MUSIQUE

Crête inversée ou calvitie volontaire ? – Rencontre avec Jacques

Jacques, c’est la musique des normaux et des bizarres qui dansent et déambulent ensemble. Jacques, c’est aussi le prénom de celui que nous avons rencontré, quelques heures avant son concert dans un hall impersonnel et gigantesque du parc des expositions de l’aéroport de Rennes, pour les Trans Musicales. Sa musique, son travail, tout chez lui est transversal et se présente comme tel, il compose ses sets « en direct » et en public, en jouant tour à tour avec des sonorités travaillées et des bruits impulsifs, se fondant dans un ensemble curieux de techno.

Salut Jacques, alors, comment ça va ?

Eh bien, ça va bien, disons que c’est stressant. Je suis bizarrement stressé par rapport à ce soir, quand j’y pense c’est comme des papillons dans le ventre et après quand je n’y pense plus alors je pense à autre chose, en même temps il y a les scénarios catastrophe, des appréhensions.

Qu’est-ce qui pourrait se passer ce soir ?

Je ne sais pas, des gens pas tolérants, moi qui dit de la merde, des choses un peu vicieuses.

Est-ce que tu dis ça par rapport à ta crête inversée ?

Non, là dessus j’ai totalement confiance. J’ai tellement l’habitude de la porter maintenant, disons que je n’ai aucune partie de mon appréhension liée à ça. Au contraire, je trouve que c’est plutôt une exhibition d’humilité dans le sens où j’ai l’impression de me ridiculiser.

Le programme des Trans Musicales qualifie cette coupe de « calvitie volontaire », tu préfères quel terme ?

Dans crête inversée, il y a un côté « réaction à quelque chose », alors que dans le côté « calvitie volontaire » il y a un côté qui n’est pas de l’ordre de la réaction mais plutôt de l’action, donc je préfère ça, c’est volontaire. La calvitie pour moi elle est symbole de la sagesse, parce que même si on trouve des vieux cons, il y a plus de sages chez les vieux. Quoi que en fait, il y a des gamins et des gamines qui sont hyper sages, c’est incroyable. L’autre fois j’ai vu un mec de treize ans, il a fait un court-métrage sur la condition humaine, c’était énorme.

[su_youtube url=”https://www.youtube.com/watch?v=AAdGGLIxrwM” width=”50%”]

Ton concert de ce soir c’est un concert « en direct », comment ça va se passer, qu’est-ce que ça va changer ?

Ce concert là n’est pas plus « en direct » que d’habitude. Je suis le seul a être écrit « en direct » sur le programme, les autres c’est différent, moi tu arrives, direct, il y a moi. C’est le direct. C’est rigolo car j’aime bien jouer avec les appellations, on dit tout le temps « live », « DJ show », « DJ set ». DJ set c’est quand il n’y a rien, maintenant tu as les DJ show, c’est quand tu as des lumières, de la fumée, c’est tous les mots que tu inventes pour valoriser ton bordel. Je me suis demandé ce qu’était mon concert, ce n’est pas un live car pas d’instruments live ni rien, ce n’est pas non plus un DJ set car je ne passe pas de disques, donc je me suis dit que j’allais faire ma musique en direct. C’est comme si je passais vingt disques en même temps.

Et tu t’y prends comment ?

J’ai prévu des choses à l’avance avec toutes les rythmiques, par dessus j’ai une guitare, ma voix, et tout un tas d’objets. J’ai une plaque en métal, j’ai un loquet, un truc pour serrer les sangles, une gélatine, de l’aluminium, plein de verres.

Est-ce que ton travail est une performance artistique, plus que forcément musicale uniquement ?

Ce soir ce sera forcément plus musical, parce que je me suis vraiment mis la pression dessus. J’ai envie de délivrer quelque chose d’un peu pop, un peu plus accessible, parce que je considère aussi que la performance elle est marrante quand tu peux la voir de visu, ce qui ne sera pas le cas ce soir. Dire que c’est une performance, non, ce serait une promesse qui dépasserait un tout petit peu la réalité, ceci dit en substance il y a un peu de performance, sur une partie du concert je ne sais pas du tout ce que je vais jouer.

En dehors de tes projets musicaux, tu fais d’autres choses, tu as une chaîne YouTube, est-ce que tu peux nous en parler ?

Ah, le centre national de recherche du Vortex, tu connais ? Oui, j’ai un projet en ce moment avec un pote, c’est un projet de recherches à la fois scientifique et spirituel, c’est un projet complètement absurde, mais à côté de ça je découvre de vrais trucs. Le vortex c’est une façon d’appeler la vie, on fait des recherches sur le schéma du vortex qui est une dynamique auto-alimentée, il y a deux énergies qui créent ensemble un vortex. Ce sont des choses qui ne s’arrêtent jamais. Comme je suis assez débridé sur les questions spirituelles je peux en parler autour de moi, et à force d’en parler, de faire des rencontres, je n’ai plus du tout le complexe que j’ai pu avoir avant sur la religion, la spatialité, l’infini. J’ai donc commencé à faire des recherches et dans le cadre de ces recherches nous avons donc percé des perceuses, meulé des meuleuses, lavé des savons, tipexé des tip-ex, pesé des balances, postulé à l’ANPE, envoyé un timbre à la poste. Nous avons fait toutes sortes de choses qui n’ont pour beaucoup de gens aucun sens mais qui pour nous nous permettaient de nous rendre compte de toutes les dispositions que l’on doit prendre avant et après nos actions. Tout cela m’a amené à une réflexion sur l’utilité des objets, et j’ai essayé de calquer le schéma du vortex à tout, donc une imprimante 3D qui imprime une imprimante 3D, un magazine qui parle de magazines, un panneau qui dit « attention au panneau », des choses comme ça. J’ai divisé les formes de vortex, je les ai classifiés et voilà l’objet de nos recherches. C’est pas pareil un vortex créateur, par exemple un stylo qui dessine un stylo, une imprimante qui imprime une imprimante ou un Homme qui fait un enfant. C’est différent de ce que l’on pourrait appeler un vortex « féminin », plus récepteur, qui serait par exemple prendre la température d’un thermomètre, si tu veux faire ça ou exploser un pétard, tu fais déjà ce que fais le pétard. Il y a des choses qui sont des vortex incarnés, certains vortex sont statiques, d’autres sont en mouvement.

[su_youtube url=”https://www.youtube.com/watch?v=rcv1IokfS0A” width=”50%”]

On sent que le spirituel a une place assez importante dans ton travail …

C’est un élément qui se rejoint, dans la vie de tous les jours, avec le scientifique. Dans mon travail de musicien, plutôt que spirituel je dirais qu’il y a un aspect animiste, quand je vais entendre un bruit et je vais me demander quel est le « mojo », le « spirit » qui est derrière ce bruit. L’autre jour, avec un synthétiseur, on faisait des sons, qui donnaient des bruits genre ninja, donc ça c’est un « spirit », et si tu mets des choses comme celles là dans ta chanson c’est pas pareil que si tu mets des sons qui ressemblent à des gouttes. Faire attention à ce à quoi ressemble le son, c’est déjà spirituel, ça ne va pas plus loin le spirituel, c’est juste tout ce qu’il y a autour des choses solides.

Pour arriver à ça tu as eu des expériences ?

Oui, j’ai fait tout ça moi même, comme un grand. Je suis allé essayer tout ce qu’il y a de possible en termes de psychotropes, et après j’ai fait des méditations. J’ai arrêté de prendre des trucs, parce que quand tu te rends compte que la foncedé te fais prendre conscience qu’elle même est absurde, tu ne peux juste plus en prendre. Tu vas en prendre pour arriver dans l’état où tu sais qu’il ne faut plus que tu en prennes. Tu fais la boucle cinq ou six fois et à la fin tu ne veux plus être un tocard donc tu sors de ça et tu vas de pencher sur des choses extrêmes, mais différentes. J’ai essayé de m’intéresser à la pensée juste, le vœu de silence, ou le jeûne, ce que je n’ai pas encore fait mais que j’aimerai bien faire. L’intéressant c’est la maîtrise des pulsions basiques, il y a beaucoup choses que l’on accepte dans notre vie sans en avoir décidé nous-même, comme certains objets. L’autre fois j’étais chez moi et je me suis dit « dans tous ces objets, lesquels me font du bien, lesquels ne me font pas du bien, lesquels me font du mal, lesquels j’ai apporté ici, lesquels j’aime ? », admettons que tu te retrouves avec un vieux journal, la question c’est « mais qu’est-ce que tu fous chez moi ? », qu’est-ce que j’en ai à foutre de t’avoir chez moi ? Juste tu le jettes, car sinon ça t’encombre, dans l’esprit aussi. C’est des métaphores tout ça, ça n’a rien à faire chez toi, faire le tri dans les objets c’est une première étape, après il faut le faire dans les projets. Le pire, c’est quand tu as un projet, il y a un gars qui arrive « ah ouais trop bien » et finalement au fur et à mesure des semaines il te laisse passer une ou deux idées et six mois après tu te dis que le projet n’était pas celui là. Le problème là-dedans c’est l’argent, faire des concessions, moi j’ai décidé de ne plus en faire. Ce qui t’oblige à faire des concessions, c’est des envies de manger ce que tu veux et quand tu veux, d’habiter où tu veux, d’avoir les fringues que tu veux, c’est que des trucs de psychopathes, de névrosés, de bébés. Quand tu t’en branles de ce que tu portes, d’où tu habites, de ce que tu bouffes, tu kiffes tout, t’as plus besoin de faire de concessions.

Internet, ça prend une place importante dans ta vie et dans ta création artistique ?

Oui. Depuis que j’ai sorti ma musique je me suis rendu compte que je deviens accro, tous les soirs je vais voir à combien j’en suis de followers et de vues. J’analyse le kiff que j’ai à faire ça, et le kiff de ça c’est juste de se réjouir que des gens écoutent mon son, c’est tout. Après quand j’y retourne et qu’il n’y a rien, je me dis « t’es un tocard », exprès je ne mets pas les notifications, sinon j’en reçois tout le temps et du coup je les regarde de temps en temps, ça a pris une place, un peu comme la clope. Comme la clope, internet c’est un rendez-vous. Un rendez-vous avec toi-même, enfin pas internet, les réseaux sociaux. Soi-disant c’est un truc social, mais en fait tu es tout seul avec ton désir personnel, mais c’est réversible. Après internet, oui, moi je n’existe que par internet, si demain internet s’éteint moi aussi, mais ça ne me dérange même pas, c’est une réalité. Mon CD existe en vinyle en trois-cent exemplaires, si internet s’éteint, ce qui peut arriver, il n’y a plus que trois-cent mecs qui peuvent écouter mon son. Mais ça ne me dérange pas, c’est la direction du monde, ça me va très bien. J’ai un rapport toujours un peu spécial avec la technologie, c’est un peu difficile de savoir quoi penser. Par exemple Google, tu vois on dirait qu’il y a une erreur de raisonnement quelque part, ils veulent adapter les concepts spirituels mais dans la matière. La réalité augmentée c’est un peu comme la psychométrie, rentrer dans un objet pour en retirer sa substance. Google c’est un peu ta mémoire. Ils parlent d’immortalité, ce qui veut dire descendre l’éternité dans un Homme, ce qui est absurde puisque l’éternité c’est quelque chose de global. Il y a un truc spécial, mais en même temps j’ai du mal à me dire « c’est des enfoirés d’illuminati de merde », il y a des trucs à observer. J’aimerai bien aller voir le mec de Google pour lui demander quel est son délire, où il veut nous emmener et savoir si j’ai envie de le suivre. Google est à l’échelle de l’humanité la capacité que tout le monde a d’aller chercher dans son cerveau. Google c’est un peu comme la grosse bête dans Kirikou, qui pompe à la source, ils grossissent et nous en tant qu’artistes-psycho-philosophes on a des flèches en plume et on ne peut pas lutter. Mais est-ce que seulement on veut lutter ? Quand Kirikou il fait le trou, après il a failli mourir, et d’ailleurs à ce moment là quand il va chercher le tisonnier pour aller trouer la bête il est obligé de le voler, donc de commettre un crime. Pendant un court laps de temps, il passe pour un voleur. Pensez à ça, parce que c’est quelque chose qui va se passer, même si c’est peut-être pas l’époque de dire ça, aujourd’hui des ennemis on en a, nos ennemis aujourd’hui, est-ce que c’est vraiment des ennemis ? Parfois on assiste à des retournements de situation qui sont absurdes, comme dans un film, le connard l’a été pendant un temps parce qu’il voulait juste dire quelque chose qui a tout changé. C’est pour ça que je relativise tout ce qu’on peut me faire bouffer, après je ne veux pas non plus inverser la réalité.

[su_youtube url=”https://www.youtube.com/watch?v=zNgLevAC90c” width=”50%”]


Aller plus loin.

Jacques a réalisé, en 2014, une intervention dans le cadre de TEDxAlsace, il y parle de son parcours, et des différents “Jacque” qui l’animent.

[su_youtube url=”https://www.youtube.com/watch?v=YotyU4QcXuw” width=”50%”]


Propos recueillis par Solène Lautridou et Baptiste Thevelein

Co-fondateur, directeur de la publication de Maze.fr. Président d'Animafac, le réseau national des associations étudiantes. Je n'occupe plus de rôle opérationnel au sein de la rédaction de Maze.fr depuis septembre 2018.

You may also like

More in MUSIQUE