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Rencontre avec BirdPen – “Ce serait inimaginable d’être prisonnier d’un régime qui nous interdirait la libre expression musicale”

À l’occasion de la sortie de leur nouvel album vendredi, BirdPen, bras armés et têtes pensantes d’Archive, nous ont accordé un peu de leur temps. On a parlé musique bien sûr, mais aussi engagement, catégorisation et liberté d’expression.

Cela peut paraitre cliché, mais une aura d’élégance gravite en permanence autour de ces deux anglais qu’on ne présente plus. Dave Pen et Mike Bird, plus connus pour leur rôle prédominant dans la composition du groupe de rock légendaire Archive, ne se contentent pas du succès immense de leur formation principale. Avec BirdPen, ils expérimentent, se testent et nous testent, nous, public. Avec leur nouvel opus There’s Something Wrong With Everything, le duo semble pousser encore plus loin l’aspect scientifique, quasi-fantasmagorique de leur art. Traverser cet album donne l’impression d’être baladé au milieu d’un engrenage. Entre boulons, tourbillons, rouille agressive et tendresse du mouvement oscillant, toutes les sensations y passent. Pour lever le voile sur la provenance de cette inspiration sans limite, la paire British a accepté de répondre à quelques unes de nos questions.

 

Plutôt que de vous faire rentrer dans des cases préconçues, pourriez-vous décrire ce que fait BirdPen ? Comment définiriez-vous votre style ?

Certaines personnes pourraient penser qu’on fait de la musique dingue, mais on ne partage pas cette définition. On fait ce qui nous semble naturel de faire. On peut facilement le décrire si on accepte le terme vague de « musique alternative ». C’est décentré, c’est de la musique de libre-penseur. On n’essaye pas de faire une chose particulière en fait, tout ce qu’on veut c’est tenter des expériences. Ce n’est pas expérimental sans réflexion ou construction, c’est plutôt expressif. Il n’y a aucune limite à ce qu’on entreprend. On fusionne la musique électronique avec des grosses guitares par exemple.

Pensez-vous qu’être enfermé dans un style précis peut-être létal pour un groupe ?

Ca dépend des conjectures ! Si tu fais partie des Rolling Stones, tu fais du Rock & Roll Blues et tu es très heureux de t’en tenir à ça. On ne se soucie pas de ce que le public nous autorise à faire ou pas. Le public est censé écouter un groupe, peut-être remarquer ses évolutions, et progresser avec, ou pas. Faire l’inverse ça serait s’asservir à l’avis de notre public, et ça on ne le fait jamais. Ça ne veut pas dire qu’on se fout de ce que pensent les gens de nous ! Simplement, on fait de la musique pour nous, pour s’exprimer sur ce que l’on ressent.

On a toujours fait du rock progressif. C’est une étiquette assez large qui nous a permis de toujours rester classé dans cette catégorie tout en essayant des choses un peu nouvelles. Parfois du Garage Rock, parfois de l’électro pure, parfois du psychédélique. Au final, ce qu’on fait est très sombre, c’est vrai, mais c’est toujours rythmé sans être morbide.

Vous avez utilisé le terme « progressif », qui exprime une forme d’évolution. Votre musique est-elle en mutation constante ? Pourriez-vous un jour tomber dans un style totalement différent ?

Oui bien sûr, d’ailleurs on bosse sur un album de jazz en ce moment (rire). Non, en réalité on n’irait pas jusqu’au jazz. Notre dernier album, avant Al Mighty Vision était un peu plus électronique que ce qu’on avait fait jusque-là, beaucoup plus basé sur des synthés. Là où notre nouvel album est beaucoup plus basé sur la guitare. Une chose est sûre, on ne fera jamais de Hip Hop, on n’irait pas aussi loin.  

Et insérer un petit peu de rap comme le faisait Linkin Park par exemple ? Ou du heavy metal ?

Pitié non, jamais. C’est inimaginable pour nous d’avoir un couplet de rap. Par contre le Heavy, on s’en est déjà pas mal rapproché au fil de notre carrière, ça ce n’est pas proscrit.

Dans un sens, vous êtes plus proches de Rammstein ou Good Charlotte qu’on peut l’imaginer. Vous utilisez des instruments inédits dans votre style, comme des violons, et des chœurs audacieux.

Ce n’est pas impossible qu’on ajoute des nouvelles choses à notre écriture. En général c’est Mike qui fait les chœurs mais je me suis déjà dit plusieurs fois que certaines chansons sonneraient bien dans la bouche d’une voix féminine. Ça serait chouette d’avoir une collaboration sur les chœurs. En voix principale, dans un vrai duo, ce serait étrange mais pas impossible.

Comment se construit une chanson de BirdPen ? C’est difficile de deviner le processus seul, quand un album contient autant de titres de trois minutes formatés, que d’expériences instrumentales d’un quart d’heure.

90 % de notre écriture se fait à deux. Certaines idées se développent doucement à la maison, comme une petite phrase percutante, ou une base de mélodie. Mais la plus grosse partie se fait en studio, à deux. On écrit en répétition, pendant qu’on enregistre l’album. On se lance et voit ce qui vient sur le moment. On aime cette façon de travailler parce que c’est libre, c’est excitant de se laisser emporter par ce qui apparaît soudainement dans nos têtes. On le plaque directement sur papier ou sur un instrument, sans se laisser dormir dessus une nuit ou deux ou prendre le temps de laisser murir l’idée. On n’a jamais travaillé dans la relecture ou le perfectionnement de la première idée qui nous est venue naturellement. On a toujours fonctionné à l’instant, et ça nous a mené jusqu’ici. C’est un bon système qu’on aime vraiment.

Allez-vous jusqu’à ne pas vous imposer de barrière sur le nombre de chansons ou la durée d’un album ?

Évidemment, il faut avoir certaines limites pour rentrer dans les standards de l’enregistrement. Mais ce ne sont pas des vraies règles que l’on suit, ce sont juste des conventions. On voit comment ça se passe. Si on a dix chansons tant mieux, si on en a douze c’est pareil. Il n’y a pas de deadline spécifique sur la forme que prendra un projet.

Dans votre chanson Like A Mountain, on a l’impression d’entendre des harmonies typiques de la musique médiévale, folklorique. Jusqu’où vont vos sources d’inspiration ?

C’est vraiment le cas. Quand on a fini d’enregistrer cette chanson, je me suis dit qu’elle avait des sonorités un peu païennes. Je suis content que d’autres le remarquent. Mais je ne me suis pas assis en studio en me disant qu’il fallait inclure des harmonies en quarte ou en quinte pour une chanson. Tout dépend du feeling et des pensées que l’on relie à ce qu’on est en train de composer.

En fait j’ai écrit cette chanson parce que j’ai essayé de grimper le Mont Blanc, mais la mélodie, elle, a été influencée par d’autres choses que le simple paysage. J’avais en tête de la littérature, des vieilles histoires, des films marquants aussi. On a écrit des chansons sur des reines de beauté qui finissent barons de la drogue en Colombie, sur le Brexit avant même qu’il ne soit vrai, sur Trump. Nos sujets sont aussi larges que les sonorités qu’on expérimente. La seule chose qui compte à la fin, c’est que ça accroche nos oreilles et que ça nous plaise.

Peut-on dire que BirdPen est à Archive ce que Mr Hyde est au Dr Jekyll ?

C’est une chouette comparaison ! Les deux groupes sont si différents. Parfois BirdPen ressemble à un groupe de rock et parfois Archive se livre à des expériences hors normes. Et ça fonctionne aussi dans l’autre sens. D’après nous, mais ce n’est que notre avis, BirdPen est plus accessible, c’est beaucoup plus facile d’accrocher à la musique qu’on fait avec ce duo. Alors qu’Archive est un peu plus volatile, il faut se faire tirer par la musique, on n’y accède pas aussi simplement. Les deux groupes partagent des caractéristiques, mais l’un est plutôt le monstre tandis que l’autre est plus « présentable ».

Vous aimez dénoncer et vous engager dans vos chansons. On entend des discours politiques, de la défense de l’environnement, des dénonciations de la condition humaine. Pensez-vous que chanter est actuellement le meilleur moyen d’atteindre la conscience des gens, de diffuser des messages activistes ?

C’est sûr, on n’écrit pas des gentils petits textes pop. Mais quel est le meilleur moyen d’entrer dans la conscience des gens au final ? Écouter un groupe et en être fan ça amène à vouloir connaître les inspirations des compositeurs et leurs influences. C’est identique dans d’autres formes d’art. On veut connaître les inspirations des auteurs de nos romans préférés, de nos peintres favoris.

Composer c’est le meilleur moyen, mais aussi le plus amusant de diffuser un message. On a de la chance de savoir et de pouvoir faire ce que l’on fait. On a de la chance de pouvoir s’exprimer par le biais de la musique. Ce serait un désastre d’être interdit de musique pour exprimer ce qu’on a à dire. On se sent particulièrement chanceux quand on voit que dans d’autres pays du monde, des populations accumulent de la frustration car leurs idées et leurs actions sont interdites. Ce serait inimaginable d’être prisonnier d’une régime qui nous interdirait la libre expression musicale. Voilà pourquoi on est reconnaissant d’être libre de pouvoir faire ce qu’on fait, tout en le partageant avec un public qui nous entend et nous comprend.

Si on prend votre chanson Nature Regulate, derrière le message environnemental, il y a aussi un discours d’acceptation de soi et de ses défauts. La musique est-elle une forme de thérapie ?

À 200 % : OUI, la musique est une thérapie, et la meilleure qui soit. Nous sommes nos psychologues respectifs (et nos boulets respectifs en même temps). Ça ne nous intéresse pas d’écrire des chansons qui parlent de marcher sur la plage au coucher du soleil, ça n’a rien de curatif.

Concernant Nature Regulate, ce qui était génial avec cette chanson c’était d’explorer notre intérieur, mais aussi de s’ouvrir à l’extérieur. On a collaboré avec un artiste visuel. La chanson a été incluse dans un projet vidéo, ensuite diffusé dans une galerie d’art en Iran. C’était l’un des moments les plus importants de notre carrière. Tout le travail artistique mis en place pour la vidéo ainsi que le clip lui-même ont été exposé là-bas. C’était d’ailleurs très triste pour nous de réaliser qu’on ne jouerait probablement jamais en Iran alors qu’on a rencontré des fans là-bas pendant le vernissage. On a tellement aimé ce moment de partage artistique qu’on a sollicité le même artiste pour faire la vidéo de Equal Part Hope and Dread. Ce qui est génial lorsqu’on arrive à créer ce sentiment de liberté dans la composition d’une chanson, c’est qu’on ne sait jamais ce qui va arriver, où va déboucher notre idée.

BirdPen – BSF 2018 – Sofia Touhami

Comment est-ce arrivé ? Comment avez-vous rencontré cet artiste ?

C’était en Turquie, à Istanbul. Il m’a raconté qu’il était un artiste visuel et que son partenaire, un bijoutier, avait eu de sérieux soucis en Iran donc qu’ils étaient partis. C’est vite devenu un ami, et on l’est resté jusqu’à ce jour. Grâce à la musique tu peux rencontrer des gens n’importe où ! C’était vraiment chouette de pouvoir rencontrer une personne comme lui, de devenir petit à petit amis puis de commencer à travailler ensemble.

Vous souhaiteriez réaliser d’autres collaborations dans le futur ? Avec des musées par exemple, on imagine totalement BirdPen au Tate Modern !

Oui, ça serait cool ! Si vous avez un contact, on est preneur. Plus sérieusement, les collaborations sont toujours extrêmement intéressantes, en particulier avec des artistes qui ont une grande ouverture d’esprit.

Quelle serait votre collaboration rêvée ?

La mienne serait avec Mike Patton and John Carpenter, le réalisateur.

Qui jouerait dans le clip réalisé par Carpenter ? 

Moi ! Comme Snake Plissken dans New York 1997. La seule raison pour laquelle je fais tout ça est d’arriver à ce but ! J’ai bien envie de me déguiser en monster, en gremlin ou autre chose…

Vous êtes bien conscients que tout ça sera dit dans l’article ?

Aucun problème (rires) !

Sinon, vous avez d’autres idées de collaboration ?

Avec Roger Waters et Chris Morris. Ce serait vraiment intéressant de pouvoir discuter avec ces personnes, pour moi en tout cas.

Votre nouvel album sort en octobre, pourriez-vous nous dire quelques mots à ce sujet ?

Pré-commandez le sur www. etc. (rires).

Vous êtes dans quel esprit ? Il y a des évolutions, des différences, des progrès ?

C’est dur d’en parler nous-mêmes ! Je pense qu’il est plus axé sur la guitare (guitare-based) que le précédent. On a eu deux sessions pour l’enregistrer, comme la première avait été interrompue en plein milieu car ma femme a eu une pneumonie. Et après il ne nous restait qu’une semaine pour l’enregistrer, donc on a tout fait dans un laps de temps très court ! Au total, cela a dû nous prendre quinze jours, pas plus. Puis on l’a remasterisé à Abbey Road.

En fait, on a décidé de se focaliser sur notre conception de la famille moderne. Je pense que tout a commencé quand j’ai vu l’investiture de Trump. J’étais seul chez moi, et j’avais l’impression de regarder un film de science-fiction des années 70-80, comme quand j’étais un gosse ! Ca m’a fait penser à ces mondes dystopiques qui sont mis en scène dans ces films. Je regardais la série Battlestar Galactica, et c’est exactement ce à quoi ça me faisait penser ! Ca semblait irréel, j’avais l’impression de mater un film ; sauf que c’était bien réel.

Donc cet album est basé sur “un choc” en quelque sorte ?

Oui, on s’est basé sur nos perceptions du monde actuel. Par exemple, on a vu un documentaire qui semblait irréel sur l’addiction de toute une ville à l’oxycodone, ce qui nous a donné envie d’écrire la chanson Eyes in the sky. De même, on a imaginé que, si la fin du monde venait à arriver demain, la plupart des gens la regarderaient à la télévision ! C’est pour cela qu’on a écrit une chanson qu’on a appelé The end is on TV.

Ca s’annonce très bien !

Si tout le monde pouvait nous dire ça (rires) ! Encore une fois, on est vraiment parti du concept de famille à notre époque, en regardant autour de nous tout ce qu’il se passait, une famille entière accro à des médicaments, une famille entière regardant la fin du monde à la télé ensemble, ou encore toutes ces familles qui prétendent toujours que tout va bien, qu’elles sont heureuses en permanence. C’est un peu le fil rouge de cet album, la ligne qu’on a suivie.

On a aussi composé une chanson qui est à la fin de l’album, un morceau qui parle de tous les bénéfices de la nature et comment on y prête de moins en moins d’attention, tout ça parce qu’on est attirés par toutes ces choses artificielles, la télé, les médicaments, etc…

Cela fait maintenant plusieurs années que vous connaissez le marché de la musique maintenant ; qu’est-ce que vous avez vu changer au fil du temps ? Est-ce que ça vous fait peur ?

Premièrement, les goûts changent constamment. Mais il n’y a pas que ça. Tout  change en permanence, avec les plateformes de streaming, le téléchargement, et on ne sait où tout cela va nous mener.

Toutes ces nouvelles pratiques, en particulier le streaming, cela a changé quelque chose pour vous  ?

Moins de ventes (rires) ? Oui, en fait c’est surtout la manière dont les gens appréhendent la musique : aujourd’hui ils n’écoutent plus d’albums, ils écoutent des chansons.  Le degré d’attention des gens a changé avec le monde moderne. Les gens ne veulent même plus regarder une vidéo de vingt secondes sur Instagram sans passer à autre chose. C’est dur de capter l’attention des gens, de les arrêter un instant et de les faire écouter.

Ca se ressent dans les morceaux qui sont joués : il y a quelques tubes, et après les chansons moins connues ne sont pas écoutées, ça descend petit à petit, et à la fin on arrive à 800 écoutes (rires) !

Directrice de la communication, tout droit venue de Belgique pour vous servir. Passionnée de lecture, d'écriture, de photographie et de musique classique.

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