptiste Andréae, Bast, Cécil. J’ai appris dans les cours de scénario à raconter et à mettre en scène des histoires. C’était comme une révélation. Après mon diplôme, je dessinais beaucoup mais je n’étais pas sûre de moi et, il fallait que j’avance dans ma vie. 

À côté, d’autres choses prenaient mon temps. J’ai vécu en squat avec des amis pour essayer d’ouvrir un lieu. J’ai aussi commencé à travailler comme aide à domicile. J’allais chez des personnes âgées, expérience que je raconte dans Mes petits vieux. Je notais et je les dessinais mais c’est longtemps resté dans mes carnets. Puis, j’ai vécu sept ans à Berlin. J’ai commencé à faire cette BD sous forme de fanzines autoédités. J’en vendais quelques-uns dans les librairies là-bas. C’était les prémisses du livre. J’ai fait du babysitting, travaillé comme serveuse à l’ambassade de France et tenu une pâtisserie dans un village au nord de Berlin. Je faisais toujours suivre mes carnets. C’est mon petit trésor.

© Carnets, Margot Bardinet

Quand je suis rentrée, j’ai fait une formation de médiation artistique à l’école de l’INECAT à Paris. J’ai fait des stages d’ateliers d’arts plastiques en psychiatrie ou dans des EHPAD.  Mon mémoire portait sur le fanzine, exercice que j’ai fait faire à des patients en psychiatrie pendant six mois. Je retrouve dans ce métier le sensible, la vulnérabilité et la poésie des humains qui sont en marge. C’est un sujet que j’aimerais beaucoup mettre en scène dans une future BD !

Comment est né le livre Mes petits vieux ? 

J’ai envoyé un dossier à la maison d’édition de quelques pages. Mon éditrice, Nathalie Meulemans, m’a répondu positivement. C’était une grande joie. Je ne m’y attendais pas. Elle m’a proposé d’ajouter de nouvelles choses pour étoffer avec des récits en couleur et des petites pages interludes où je dessine par exemple « La mode chez les vieux » ou « Le papier peint chez les vieux ». 

© Margot Bardinet

Grâce aux carnets, j’ai pu retrouver les anecdotes que j’avais gardées et refaire de nouvelles histoires. Quand on les relit dix ou quinze ans après on revit la scène. C’est un voyage dans le temps. Les choses reviennent de façon assez brute. C’est comme si l’ancienne Margot envoyait un message à la nouvelle Margot.

Vous faîtes des portraits émouvants et singuliers. Une femme fume clope sur clope, un autre attend toujours de prendre l’apéro avec vous, une autre ne veut rien faire du tout. 

Les vieux, je les aime. Ils n’ont plus de filtre et quelque chose de très authentique. Chacun a son petit monde avec sa déco, ses photos, ses souvenirs. Chaque appartement est un petit théâtre. Quand j’étais aide à domicile, je faisais beaucoup de ménage mais il y avait aussi d’autres demandes. J’étais parfois la seule visite qu’ils avaient. On discutait. On se racontait nos vies. Moi, la mienne de jeune un peu perdue. Eux, étaient souvent disposés à se livrer. Il y avait une nécessité à se raconter pour rester humain sinon on est réduit à un corps vieux qui reçoit le médecin. Et puis ce sont des générations de gens qui parfois portent des choses très lourdes. J’aimais beaucoup ces moments. Il y avait beaucoup de poésie, de la tendresse et de mélancolie à la fois. J’aime dessiner l’intime et surtout l’humain.

© Margot Bardinet
La magnifique planche, « Cartes des corps anciens », représente métaphoriquement le corps vieillissant.

Je me suis demandée pourquoi ne pas montrer ces corps-là  ? On les touche ces corps car, on est là, on les manipule, on les aide à s’habiller, à se maquiller, on leur met de la crème. On les voit de près. Je crois que j’étais fascinée. Je voulais en parler alors j’ai noté ce qui me marquait  : les poils, les peaux, les verrues, les pieds qui se tordent. J’adore les cartes. C’est beau. Je trouve que c’était une manière poétique de les retranscrire, comme une balade. 

© Margot Bardinet
Simone de Beauvoir dans le préambule à son livre, La Vieillesse, écrit que la vieillesse est vue comme «  un secret honteux dont il est indécent de parler  », et écrit qu’ « en dehors des ouvrages spécialisés les allusions à la vieillesse sont très rares. Un auteur de bandes dessinées a dû en refaire toute une série parce qu’il avait inclus dans ses personnages un couple de grands- parents : « Rayez les vieux » lui a-t-on ordonné.  »

«  Rayer les vieux  » c’est fort mais c’est ce que l’on fait en ne voulant pas les voir. On est censé avoir honte des rides, des cicatrices, des mains calleuses alors que c’est le signe qu’on a eu une vie. On devrait le montrer beaucoup plus. C’est comme si la société ne voulait pas voir la vieillesse. Le plus choquant ce sont les EHPAD dans lesquels j’ai fait des stages. 

Quels outils avez-vous utilisés ?

Je fais tout à la main. J’encre avec un rotring et je mets en couleurs ensuite à l’aquarelle sur du papier un peu épais. La couleur est le moment qui me fait le plus plaisir. Et, j’ai aussi fait les écritures manuscrites que j’ai dû refaire plusieurs fois. 

Vous faites aussi de la peinture sur boîtes d’allumettes.

J’ai beaucoup aimé faire ça. Les boîtes d’allumettes sont comme des petites toiles. Quand je vends une petite boîte, je dis aux gens qu’ils peuvent absolument utiliser les allumettes pour en faire du feu. J’aime m’entourer d’objets qui comptent et voir les personnes avec leurs objets. C’est beau et symbolique à la fois. 

© Margot Bardinet
Y a-t-il des œuvres qui vous ont marqués dernièrement  ? 

On m’a offert un recueil des photos d’Elliott Erwitt. C’est beau et très intime. J’ai aussi eu pour cadeau le tome 2 de Moi, ce que j’aime c’es les monstres d’Emil Ferris. C’est une plongée dans un monde qui me fascine. J’aime ses dessins, sa manière d’écrire, son monde. C’est puissant. Parfois, on bloque une heure sur une illustration. J’ai beaucoup apprécié la série sur Arte, Samuel d’Émilie Tronche. Elle fait toutes les voix et j’adore la musique qu’elle choisit.

Justement, quelle musique écoutez-vous ?

Pour travailler, j’écoute plutôt de la soul et de la bossa nova, des musiques d’ambiances comme Martin Denny mais aussi Chet Baker. J’aime quand il chante. Il a une voix si envoûtante, qui fait passer beaucoup d’émotions. Je pense aussi  à un album de Luiz Bonfá avec Norma Suely que j’écoutais beaucoup dans les derniers moments des rendus de la BD, car il me relaxait.

L’artiste est à retrouver sur Instagram (@oritagram). 

Mes petits vieux de Margot Bardinet, éditions Les Enfants Rouges, 96p., 13euros.

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