STYLE

« Il n’y a pas de mode, rien que des vêtements »

Le mois de mars a vu s’achever la Fashion Week à Paris, mais aussi la dernière saison de prêt-à-porter de la marque néerlandaise Viktor & Rolf. En effet, les deux créateurs Vicktor Horsting et Rolf Snoeren, avaient annoncé en février dernier l’arrêt de leur ligne de prêt à porter. Quelques mois, donc, après l’annonce de Jean-Paul Gaultier de faire de même. Retour sur les enjeux actuels de l’industrie de la mode.

En septembre dernier Jean Paul Gaultier annonçait la fin de sa ligne de prêt à porter de sa marque après 38 collections. La nouvelle a fait l’effet d’une bombe dans la sphère de la mode.
Dans une interview accordée au magazine Women’s Wear Daily, le créateur s’explique : les contraintes commerciales et le rythme de plus en plus effréné entre les collections ne lui permettent pas d’avoir la liberté de création dont il a besoin. C’est pour cela qu’il préfère à présent se consacrer à la Haute Couture et à la parfumerie où il s’épanouit davantage.
Pour les créateurs de Vicktor & Rolf, les raisons de leur abandon sont les mêmes : la restriction créative due à la concurrence de plus en plus agressive et aux nombreuses sollicitations commerciales les ont décidés à se recentrer sur leur marque de Haute Couture. Les deux couturiers avaient déjà montré leur frustration dans leur collection de prêt-à-porter pour l’hiver 2008.

Collection hiver 2008 Viktor & Rolf

A model presents a creation by Dutch des

Collection hiver 2008 Viktor & Rolf

Les marques de prêt-à-porter de masse comme H&M, Zara ou encore Mango sortent en effet des collections dans des délais records n’hésitant pas à s’inspirer très fortement des créateurs. Cela a bien sûr eu un impact sur l’industrie de la mode dans sa globalité, et a donné une atmosphère de compétition féroce entre marques de luxe et marques industrielles.
Cela a pour résultat que les Fashion Weeks sont de plus en plus rapprochées (l’hiver 2015 n’est pas fini que nous sommes déjà habillés pour celui de 2016 !), les modes n’ont pas le temps d’incuber et les collections changent peu (l’hiver 2016 sera aussi placé sous le signe du rétro et des années 1960). Sans parler des innombrables collections capsules en préparation.
Selon Jean-Jacques Picard, consultant dans le luxe, ceci n’est donc pas une coïncidence si certains créateurs ne supportant plus la pression, abandonnent le prêt-à-porter.

Le cas le plus flagrant est sûrement celui de John Galliano. En 2007 le prodige tombe dans une grave dépression après la perte de proches, et surtout sous la pression des collections. La suite nous la connaissons : en 2011, sous l’emprise d’alcool et de médicaments il porte des propos racistes et antisémites à la terrasse d’un café. Il est ensuite licencié de la maison Dior, dont il était le directeur artistique depuis 1999, et est poursuivit en justice.
Son ami et couturier de renom, Azzedine Alaïa l’avait alors défendu en dénonçant l’inhumanité de ce système de production. Alaïa est sûrement le mieux placé pour aborder ce sujet. En effet, il appartient comme Jean-Paul Gaultier à la génération de jeunes couturiers ayant apporté un vent de folie dans les années 1980. Maintenant, cela fait presque une vingtaine d’années qu’il ne participe plus aux défilés. Il présente ses collections seulement lorsqu’il les a achevées, et sans contrainte de planning ; et tout cela dans une grande intimité. Son succès est toujours au rendez-vous, et il est considéré comme l’un des couturiers les plus talentueux au monde. Ce statut lui a d’ailleurs permis de critiquer ouvertement Anna Wintour et Karl Lagerfeld, leur reprochant de faire passer le marketing avant la création.

L’industrie de la mode est peut-être arrivée a son paroxysme, et a probablement « creusé sa tombe ». C’est ce que prétend Lidewij Edelkoort, très influente prévisionniste des tendances, dans son manifeste contre cette industrie (ndlr : Anti-Fashion). Dans sa quête de vouloir toujours des nouvelles tendances,  elle n’a pas su capter l’air du temps et est devenue obsolète. Elle n’a pas vu le changement dans la manière de consommer le vêtement : les gens préfèrent s’acheter des pièces de bonne qualité dans lesquelles ils mettent le prix, et qu’ils comptent garder plusieurs saisons ; d’où l’émergence de tendances telles que le normcore.
Si la mode n’est peut être pas morte, une chose est sûre, son industrie doit être repensée.

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