MUSIQUE

Aphex Twin – Syro

13 ans. 13 ans qu’aux quatre coins du monde, des millions de personnes attendaient leur Pâques, le retour de leur messie, la si attendue réapparition du grand Richard David James, mieux connu sous son principal pseudo Aphex Twin – également raccourci AFX à certaines reprises. 13 ans que ses fans patientaient fébrilement sans n’avoir rien à se mettre sous la dent, hormis quelques inédits joués lives, enregistrés en lo-fi par quelques chanceux afficionados, un supposé album sous le nom de The Tuss (même si le mystère reste à l’heure actuelle toujours entier), et l’an dernier la publication après un large mouvement de crowdfunding d’un LP composé deux décennies auparavant sous le nom de Caustic Window, paru uniquement en trois exemplaires à l’époque.

 13 ans, 13 ans sans que le britannique ne cesse cependant de faire parler de lui, faisant office tant de légende iconique pour les nouvelles générations que de héros pour leurs aînés, qui n’hésitent pas à citer Analord aux côtés d’Acid Tracks de Phuture. Pionnier de la musique électronique – et de l’IDM, c’est à coup d’acid techno, d’ambiant & d’experimental qu’Aphex Twin s’est construit une réputation, compositeur génie et prolifique – voire même un peu trop.

Entre le classique Selected Ambient Works (1985 – 1992), le sobrement intitulé Classics, et le dernier en date, Drukqs (sortie la plus controversée de l’artiste, souvent jugée dispensable ou trop longue), l’homme qui a réussi à trouver le juste milieu entre underground et commercial, a su marquer de ses sonorités son époque, et devenir un des musiciens les plus importants et les plus intéressants des cinquante dernières années.

De son side projet principal Polygon Window à sa collaboration avec le reconnu compositeur minimaliste et néoclassique Philipp Glass, en passant par diverses parutions sous le nom d’Universal Indicator, Aphex Twin n’a cesse dans les 90s de publier, principalement chez Warp Records (à qui on doit également d’autres perles comme Boards Of Canada, Squarepusher, Mount Kimbie ou Flying Lotus). Et le succès est au rendez vous pour l’explorateur des sons qu’il est : « musique classique du prochain millénaire » selon le New York Times, et le génial Selected Ambient Works premier du nom se voit qualifier de meilleur album de tous les temps selon Fact Magazine.

Mais comme plongé depuis le passage au nouveau millénaire dans une espèce de mutisme silencieux, Aphex Twin s’est petit à petit à petit retiré de la scène publique après la parution de Drukqs, distillant interviews et DJ Sets (de Manchester au Pitchfork Paris) au goutte à goutte. Peu étonnant de ce fait que la sortie d’un nouvel album du britannique soit si attendue : et c’est ici un véritable jeu de piste auquel s’est prêté Aphex Twin, à coup de ballons dirigeables (oui, vous avez bien lu) ou de tweets menant tout droit sur le Deep Web … Warp confirme rapidement la sortie de Syro (prononcez « sigh-ro »), publiant également la mystérieuse tracklist de l’album. Un deuxième jeu de piste commence alors chez les fans : trouver les tracks déjà jouées par Richard en live, et esquiver habilement tous les fakes dont Internet est rempli : avant même de sortir, Syro était déjà un événement en soi, rendant compte du culte voué à l’artiste.

Syro

C’est le 19 Septembre 2014 que parait enfin (légalement) le graal, à la pochette pour le moins minimaliste et à la tracklist carrément imprononçable : 12 tracks, toutes signées Aphex Twin, et toutes inédites en version studio. Entre beats tordus, voix pitchées (la sienne et celles des gens de sa famille), sonorités acides et aura quasi religieuse, l’auditeur navigue ici en terrain connu. James joue ici la carte de la sobriété en comparaison à ses anciennes sorties comme Widowlicker et signe là comme une compilation de ce qui fait son identité musicale : acid techno, ambiant, jungle, experimental. Bien que peu « novateur », on soulignera la grande qualité de cet album. N’hésitant pas à offrir à son public un son parfois « froid », complexe d’écoute, Aphex s’autorise de grosses montées en BPM et en violence comme dans ce qui m’apparait être le banger de l’album, j’ai cité le fascinant et répétitif « 180 db–[130] ». Parallèlement, l’artiste prouve encore une fois ses talents dans l’exploration musicale et auditive à travers « 4 bit 9d api+e+6 [126.26] », qui, à la fois de manière inquiétante et passionnante (dirais-je même impressionnante ?) arrive à faire se côtoyer plusieurs rythmes simultanément. Puisant également dans ses inspirations « Drukqsienne » si je puis m’exprimer ainsi, Aphex nous signe plusieurs tracks qui mêlent  jungle et voix, comme le génialissime « CIRCLONT14 (shrymoming mix) [152.97] » (à mon goût le morceau le plus abouti de l’album).

Enfin, Richard soigne son final et brise une rythmique acid drum’n’ bass après 11 tracks urbaines n’attendant que d’être jouées dans un hangar en rave une nuit d’hiver, pour laisser place à ce qui m’apparait être le nouvel « April 14th », mélange de piano et de chants d’oiseaux, le relaxant « aisatsana [102] », un magnifique closing pour ce qui semble être un des albums de l’année.

En conclusion, Syro est un album qui reste dans la lignée d’Aphex Twin : étrange mais captivant, accessible bien que peu facile, intellectuel mais pas hautain : un parfait équilibre, d’un style dont Richard dit lui-même avoue avoir déjà fait le tour. Mais qu’importe, quand la qualité est la !

Vous détestez m'aimer, vous aimeriez me détester. Philosophe du dimanche (mais seulement du dimanche), on m'appellera bientôt le Claude Lantier du XXI° siècle. Sinon wallah moi ça va tranquille.

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