À la UneARTThéâtre

« Sans faire de bruit » : le son du silence

Sans faire de bruit est un seul en scène inclassable, à mi-chemin entre le documentaire et l’enquête intime.

Il explore l’onde de choc d’un drame au sein d’une famille, inspiré par l’histoire personnelle de Louve Reiniche-Larroche, dont la mère, Brigitte, est devenue sourde de manière brutale à l’automne 2017. 

La pièce se découpe en deux volets distincts. Le premier, teinté de légèreté, s’attache aux réactions des proches de Brigitte face à sa surdité. L’humour et l’imitation y servent de soupape, et permettent de désamorcer les peurs et l’anxiété. La seconde partie, plus introspective, est dominée par un silence de plus en plus oppressant. Des bruits mécaniques et des acouphènes envahissent la salle. Sans faire de bruit mime peut à peu avec une précision troublante l’expérience de la perte auditive.

Sans faire de bruit © DR

Le tout se passe dans un petit appartement calfeutré, minutieusement agencé pour servir la narration. Le dispositif scénique cache souvent les visages, sacrifiant les expressions faciales pour mettre en avant la parole et le jeu corporel. Ainsi, les traits et réactions du frère se perdent dans les volutes de la fumée de sa cigarette sur laquelle il tire sans relâche. Plus tard, sa femme, éplorée, porte un masque de mouchoirs, illustrant visuellement la charge émotionnelle de la pièce. Par ce choix de mise en scène, le rationnel s’efface, laisse place au trouble, à l’émotion, et à une parole sacralisée. 

La théâtralité de l’absence auditive

Le son, pivot central de ce spectacle,  guide à la fois l’écriture et la mise en scène. La trame narrarive repose sur des enregistrements sonores, qui deviennent la matière première du récit. Les personnages naissent et évoluent au gré des intonations, des silences, de rires étouffés et de larmes retenues. Processus qui transforme chaque émotion et mouvement en une rythmique particulière. La comédienne, en synchronisation labiale parfaite, prête son corps aux voix enregistrées, devenant ainsi le médium de multiples personnages. Par ce procédé, elle met en avant la théâtralité de l’absence auditive, rendant le spectateur plus sensible à la valeur du son et à son potentiel d’évocation.

Sans faire de bruit © Fred Mauviel

Une Louve Reiniche-Larroche caméléonique

Louve Reiniche-Larroche, seule sur scène, propose une performance physique qui témoigne d’un sens aiguisé de l’observation. Elle incarne successivement les membres de sa famille : son grand-père, sa grand-mère, son frère, sa belle-sœur, sa nièce et enfin, sa mère. En rejouant les conversations enregistrées avec une précision millimétrée, mimant les gestes parasites et les tics de langage, elle restitue les émotions et les traits de chacun avec une justesse déconcertante.

A ne pas louper donc, cette oeuvre théâtrale immersive et sensorielle, qui mêle habilement le visuel et le sonore pour raconter une histoire universelle de perte, de résilience et d’humanité.

Sans faire de bruit de de Louve Reiniche-Larroche et Tal Reuveny, du 6 au 15 mars au Théâtre Paris-Villette. Durée : 1h. Tarifs : 9-24€.

You may also like

More in À la Une