CINÉMA

Ulysse ; Agnès Varda (1982)

Le 24 mai dernier, Agnès Varda recevait la Palme d’honneur au Festival de Cannes. Mais qui est-elle ? Une Mireille Mathieu ayant raté sa couleur ? Femme de Jacques Demy, auteure d’œuvres à petit budget, plutôt simple. Simple, là réside toute sa force. Une photo. Une photo seulement lui suffit pour nous expliquer le cinéma, l’histoire, la vie. Un cours magistral de simplicité.

Une photo. Que dire ? Sur une plage de galets, au premier plan une chèvre gît, immobile, morte. Au second plan un enfant dénudé la regarde. À coté de lui un homme nu est tourné vers l’horizon. Ulysse. La mythologie. On pense à Œdipe et l’énigme du Sphinx. Les trois étapes de la vie. Passé. Présent. Futur. La mère. Le fils. Le père. La vie. La mort. Varda s’amuse de cette analyse psychanalytique car demeure sur le seuil de l’image. Tandis que Varda, elle, explique, déplie et rentre dans la photo pour questionner la vie qu’elle renferme.

Qu’est ce qu’une photo ? C’est de la vie figée dans le temps. Elle va donc retrouver cette vie qui a continué au-delà de cette image. Avec un décalage burlesque, on retrouve l’homme qui a vieilli, dans la même position, nu, protégé par des images pullulant dans le cadre, face à ce jeune homme qu’il ne reconnaît plus. Et cet enfant, qui a grandi, qui a une fille maintenant, elle a l’âge qu’il avait. Il est au centre de l’œuvre, son fondement. À partir de lui Varda va déployer sa réflexion, reconstruire la vie de cet enfant. Sa mère, son père, sa rue, sa joie ; d’autres photos viennent compléter la première, l’enrichir et foisonner.

Sur les branches de la voix-off fleurissent d’autres images pour construire un arbre généalogique. Puis Varda prend son œuvre pour faire des ricochets sur l’imaginaire d’autrui pour construire une histoire, pas celle de celui qui la raconte. Seuls des enfants extérieurs y voient quelque chose. L’œil neuf de l’enfance y décèle quelque chose de « réel ». Or étrangement aucun des protagonistes n’a de souvenirs de ce moment figé dans le temps. Comment être sûr de l’existence de cet instant ? C’est pourtant un témoignage de mon passé. Comment peut-il exister en dehors de moi ? Mes souvenirs ne semblent donc pas être la seule chose qui me rattache au passé, l’image aussi, l’imaginaire donc.

Ainsi l’image, par le regard d’autrui, semble évoluer et paraît vivante. Mais l’image peut-elle être considérée comme une source sûre et objective. Et l’image passe de l’objet au sujet, le fond se confond avec la forme. L’image vit. Varda nous balade sur sa photo et cette dernière se balade dans les mains des protagonistes. Dans un enchevêtrement d’images, de surimpressions, Varda crée un montage physique et concret dans le cadre. La photo devient cinéma. Du subjectif on passe à l’objectif. De l’histoire à l’Histoire. En cette journée de 9 Mai 1954 la France fête la victoire de la Seconde Guerre Mondiale et perd Dien Bien Phu, Pham Van Dong contemple un jet d’eau à Genève et Molotov boit un coktail. Les archives ancrent solidement et objectivement dans le réel les faits historiques. Mais qui est le plus réel, qui est dans l’Histoire de Ulysse et De Gaulle ? Y a t-il des acteurs de l’Histoire et des spectateurs ? Peut-on être hors de l’histoire ?

Varda, par la multiplicité d’Ulysse nous raconte une histoire, la nôtre, l’histoire(s) du cinéma.

Film à retrouver sur Mubi.fr

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