MUSIQUE

Un rock pas roots – La Route du Rock 2016

Sans véritable têtes d’affiche, la Route du Rock s’est tenue une nouvelle fois mi-août à Saint Malo sous le signe d’une petite édition. Malgré seulement 13 000 visiteurs, la programmation est restée de bonne tenue avec des concerts qui se sont particulièrement démarqués et ont attiré leurs fans et quelques curieux sous un soleil et une chaleur plutôt inhabituel au Fort Saint Père.

Après le garage des New-Yorkais de Psychill Ills sur la petite scène, le songwriter Kevin Morby a ouvert les festivités sur la grande scène du Fort Saint Père. Avec son folk délicat et poétique, agrémenté de cuivre et de cordes, le jeune Américain à la voix caverneuse a charmé la foule, toujours avec retenue. Il a offert les grands titres de ses premiers albums, Harlem River et Still Life, et nous a fait découvrir sur scène ceux du dernier-né, Singing Saw. Du folk sensible et ambitieux qui a conquis.

Devant la scène, certains spectateurs ne bougent pas, attendant impatiemment les Écossais de Belle and Sebastian. Le groupe qui fête ses 20 ans d’existence a investi la scène, avec une dizaine de musiciens. Stuart Murdoch et ses compères nous ont fait voyager à travers leur belle discographie. L’occasion de rechanter et danser avec le groupe sur If she wants me, I’m a Cuckoo ou encore le délicieux et hypnotique Electronic Renaissance. En bref, un concert moderne avec une touche de politique lors de leur brève allusion au Brexit. A la fin du concert, une vingtaine de festivaliers ont envahi la scène pour danser aux côtés du groupe de Glasgow, installant une véritable atmosphère de fête au Fort Saint Père.

Très attendu par le public, c’est ensuite au tour de Minor Victories, pour leur première date en France, de se frotter à la scène. Au cœur du Fort, quatre pointures de la musique : Rachel Goswell (chanteuse de Slowdive), Stuart Braithwaite (guitariste de Mogwai), Justin Lockey (Editors) et James Lockey (Hand Held Cine Club). Épique, le quatuor britannique de shoegaze s’est laissé porté par un chant éthéré ensorcelant. L’intensité a gagné progressivement en puissance, porté par une instru’ dense et atmosphérique à base de nappes synthétiques, de guitares saillantes et d’une batterie puissante. Pourtant, si l’on a été transporté, résistent encore certaines fragilités.

La soirée s’est clôturée sur un triptyque électronique avec Pantha du Prince, le délicieux Gold Panda et pour finir, Rival Consoles.

Jour 2

Pour reprendre en beauté, on a débuté le samedi avec le duo Lost Under Heaven. Quelques années après le triste arrêt de Wu Lyf, c’est dans ce projet que Ellery James Robert s’est investi, aux côtés de sa muse, Ebony Hoorn. Sur scène, on a retrouvé la même rage poétique que sur leur premier album Spiritual Songs For Lovers To Sing. Une rage qui transporte avec lyrisme, mêlant la voix rocailleuse de Ellery à la puissance d’Ebony. Si on repère quelques fausses notes, on ne s’attarde pas dessus. Une maladresse qui transmet de l’émotion. Une belle claque.

Lost Under Heaven sur la scène du Fort. Crédit : MM Remoleur

Lost Under Heaven sur la scène du Fort. Crédit : MM Remoleur

Sur la petite scène des remparts, on attend avec beaucoup de curiosité l’arrivée du nouveau groupe de l’Anglaise installée à Berlin Anika Herderson. Six ans après un passage en solo, quoiqu’accompagné du groupe Beak, l’ancienne journaliste politique aux faux airs de Nico se produit avec un projet nommé Exploded View qu’elle a composé avec des musiciens locaux rencontrés à Mexico. Le groupe a été bloqué une partie de la journée par une panne de leur véhicule et leur installation sur scène se fait dans la hâte, retardant quelque peu le début du concert et ménageant donc un peu plus de suspens. Le groupe mettra ensuite beaucoup moins de temps à hypnotiser le public en présentant son premier album. Les musiciens sont tous très talentueux et dispensent un krautrock syncopé teinté de cold-wave, paradoxalement froid et sublime où la voix d’Anika se fait incantatoire.

Sur la scène du Fort, la joyeuse troupe de La Femme a pris le relais. Le groupe français déjanté a offert un des concerts les plus dansants de cette 26ème édition de la Route du Rock. Emporté par le tourbillon, même les plus sceptiques se sont déhanchés sur les tubes entêtants et délicieux Nous étions deux, Antitaxi, La Planche ou encore Si un jour. Ce concert était aussi l’occasion de découvrir les titres de leur deuxième album Mystère comme Mycose, Sphynx ou SSD. Seul petit hic, la question de Marlon au public : « Est-ce que vous êtes rock ? »

Un choc annoncé avec le retour des canadiens de Suuns, grands habitués de la Route du Rock, qui les a largement fait découvrir en France. Pour qui avait déjà vu Suuns et connaissait la qualité du groupe en concert, il était difficile pourtant de s’attendre à la force acquise désormais par les Montréalais. On a ainsi l’impression que Suuns a changé de niveau et se situe maintenant dans les plus grand groupes actuels du rock. Pendant une heure, les quatre Canadiens jouent dans l’ombre, adressant juste quelques mots au public pour dire leur joie de revenir au Fort St Père. Mine de rien, en cinq ans, Suuns a sorti trois grands albums, ce qui devient un immense réservoir pour un concert où le groupe retravaille complètement ses chansons pour leur donner un nouvel aspect, encore plus incisif et fort. Le concert de Suuns se fait celui de tous les contraires, entre glace et lave en fusion, joie et douleur. Il ne ménage pas son public qui pourtant regretterait que le concert ne soit pas plus long !

Alors que le concert de The Field, DJ berlinois d’origine suédoise, est annulé au dernier moment pour une sombre histoire d’avion manqué, Battles s’installe sur la grande scène. Le dispositif est simple, trois musiciens : un batteur, un guitariste et claviériste, un bassiste et pas de chanteur. Une mission, plus compliqué : réussir à faire aussi bien que lors de leur précèdent passage à la Route du Rock en 2011. Ça n’aura finalement pas été difficile, tant Battles reste définitivement un grand groupe de live, grâce notamment à leur batteur (John Stanier), toujours aussi impressionnant, finissant le concert complètement exténué. Le concert n’est pas totalement instrumental, on y entend encore les voix de Tyondai Braxton et Matias Aguayo présentes sur les deux précédents albums du groupe, mais ces voix semblent être des présences fantomatiques qui viendraient se mêler à la précision folle des trois musiciens.

Jour 3

La dernière soirée de la Route du Rock s’ouvre avec la délicatesse de la grande Julia Holter. La musicienne américaine, qui a sorti déjà quatre albums, était déjà venue à la Route du Rock mais jamais au Fort St Père. Durant son concert elle est accompagnée de son clavier et de sa voix envoûtante, mais aussi d’un contrebassiste, d’une violoniste et d’un batteur. Julia Holter a particulièrement joué ses deux derniers albums, démontrant finalement la continuité d’une œuvre qui se situe toujours dans une zone étrange et indéterminée, mais si passionnante, entre une pop baroque et une musique plus expérimentale.

Après Slowdive et Ride ces deux dernières années, c’était au tour de Lush de se reformer sur la scène de la Route du Rock, vingt ans après leur séparation et après la sortie d’un nouvel EP Blind Spot en avril dernier. Pourtant, à voir l’énergie de Miki Berenyi et Emma Anderson, difficile d’imaginer que vingt ans ont passé. C’est avec joie que l’on replonge dans des années 90, qui semblent n’être qu’hier, avec Lush qui a proposé un concert plus proche de leur début de carrière que de leur fin, plus shoegaze que brit pop. Une reformation qui, à l’instar de celles de Slowdive ou de Ride, ne semble pas inutile, tant elle prouve la modernité conservée d’une musique qui a déjà une vingtaine d’années.

Les Californiens de Fidlar ont investi la scène avec une reprise de Sabotage des Beastie Boys. Une énergie garage-punk et des riffs déjantés qui ont échauffé les esprits avant de recevoir sur scène Fat White Family. Le groupe de Brixton a su mettre de l’intensité à nous faire frissonner et danser. Sur la scène du Fort, menés par le chanteur torse-nu Lias Saoudi, véritable bête de scène du début à la fin, les six compères déploient leur cacophonie post-punk dansante. Du chaos, Sleaford Mods nous en a aussi offert sur la scène des remparts. Entre hip-hop et punk enragé, le duo de Nottingham a apporté sa dose de folie. D’un côté Jason Williamson, l’accent prononcé, déballant à toute vitesse des textes avec un flow impressionnant. De l’autre, Andrew Robert, lance les instrumentations sur le laptop.

L’édition 2016 de la Route du Rock s’est clôturée avec les Australiens Jagwar Ma, remplaçants de The Avalanches. Le concert a débuté en puissance avec Man I Need. Une mise dans le bain immédiate qui a fait danser tous les petits pieds. On a pu se déhancher une dernière fois avec les classiques d’Howlin, leur premier album, Come and save me, The Thrown ou encore Uncertainty, mais aussi des morceaux du futur album comme l’addictif OB 1. Avec un son groove, des basses lourdes, des mélodies accrocheuses, des envolées psychédéliques et des rythmiques tribales, les Australiens nous ont offert un ultime voyage avant de repartir.

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