MUSIQUE

Rencontre avec l’Entourage

Véritables révolutionnaires du rap français, l’Entourage a su remettre la technique au goût du jour. Les membres du collectif doivent leur succès à leurs phrases incisives, à leur proximité avec l’esprit de la jeunesse et surtout à leur capacité à mettre le feu partout où ils passent. Lors du festival de Ronquières, nous avons pu les interviewer afin d’en savoir un peu plus sur les dessous de leur carrière.

Comment se fait-il que vous n’ayez aucun manager ? Aucune équipe qui vous entoure ? 

Eff Gee : On n’a pas de manager parce qu’on préfère se gérer nous-même. Le message principal de « Jeunes Entrepreneurs » c’est « fais les choses toi-même » . Y’a pas d’intérêt à avoir un manager. En plus on est dix donc c’est beaucoup plus facile de se gérer seuls. Ça ne changera pas.

L’un d’entre vous gère-t-il plus le groupe que les autres au niveau management ? 

Eff Gee : C’est vrai que je m’occupe un peu plus de tout ça puisqu’il faut bien que quelqu’un le fasse mais sinon chacun s’occupe du projet, en général, personne ne le délaisse.

D’où vient le nom l’Entourage ? 

Eff Gee : Tout simplement parce qu’à une période on était très nombreux, on était bien plus que ça, on devait être une trentaine, même peut-être une quarantaine. A l’époque on faisait des open-mike et on se disait toujours : « vas-y, ramène les rappeurs de ton entourage » et depuis le nom est resté.

Alpha : C’est Pouchkin qui a trouvé le nom…

Eff Gee : Non c’est moi, Pouchkin avait juste un fichier dans son ordinateur qui s’appelait « Entourage » mais c’est moi qui ai eu l’idée, point barre.

Qu’est-ce que ça procure comme sensation supplémentaire d’être aussi nombreux dans un groupe ?

Alpha Wann : C’est mieux, on est comme une équipe de foot, on peut compter sur ses co-équipiers pour assurer dans le cas où on a un problème.

Avez-vous conscience d’être les nouveaux porte-parole de la jeunesse ? 

Alpha : On n’est pas les porte-paroles de la jeunesse. On a la chance d’avoir l’oreille des jeunes mais porte-parole ça signifierait qu’on dit dans nos textes ce que la jeunesse a sur la conscience et c’est pas le cas. Les jeunes ont des problèmes plus graves que ça. On est pas porte-parole mais les jeunes nous aiment bien, ça je suis d’accord. On est plébiscités par eux.

Eff Gee : Je ne pense pas qu’on soit des porte-parole. Porte-parole signifierait qu’on écrit des textes avec conscience et qu’on s’érigerait à un rang qui n’est pas le nôtre finalement. Nous on veut juste faire du son et dire ce qu’on a sur le cœur, ou même rapper ce qu’on a envie de rapper sans se dire que les jeunes vont nous écouter. On le fait avant-tout pour nous.

Donc vous ne vous servirez jamais de votre notoriété pour faire passer un message ?

Eff Gee : Le message passe naturellement parce qu’on dit ce qu’on est.

Deen Burbigo : Porte-parole signifierait qu’on est les fers de lance, qu’on prend le discours de la jeunesse et qu’on l’amplifie et qu’on le diffuse. Là c’est pas le cas, on dit ce qu’on a en tête, quand on a un coup de gueule à passer on le passe ; quand on veut parler de notre vécu, on le fait. Je ne pense pas qu’on soit tous des êtres exceptionnellement différents de la masse des jeunes, du coup eux vont se reconnaître dans certains de nos propos. Mais on n’est pas représentatifs de la jeunesse.

Jazzy Bazz : Justement c’est un bon débat parce que vu qu’on est comme les autres jeunes, qu’on pense comme eux, par la force des choses, on porte un peu la parole de leurs pensées.

Alpha : Surtout, si t’as l’oreille rap et que t’entends ce que les rappeurs ont à dire, si t’écoutes un projet du S-crew, un projet de Eff Gee ou un des miens, tu vas entendre des propos que tu pourrais interpréter comme étant politiques. C’est juste qu’on va pas faire un texte entier sur la Cinquième République ou sur un parti politique. On s’y connait pas spécialement en politique, donc quand on en parle c’est de façon très brève. On admet qu’il y a des messages de ce type dans nos textes mais c’est pas forcément ceux qu’on va mettre en avant. On essaye toujours de les glisser entre deux phrases pour ne pas leur donner trop d’importance. Il faut s’aiguiser l’oreille pour repérer tout ça.

Est-ce qu’un jour vous vous considérerez comme des artistes engagés ? Affirmerez-vous une opinion politique claire et nette ? 

Deen : Clairement moi je suis apolitique, et c’est une manière d’être engagé. Je ne me reconnais dans aucun homme politique dont j’ai pu entendre les discours. Je dois vivre avec ce système, j’essaye de jouer au mieux avec les cartes qu’ils me proposent mais je ne me sens pas particulièrement en adéquation avec ce système.

Est-ce que tu pourrais te lancer toi-même dans la politique puisque tu ne te retrouves dans aucun discours ?

Deen : Absolument pas, même si je me prends pour un président dans un de mes clips, je n’ai pas la velléité de représenter la masse. Si j’arrive à influencer cette masse via ce que je raconte dans mes paroles, c’est très bien, mais je ne cherche pas à convaincre qui ce soit.

Pensez-vous que la musique a une influence sur le monde politique ?

Deen : Clairement, c’est pas qu’une histoire de texte, c’est même une histoire de courants musicaux. Si on prend le reggae, c’était un courant musical politisé. Chaque artiste avec une loge politique derrière et un terrain brûlant tournait autour. Il y a déjà eu des artistes qui ont fait peur aux hommes politiques. Aux Etats-Unis, on peut prendre l’exemple de Tupac, le mec était suivi par des brigades de police spéciales qui étaient chargées d’investiguer sur la dangerosité du personnage. À partir de là, on peut dire que les artistes ont leur part d’influence. Maintenant, nous, est-ce qu’on peut influencer la politique ? Je ne sais pas et pour le moment je ne crois pas.

Jazzy Bazz : En France, j’ai vu que la plupart des groupes engagés comme Assassins ou La Rumeur, étaient ceux qui décrivaient une urgence, qui parlaient des problèmes sociaux. Ils ne faisaient que des constats. Le rôle du politique c’est de proposer des solutions à ces dysfonctionnements. Nous en tant que rappeurs, c’est pas notre rôle de régler ces problèmes. On n’a pas la prétention d’améliorer la vie des gens dans la société.

Alpha : Le Hip-Hop est une culture qui a été créée dans l’innovation. Que ce soit dans les mix, les graffitis, le rap, les gens voulaient toujours innover. Si t’es tout le temps dans un rap conscient, un rap combatif, tu perdures moins longtemps que les autres. Le rap est un art où tu dois rester frais, avoir un nouveau style. Le fait d’être conscient et politisé, ça peut être une partie de ton oeuvre mais ça ne peut pas être ton thème général, sinon tu ne fais pas long feu, c’est ennuyeux. Le rap c’est une question de dernière tendance. Tu ne peux pas te permettre de dire la même chose que cinq années auparavant. Il faut que le côté moralisateur soit une partie de toi, pas l’entièreté de ta personne.

Comment se passe l’élaboration d’un morceau de l’Entourage ? 

Alpha : C’est l’enfer. Il faut prendre trente-sept rendez-vous pour commencer le morceau parce qu’on est jamais tous là en même temps. On a tous des styles de vies différents qui font qu’on est pas toujours disponibles aux mêmes moments. Ensuite il faut qu’on choisisse l’instru, puis le thème. En fonction de ces choix, les membres du groupe qui sentent l’envie de poser quelques phrases sur le son se mettent à écrire et ensuite on fait la sélection des meilleurs couplets, s’il y en a trop. Quand tout ça est fait, on s’occupe des arrangements, on coupe les parties inefficaces, on rallonge certains couplets, on rajoute des bridges, des refrains, on essaie de voir si quelqu’un peut chanter.

Avez-vous déjà connu la censure dans vos morceaux ? Ou bien faites-vous un travail d’autocensure sur vos textes ?

Alpha : Je pense qu’on s’autocensure tous. On est tous un peu dingues et si on ne se limitait pas, on serait fichés comme ennemis de l’Etat.

Mekra : Moi je ne me censure pas, je dis tout ce que je pense, sans filtre. On me l’a déjà reproché, dans ma famille notamment, mais je continue quand même. Je ne me sentirais pas moi-même si je cédais à la censure.

Que pensez-vous des jeunes groupes qui vous ont pris comme inspiration ? On pense notamment au Panama Bende…

Alpha : Non le Panama Bende ne nous a pas pris comme inspiration en tant que telle. Ils ont déjà dit ça parce qu’ils sont plus jeunes que nous et que comme nous, ils font du rap français. Le seul point commun c’est qu’ils avancent comme nous en collectif, mais ils font leur propre truc. Personnellement je les salue, je leur tire mon chapeau pour leur originalité. S’ils s’inspirent de nous, alors j’espère qu’ils ne font pas les mêmes erreurs que nous. Je leur souhaite du courage et une longue vie.

Jazzy Bazz : On est quand même dans un délire un peu proche.

Alpha : Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Si on se ressemble un peu c’est parce qu’on aime les bonnes choses.

Jazzy Bazz : La vérité c’est qu’on a des influences communes mais l’Entourage n’est pas l’influence principale du Panama Bende. On aime les mêmes choses. Par exemple, je sais que j’aime les mêmes choses qu’Aladdin.

Alpha : C’est pour ça qu’on ne peut pas se décrire comme source d’inspiration principale. On écoute les mêmes sons mais à partir de là on se construit chacun notre vision du rap et il n’y en a aucun qui sonne comme un autre.

Qu’est-ce qu’on reproche le plus à l’Entourage ? Qu’est-ce qu’on salue le plus ?

Alpha : On nous reproche le fait de faire des morceaux qui n’ont pas de thème et de dire des trucs à l’esprit léger. Les gens qui disent ça n’écoutent pas vraiment les projets en entier, et encore moins nos textes solos. On se prive de rien, chacun dit ce qu’il a à dire. Par contre, les gens nous saluent parce qu’on a amené une nouvelle vague de « rap performant ». Depuis nous, les gens se remettent à bien rapper.

Donc c’est grâce à vous ? 

Alpha : Non non, y’avait déjà du monde qui le faisait, mais les gens se sont dit que si des petits jeunes de Paname arrivaient à faire ça, alors ça devrait être le standard de tout le monde de faire des bonnes rimes. Mais on n’a pas inventé les bonnes rimes, ça existait déjà, on les a juste mises sur une plateforme où des gens qui n’auraient jamais pu les entendre, les ont entendues.

Quels rapports entretenez-vous avec le monde du journalisme ?

Alpha : Des rapports très tendus. On en a marre qu’on déforme nos propos et qu’on nous pose toujours les mêmes questions.

Jazzy Bazz : Quand t’as commencé ton interview j’ai eu un peu peur parce que la genèse du nom du groupe c’est la question qu’on nous pose le plus souvent. Les grands médias se limitent toujours à «  pourquoi l’Entourage ? Comment le groupe s’est formé ? Comment se font les choses ? » . Je préfère les questions qui animent le débat et qui mettent en lumière les opinions différentes. Ça reflète la réalité, on ne peut pas être entièrement d’accord surtout en étant dix dans un groupe.

Alpha : Finalement on a des relations tendues avec la presse française, on préfère les médias américains.

Donc il y a un avenir aux US ?

Alpha : Pitié non, les collaborations rap français/rap américain sont à bannir, c’est toujours un résultat très mauvais. Et même, les américains n’ont pas envie d’écouter du rap français qu’ils ne comprennent pas. Ils aiment les trucs simples et qui les touchent directement. Le Français c’est pas pour eux.

Alors tu émets un doute sur la sincérité de Kendrick Lamar qui écoute un son de Nekfeu et qui dit qu’il adore ? 

Alpha : La différence là c’est que Kendrick était en France donc son oreille était plus encline à accueillir cette musique là. Là-bas, sur place, les ricains n’écoutent pas de rap français.

Jazzy Bazz : Big up à Kendrick qui lira sûrement cette interview d’ailleurs.

Dernière question, un peu bateau, Jazzy ne m’en veux pas : Quel avenir pour l’Entourage ?

Alpha : L’avenir il est surtout en solo pour le moment. On sait tous que Nekfeu vient de sortir un des meilleurs albums de rap français de tous les temps. Perso je prépare un EP, Jazzy Bazz prépare un album, Mekra travaille sur un projet avec son frère Framal, Eff Gee prépare un EP qui s’appelle Le Jour Gee , Deen Burbigo et Doums préparent aussi leurs albums. Mais malgré les projets en solitaire, on reste tous des frères, unis.

Directrice de la communication, tout droit venue de Belgique pour vous servir. Passionnée de lecture, d'écriture, de photographie et de musique classique.

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