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Appropriation culturelle : où est la limite entre partage et vol ?

L’appropriation culturelle domine les débats de société, tant sur les réseaux sociaux que dans la presse conventionnelle. Le sujet est abordé et légitime, mais que renferme vraiment ce terme aux contours parfois très flous ?

Pour commencer simplement, il nous faut d’abord établir une définition unanimement acceptée. L’appropriation culturelle est un emprunt réalisé par un groupe dominant sans respect ni reconnaissance de la provenance de l’élément qu’ils dérobent. Si la définition précédente suffisait à résumer le problème, on en aurait vite fait le tour. Mais ce n’est pas le cas, car l’appropriation culturelle est dépendante d’un facteur émotionnel propre à chaque groupe pillé.

Quésaco ?

Même si ce n’est pas l’avis de tout le monde, à notre sens, la culture se partage, se transmet, et c’est dans ce grand mélange que réside toute sa beauté. Il faut simplement veiller à comprendre l’origine des faits, attitudes, vêtements et rituels que l’on utilise. Le respect disparaît là où la culture censée être mise à l’honneur n’est pas justement honorée. Kiddy Smile, “l’enfant terrible” du voguing, en parle dans des termes simples et avec une décontraction déconcertante, dans son interview avec Mouloud Achour, pour Clique. En effet, le voguing – un style de danse urbaine et mouvement LGBT, né dans les années 70, et réunissant les drags queens afro et latino américaines qui subissaient le racisme de leur propre communauté – a subi de nombreux emprunts, dont la plupart n’ont pas été respectueux. Alors que Mouloud Achour mentionne que le duck walk, très caractéristique du voguing, a été empruntée par Beyoncé, celui-ci réplique : “Il n’y a pas qu’elle. Tout le monde a volé, tout le monde s’est servi. Quand c’est noir et que c’est bon, tout le monde se sert.” C’est à ce moment précis que les choses auraient pu dégénérer. Mais avec beaucoup de simplicité, il ajoute : “Quand tu empruntes à une culture, ce n’est pas gênant du moment où tu redonnes à la communauté.” Ces paroles pourraient elles être la solution à la question de l’appropriation culturelle ? Encore une fois, la question n’est pas si simple.

 

Et internet implosa

Comme souvent, une thématique gagne en audience et en notoriété lorsqu’elle est portée par la très controversée communauté d’activistes qui peuple internet. Il est louable de s’insurger lorsqu’une atteinte manifeste est faite à l’histoire et l’identité d’un groupe, mais il y a des façons appropriées d’agir. Les réseaux sociaux peuvent être le théâtre de prise de conscience, d’ouverture au monde, de création. Mais force est de constater qu’en ce même lieu, le pire est tout aussi susceptible d’arriver. Les allergiques au multiculturalisme déversent leur haine dès qu’on reproche à quelqu’un de pratiquer l’appropriation culturelle, sous couvert d’arguments vaseux comme “l’oubli de mentionner la provenance” ou “l’hommage anonyme”.

Malheureusement, il existe aussi des réactions épidermiques, irritées et irritantes de l’autre côté du débat. En effet, les défenseurs s’emportent parfois, voire souvent, voire très souvent. Il est devenu difficile de démêler le vrai du faux, tant certains voient de l’appropriation culturelle là où il n’y en a absolument pas. Et clamer publiquement que l’on refuse de voir du vol dans une situation donnée place dans une situation des plus délicates ; celle de subir les foudres d’une communauté sur les dents sans savoir comment réagir. La question est légitime et épineuse ; comment répondre calmement à un groupe socio-culturel qui en a assez qu’on le bafoue et qu’on le traîne dans la boue, sans pour autant abandonner ses convictions personnelles et trouver que parfois les revendications vont trop loin ? L’interpellation sur Instagram d’Amandla Stenberg à Kylie Jenner sur le fait qu’elle ne profite pas de sa notoriété et du succès de ses cheveux tressés pour communiquer sur les violences policières ou le racisme envers les noirs américains, est elle justifiée ? Marc Jacobs a-t-il le droit de s’approprier l’invention des bantu knots par le simple fait que lui les appelle des “mini buns” ? Quand des scandales de ce genre frappent, la plupart des utilisateurs des réseaux sociaux tombent des nues, et découvrent une histoire, un passé – souvent douloureux et chargé – derrière des tendances qu’ils adoptaient en toute innocence, sans connaissance de cause, mais sans non plus penser à mal. Alors que la frontière entre le respect d’une culture et son bafouement est ténue, comment agir ?

 

A passé douloureux, avenir incertain

L’appropriation culturelle est intimement liée au phénomène de racisation. Même si ce terme ne renvoie à aucune réalité biologique, il n’en reste pas moins utile pour décrire les agencements sociétaux où un groupe est rabaissé à des traits caractéristiques grossiers censés donner une description exhaustive d’une race. Longtemps subie, la racisation est aujourd’hui devenue une arme de défense et un cri de ralliement. Plutôt que d’être réduits à la condition de noirs ou d’arabes, les racisés revendiquent leur différence, ils en sont fiers, et ils ont raison de l’être. Comme tout mouvement qui se construit, une bande racisée cherche à définir les frontières de son identité pour pouvoir mieux contre-attaquer. C’est ici que l’appropriation culturelle prend tout son sens. Jusqu’où peut-on clamer une propriété absolue sur un élément caractéristique ? Est-ce bien raisonnable de tout associer à une race, vaille que vaille ? La tentation d’avoir la garde exclusive sur un attribut est grande, surtout quand l’histoire du peuple en question est marquée par le pillage, le manque de respect, la disgrâce, l’humiliation coloniale. Cependant, le jeu n’en vaut pas toujours la chandelle, certaines batailles ne valent peut-être pas la peine d’y dépenser autant d’énergie.

Bienveillance, ouverture d’esprit, partage, respect, et une remise en question quotidienne, voilà peut être les éléments dont nous avons besoin pour faire face à cette question, aussi passionnante et complexe soit elle.

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