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Festival Lumière 2018 – Un après-midi avec Liv Ullmann

Liv Ullmann, figure des films d’Ingmar Bergman, a livré une master class dans le cadre de la dixième édition du festival.

Après une soirée d’ouverture riche en émotions, avec la projection d’Itinéraire d’un enfant gâté de Claude Lelouch, en présence de Jean-Paul Belmondo, le festival a battu son plein ce dimanche avec l’ouverture du traditionnel ballet des masters class. Comme chaque année l’Odéon accueillera durant toute la semaine de nombreuses personnalités mises à l’honneur pendant le festival. Parmi elles, Liv Ullmann, inoubliable actrice du cinéma d’Ingmar Bergman.

Pour beaucoup Liv Ullmann c’est d’abord un visage, celui de l’actrice muette de Persona (1966), celui du couple en crise qui traverse les âges de la vie, de Scènes de la vie conjugale ( 1974) à Sarabande ( 2003), dernier film d’Ingmar Bergman. Et si l’actrice a longuement évoqué sa relation à l’emblématique réalisateur suédois, cette master class a aussi été l’occasion de revenir sur une carrière prolifique qui s’étend du cinéma au théâtre, en passant par l’écriture.  

Les milles vies de Liv Ullmann

Liv Ullmann est tout d’abord revenue sur le début de sa carrière cinématographique peu connue, que la période bergmanienne tend souvent à occulter, puisque c’est en effet son rôle dans Persona qui la révèlera mondialement au public. Après une série de collaborations avec Bergman, Hollywood ouvre ses portes à l’actrice qui est revenue avec humour sur cette période peu fructueuse de sa carrière « J’ai fait quatre films hollywoodiens grâce auxquels j’ai presque réussi à faire fermer deux studios ! ». L’évocation de The Emigrants ( 1973), pour lequel elle fut nommée aux Oscars fut également l’occasion d’évoquer son engagement pour les réfugiés qui l’a mené à effectuer de nombreux voyages humanitaires ces trente dernières années. Et puisque Liv Ullmann est également réalisatrice (son dernier film, Mademoiselle Julie (2014) mettait en scène Jessica Chastaing et Colin Farrel dans un huit clos adapté d’Auguste Strinberg), il fut question de mise en scène et de théâtre, l’occasion pour l’actrice d’évoquer sa direction de Cate Blanchett dans sa mise en scène d’Un Tramway Nommé Désir au Kennedy Center de Washington. Enfin l’évocation de la biographie de la réalisatrice, Devenir , a été l’occasion d’évoquer sa relation avec Ingmar Bergman et la manière dont son cinéma a influencé son travail d’actrice et de réalisatrice.

« Devenir »

«  Être sur un plateau de tournage avec lui c’était comme être avec votre meilleur ami, on blaguait et on riait tellement. » C’est ainsi que Liv Ullmann a tendrement introduit sa relation avec Ingmar Bergman, partageant avec le public de nombreuses anecdotes touchantes au sujet du réalisateur de Persona. Comme cette fois où Bergman, à force de supplications fut autorisé par la réalisatrice à venir sur le tournage de son film Infidèle, le réalisateur s’empressant alors de se cacher avec facétie dans le décor d’une scène de dispute conjugale que Liv Ullmann s’apprêtait à tourner.

La Master Class fut évidemment l’occasion d’évoquer longuement  Persona et  la virtuosité du montage et de la mise en scène de Bergman. Liv Ullmann rappelant alors à la salle studieuse l’anecdote du plan superposé de son visage et de celui de Bibi Andersson : Fasciné par le visage de Liv Ullmann et par la performance du monologue de Bibi Andersson, Bergman ne s’est pas résolu à choisir,  créant ce plan emblématique d’un visage féminin double qui a marqué l’histoire du cinéma. Le miroir éclaté matérialisé par ces deux visages,  représentant le reflet même de l’état de crise dans lequel se trouvait Bergman lors du tournage de Persona.

Persona, Ingmar Bergman

 

A propos de la direction d’acteur de Bergman, Liv Ullmann  est revenue sur le rapport dual de mensonge et de vérité qui sous-tend la mise en scène du réalisateur. Ainsi, évoque-t-elle l’avant tournage d’une scène de La Passion d’Anna (1969) au court de laquelle le personnage qu’elle interprète martèle à son interlocuteur son bonheur conjugal. Liv Ullmann assure à Bergman que son personnage dit la vérité, il lui assure qu’elle ment. C’est alors en plein cœur de la scène, un long gros plan sur son visage, que Liv Ullmann prend progressivement conscience du mensonge de son personnage, la longueur du plan capturant ce moment de révélation intérieur qui traverse le visage de l’actrice.

«  Jouer pour moi c’est laisser les mots faire partie soudain de votre expérience et de celle du scénariste, du réalisateur. Je ne pouvais pas croire qu’elle mentait mais c’est lorsque je l’ai joué que j’ai su. »

Faire entendre sa voix

En marge de son cinéma, Liv Ullmann a également partagé avec les spectateurs de l’Odéon les combats qui animent son engagement depuis déjà de nombreuses années. A propos de la crise migratoire elle est notamment revenue sur sa performance dans The Emigrants de Jan Troell, et sur le sens que prend aujourd’hui ce film, dont les images de la traversé des réfugiés sur la mer ne manqueront pas d’évoquer aux spectateurs les images d’une réalité plus qu’actuelle. Et c’est là précisément que se loge selon elle le pouvoir des acteurs et des actrices, celui de porter la voix de ceux que la société ne médiatise pas, pour empêcher que notre regard sur ces images, souvent vide des voix de ceux.celles qu’elles représentent, ne deviennent un regard d’habitude et de résignation.

The Emigrants, Jan Troell

A la question posée d’une ligne directrice qui unifierai la réalisation de ses films, Liv Ullmann a répondu par l’évocation de son engagement féministe. «  Je suis une femme et tous les films que j’ai adapté de pièces de théâtre évoquent ce thème, pour moi il est important de transmettre la pensée des femmes, et j’y mets beaucoup de moi-même, de ce que je pense «  être une femme » : la peur, la solitude, et le désir d’absolu d’être vues et entendues, qui peut être masculin bien sûr mais que je crois féminin ». Au sujet de Time’s Up, elle a évoqué un problème de société global, qui touche les femmes de tous les continents et dont l’ampleur médiatique fait qu’il n’est plus aujourd’hui question de l’ignorer.

«  Quand on évoque Me Too et le droit des femmes, il faut se rappeler tout le temps que nous sommes partout, il ne faut jamais l’oublier. »

D’ un visage à l’autre

Enfin, pour achever cet après-midi de rencontre, l’actrice s’est prêtée au traditionnel jeu des questions avec le public, offrant à la salle un très émouvant moment d’échange avec l’acteur Javier Bardem, invité d’honneur du Festival, qui se trouvait parmi les spectateurs. Celui-ci s’est ainsi emparé du micro pour confesser un emprunt à Liv Ullmann, dont il cite fréquemment une métaphore en interview lorsqu’il est question de son jeu. Dans l’interview en question, Liv Ullmann disait travailler l’expression de son visage en s’imaginant retirer tous les masques qu’elle porte, ainsi à mesure que la caméra s’approche, les remparts forgés par l’acteur.trice tombent pour parvenir à  un dénuement total lorsque la caméra se trouve au plus près. Cette confidence inattendue donnant à cette dernière l’occasion de conclure cette master class avec la rencontre de ces deux visages qui nous évoque immanquablement la somme immense de son travail d’actrice  :

«  Il y a plusieurs types d’acteurs, certains jouent des personnages, d’autres jouent en studio , et puis il y a les acteurs comme vous. Je n’oublierai jamais votre performance dans Biutiful (2010), ou vous usiez de si peu de chose à part votre visage, et même quand votre visage était expressément sollicité vous restiez ouvert à tout ce qui pouvait en jaillir. Je n’oublierai jamais cette performance et très peu d’acteurs en sont capables. Et ce qui est terrorisant c’est que, plus la caméra s’approche de vous, là où on ne devrait plus voir ce que vous pensez, plus il sort de votre peau, de vos yeux cette intensité. Dans No Country for Old Men ( 2008) lorsque vous vous apprêtez à tuer un homme, je ne l’oublierai jamais. Et c’est comme ça qu’il faut utiliser le gros plan, quand la caméra se rapproche de la personne au point de vous pouvez la sentir.  »

Biutiful, Alejandro González Iñárritu © ARP Selection

 

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