Passé du placard à la célébration, Noam Sinseau se raconte dans son seul en scène « Makoumé Superstar ». À travers ce premier one man show, il y livre son humour et sa joie, mais aussi, un manuel de survie et une vague de tolérance.
Après un cours de voguing avec sa house, nom donné au groupe de danse dans la ball culture, le rendez-vous a été donné au 88 Ménilmontant, cette friche en plein air de la Bellevilloise. Ce martiniquais makoumé (ndlr : insulte attribuée aux hommes homosexuels dans les Caraïbes francophones) n’a pas eu de grandes difficultés à se raconter. Noam Sinseau a décidé de faire de sa vie un livre ouvert, un exemple de lutte pour ceux qui souffrent comme lui de l’homophobie.
Après une rentrée plus que remarquable et plébiscitée sur la péniche de la Nouvelle Seine, il a l’honneur de voir sa résidence prolongée une seconde fois et ce jusqu’au 26 avril 2025. Découvrez celui qui puise sa force dans le renversement des stigmates, comme il aime le dire bien souvent. Rencontre.

« Noam Sinseau » c’est ton vrai prénom, tu n’as pas voulu faire le choix de prendre un nom d’artiste, un nom de scène ?
Non, je suis assez narcissique et égocentrique. Je pense que j’aime bien mettre mon nom partout pour qu’on puisse se rappeler de moi. Je veux qu’il y ait une marque de moi quand je partirai de ce monde. Noam Sinseau, c’est mon histoire, c’est moi. J’avais le nom « Marie Jo » quand j’ai commencé la ballroom, mais je voulais vraiment dissocier le personnage ballroom et la personne « Noam Sinseau » que je suis.
Je cherchais à savoir qui j’étais à travers la danse, je créais un personnage plus extraverti. Le voguing m’a permis d’avoir cet alter ego pour pouvoir me construire. Une fois que j’ai pu, j’ai fusionné les deux et c’est ça qui m’a ramené au stand-up. Du coup, “Noam Sinseau” aujourd’hui, c’est un peu le mélange de Marie Jo et de moi.
Tu es né en Martinique, tu as fait toute ta vie là-bas. Qu’est-ce qui t’a poussé à partir ?
J’ai quitté mon île à mes 18 ans, le jour de mon anniversaire, parce que je voulais partir depuis très tôt. Dès le collège je voulais partir et ma mère le voulait aussi.
Mais pour quelle raison ?
Dans l’esprit des plus âgés en Martinique, il y a ce truc : « partir c’est réussir ». Il y a eu tellement de campagnes de communication, de « développement » où ils ont fait croire que Paris serait l’eldorado. Mes parents croyaient que si tu allais à Paris, même si tu habitais dans une caravane, tu avais réussi ta vie.
Une sorte de rêve américain à la française, version antillaise…
Version colonisation surtout. Et aussi parce que je savais très bien que je n’aurais pas pu trouver ma voie et mon identité complète en tant qu’homosexuel, en tant que queer. Je voulais m’émanciper, et pour ça, il fallait que je parte.
Le voguing, tu en parles dès ta présentation. Quand est-ce que la rencontre se fait ?
J’ai vraiment découvert le voguing à Paris en 2018, soit deux ans après mon arrivée et c’est un ami à moi qui m’en a parlé, qui m’a invité dans sa house, la House of Owens. J’y suis allé, j’ai adoré et j’ai commencé à voguer.
Puis, il y a ce chemin vers le stand-up. Comment s’est faite cette découverte ?
Je pense que j’ai toujours eu cette envie de scène. En Martinique j’étais danseur de majorettes – professionnel sur les bâtons, j’ai aussi fait plusieurs ballets de danses traditionnelles martiniquaises. La scène ça a toujours été un refuge pour moi, parce qu’en Martinique, la seule façon où je pouvais vraiment être à la fois efféminé, extraverti et queer, et tout ça sans avoir honte de qui je suis, c’était sur scène. Sur scène les gens voyaient un spectacle, donc je ne pouvais pas me faire critiquer.
Pour eux tu jouais un rôle ?
Et pour moi, j’étais moi. Le stand-up c’est arrivé par hasard. Je n’ai jamais voulu faire d’humour. J’ai toujours adoré voir les humoristes, j’en regardais beaucoup quand j’étais en Martinique, mais sans jamais penser que j’allais faire du stand-up dans ma vie. C’est une humoriste qui s’appelle Marine Baousson qui m’a contacté lorsque je faisais un podcast à l’époque. J’ai toujours aimé la scène, les paillettes. C’est une façon pour moi de vivre qui je suis, sans la haine du monde.
Ensuite, de propositions en propositions, je me suis dit pourquoi pas et le déclic je l’ai eu avec Tahnee et Mahaut avec le Comédie Love. J’avais à peine quatre dates à mon actif et elles m’ont permis de l’intégrer très tôt.
En quoi le Comédie Love a été important dans ton parcours ?
Ça m’a permis d’avoir une date par mois afin que je puisse m’entraîner, que je puisse vraiment trouver un public queer, féministe et bienveillant. Tahnee et Mahaut m’ont vachement accompagné. Et c’est grâce à tout ça que j’en suis là aujourd’hui.
Petit à petit, Noam Sinseau prend de l’assurance et nous concocte : Makoumé Superstar. Pourquoi avoir voulu la présence du terme « Makoumé » dans ton premier spectacle, quand on sait qu’aux Antilles, c’est une insulte homophobe ?
Oui, ça veut dire pédé. Dans mon premier spectacle, l’idée c’est vraiment qu’on retourne les stigmates. Depuis mon enfance, ma plus grande stratégie c’est de me les réapproprier pour pouvoir faire en sorte qu’on ne m’attaque plus avec. Avec ce spectacle j’ai voulu vraiment me présenter aux gens, dire qui je suis, mais aussi leur donner la plus grande clé que j’ai, pour survivre dans ce monde.
Et puis, ça me représente vachement, en fait. Je me suis beaucoup fait insulter de « makoumé » dans mon enfance et je me suis toujours pris pour une superstar. Il faut que les gens sachent qui je suis dès mon premier spectacle. C’est un : voici qui je suis et après on verra. On parlera d’autres choses s’il le faut. Mais le premier spectacle c’est pour me présenter de la manière la plus brusque.
Tu voulais clarifier dès le départ…
Personne ne se définit comme « makoumé » en Martinique. Je n’aime pas me définir comme pionnier dans quoi que ce soit, parce que « I’m nobody », mais en Martinique, c’est vraiment un élément de torture pour les queers d’être insulté avec ce mot-là.
Moi, mon travail, c’est juste de faire en sorte que les queers en Martinique puissent vivre mieux. Tout ce que je fais, c’est pour ça, pour eux. Être une figure, une représentation pour que les queers en Martinique ne puissent pas vivre ce que j’ai vécu. Donc il faut que je prenne ce mot et que je le casse pour pouvoir en faire quelque chose de beau.
Et comment l’écriture de ce spectacle s’est construite ? Il y a beaucoup de toi, beaucoup d’anecdotes. Combien de temps ça t’a pris pour l’écrire ?
Alors, en vrai, un an. J’ai commencé à me poser dessus en avril 2023. J’avais commencé avec le Bad Bitch peu avant pour tester plein de choses.
Pourquoi à ce moment-là, il y avait un déclic en particulier dans ta vie ?
Ça faisait deux ans que je faisais du stand-up et je me disais qu’il fallait que je passe à quelque chose de plus concret. J’en avais marre de faire des petites scènes et j’ai compris que le stand-up, c’est un truc que j’adore faire. J’aime faire des blagues et quand je fais des petits plateaux, c’est pas complètement moi. Je ne me vois pas juste aller sur scène, avoir un micro, parler et puis partir. Moi je veux donner aux gens toute une expérience, avec une scénographie, avec une régie, du son, des lumières ; un full spectacle parce que c’est là où les gens verront qui je suis réellement.
Je veux faire des blagues, danser, faire de la poésie, montrer aux gens la globalité de qui je suis.
Dans le spectacle j’ai d’abord fait ce que j’ai vécu en Martinique et ensuite ce que j’ai vécu à Paris. Le placard et ensuite Paris.
Et justement, tu disais que ce spectacle, tu l’as fait pour que les queers de Martinique ne revivent plus ce que tu as vécu.
Oui. En fait, j’ai vécu des choses horribles quand j’étais en Martinique : de ma famille, de l’école. Je me suis fait agresser sexuellement. Et ce n’est même pas l’agression sexuelle qui est le plus grave. C’est le fait d’avoir cru que c’était de ma faute parce que j’étais gay. Je n’ai rien dit pendant deux ans parce que j’étais persuadé que si je disais, je devrais faire mon coming out. Si je disais, on allait m’accuser d’avoir cherché quelque chose.
Et par ailleurs, le spectacle s’appelle Makoumé Superstar, tu assumes ton vrai nom, comment a réagi ta famille ?
Ma famille n’a plus le choix. En arrivant à Paris, j’ai vraiment fait une page blanche sur ma vie en Martinique, à tel point que j’ai oublié des trucs de ma vie. J’avais l’impression d’être une personne complètement nouvelle. Aujourd’hui j’ai fait un travail pour pouvoir essayer de retrouver les souvenirs d’avant. J’ai très peu de souvenirs de mon enfance, et j’ai désormais de plus en plus de flashs de choses qui se sont passées.
Pourquoi as-tu peu de souvenirs ? Tu n’as pas eu une enfance heureuse ?
J’ai cru que c’était une enfance heureuse, mais je me suis rendu compte que j’avais protégé mon esprit. Mon esprit avait en quelque sorte adouci des événements. Je me suis par exemple une fois fait pisser dessus par des mecs dans les vestiaires du collège et à l’époque je n’avais pas vécu ça comme une agression. Pour pouvoir me protéger j’avais pris ça à la rigolade. Et c’est via un flash que j’ai eu l’occasion de me rappeler la violence de ce qui s’était vraiment passé. Il y a plein de trucs comme ça qui me reviennent et qui me font me dire qu’en fait, juste pour me protéger, j’ai préféré oublier tout ça. Je mentais aux gens en disant que j’étais hétérosexuel.
Mais on t’agressait pourquoi alors ?
Parce que j’étais efféminé. Je disais que j’étais hétéro mais tout le monde savait que j’étais gay. En Martinique, c’est une homophobie qui tient juste au fait que tu sois silencieux. Tu peux être gay si tu veux, mais en parler, c’est ça le problème. Juste ferme ta bouche. T’es gay, ok, ferme ta bouche.
Pas le droit à l’existence.
Pas le droit d’existence, pas le droit de représentation, pas le droit de bousculer le système déjà mis en place.
C’est quoi le système mis en place ?
Un système homophobe, un endroit qui est vachement gouverné par la religion chrétienne. Les gens ont beaucoup de mœurs chrétiennes qui disent que l’homosexualité c’est pas bien. Alors qu’en fait, that’s bullshit. L’homophobie a été ramenée par les colons, comme la Bible. Et je dirai pas plus de choses sur ça. J’en parle dans le spectacle (rires).
On parlait de ta famille et il y a quand même une personne essentielle qui est ta mère.
Ma maman.
Tu en parles beaucoup. Elle a un rôle assez important dans ta vie.
Oui ma maman m’a beaucoup accompagné.
Elle connaissait ton homosexualité ?
Oui, elle savait. Elle savait parce que je me rappelle, elle avait trouvé des photos de moi en train d’embrasser un garçon.
Elle a réagi comment quand elle l’a su ?
Je ne sais pas.
Tu ne lui as jamais vraiment dit ?
Je ne lui ai jamais vraiment dit. Quand elle est venue en vacances à Paris chez moi un an après mon arrivée, on était dans le RER D et elle m’a juste dit que que si les gens me critiquent parce que je suis homosexuel, elle préfère que je sois homosexuel que voleur. Je n’avais même pas répondu. J’étais en mode : « Nice, on va juste à Corbeil Essonne, pourquoi tu me parles de ça ? »
Mais c’est vrai que ma mère, elle m’a toujours… protégé. Je sais qu’elle a souffert du fait que je sois gay parce qu’elle ne connaît pas forcément. Elle se basait sur les moqueries de la famille. Elle avait intériorisé l’homophobie, parce qu’elle ne connaissait pas, elle ne savait pas, mais elle a toujours fait en sorte de son côté de garder ça pour elle. En fait ma mère pour moi, c’est vraiment l’exemple même de l’amour d’une mère. Ne pas savoir, avoir peur, ne pas être forcément en accord, mais de se dire que c’est son fils malgré tout.
Il y a eu plein d’histoires avec ma famille dont je ne suis même pas au courant. J’ai appris longtemps après parce que ma mère ne m’a pas parlé de ça. Ma mère s’est embrouillée avec les gens, mais elle ne me disait rien parce qu’elle ne voulait pas que je souffre… Elle ne voulait pas que je sois affecté par ça.
Bien évidemment on ne peut pas parler de Noam Sinseau sans revenir sur le voguing qui a quand même sa place aussi dans le spectacle, tu le joues, tu le mets en scène. Qu’est-ce que t’apporte aujourd’hui le voguing ?
Le voguing m’a tout donné en vrai. Quand je me suis mis à Paris, tout le temps je disais que j’étais pédé.
Pourquoi ? C’était une évidence d’assumer clairement que tu étais gay alors que tu ne le faisais pas en Martinique ?
Toute ma vie j’ai voulu le faire, c’est juste que je ne pouvais pas le faire.
Et tu penses qu’à Paris c’était l’endroit pour le revendiquer de manière libre ?
C’était l’endroit où j’avais la possibilité parce que j’étais indépendant. Il n’y avait plus personne qui me connaissait. Les gens que j’ai connus ici, je n’avais rien à craindre d’eux. Je faisais du commerce, j’avais mon appartement, je payais mon loyer avec mon travail. Personne n’avait de pouvoir sur moi. En Martinique, si je faisais mon coming out, je n’avais plus qu’à finir à la rue.
Tu n’avais pas de filet de secours. Tu n’avais pas d’indépendance.
J’étais dépendant de mes parents, j’étais dépendant de plein de gens, j’étais mineur. À Paris je suis majeur. J’ai mon appart, j’ai mon argent, qui va me dire quoi ? Je suis pédé. Oui et alors ?
À Paris, j’avais fait une croix sur mon identité martiniquaise. Je refusais d’être associé à la Martinique. J’avais tellement souffert là-bas, on m’avait tellement fait croire que je ne méritais pas d’être Martiniquais parce que j’étais gay, que j’avais fini par rejeter tout ce qui était lié à ma culture.
Et c’est vrai qu’avec le voguing, j’ai pu ouvrir les yeux sur le fait que je n’étais pas juste gay. Je suis noir, je suis gay, et c’est le fait que je sois noir et gay qui fait ma force. C’est ce mélange qui fait de moi un makoumé. Avec le voguing, j’ai trouvé des gens qui sont queers et racisés avec qui je partage des vécus, avec qui on n’a pas besoin d’expliquer mille fois ce qu’on a vécu, parce qu’on le sait avec juste un mot. En un regard, on sait.
Avec le voguing, j’ai envie de monter sur scène et de jouer un rôle. Le but c’est quand même le spectacle, la compétition et tout est basé sur la confiance. Il faut te dire que t’es une bad bitch quand t’es sur le floor. Si t’as des doutes, tu ne vas pas gagner.
Tu peux être timide si tu veux dans ta vraie vie, mais le voguing c’est pas la vraie vie. Le voguing, la ballroom scene, c’est : « you’re a bad bitch, no matter what ». Tu peux être moche, tu peux être laide, aujourd’hui je m’en fous, aujourd’hui je serai belle.
Ça t’a donné une force de continuer.
Ça m’a donné la force de me réintéresser à mon identité dans sa plus grande pluralité.
Être makoumé, c’est une personne à l’intersection de plusieurs choses. C’est une personne qui est à l’intersection d’une identité raciale minoritaire et d’une identité sexuelle minoritaire.
Déjà j’ai dit au début du spectacle que ce n’est pas un spectacle, c’est une célébration. C’est plus qu’un spectacle, c’est une pride. C’est une sorte de pride où les gens vont apprendre des choses. Les gens vont rire, vont passer un bon moment et vont souffler.
Tous les matins je me réveille et je me dis je suis une superstar. Ça me donne la force tous les matins, c’est ce que je veux faire avec le spectacle. Aujourd’hui vous allez rire, mais ce spectacle va vous accompagner dans votre vie. Vous pouvez puiser dans ce que j’ai dit, pouvoir vous dire que vous avez de la force, des matières pour vous relever.
Si vous voulez des stratégies de survie, quand vous ne savez pas quoi faire face au harcèlement, je donne des clés et faites-en ce que vous voulez avec.
Makoumé Superstar (la prolongation), c’est tous les vendredis et samedi à 19h30 jusqu’au 26 avril 2025 à la Nouvelle Seine. Accédez à la billeterie en cliquant-ici.