MUSIQUE

Rencontre avec Rover – ” J’ai besoin d’un lieu monacal pour écrire”

Fin juin, le rockeur sensible Rover imposait son charisme sur l’une des scènes du festival Solidays. Trois ans après le succès de son album “Rover” où figurait notamment Aqualast, il sortait en Novembre “Let it glow”. Un petit bijou que le rockeur de diamant a su faire briller.

Ce nouvel album arrive trois ans après le dernier, alors que la tournée vient à peine de s’achever. Il  a été écrit sur la route ?

Non, je n’écris pas quand je suis sur la route. J’avais envie d’écrire dans la foulée de la tournée parce qu’il y a des choses qui nous échappent quand on écrit des chansons. J’avais ressenti ce besoin à la fin de la tournée.  J’ai un peu de mal à écrire sur la route, j’ai besoin d’un lieu où je me sens presque bureaucratique, un lieu régulier et dans lequel je me sens bien pour le faire. Et j’avais envie de le faire. Je ne me voyais pas aller sur une plage me dorer la pilule. Je laisse cela aux autres.

Ce sont pourtant des chansons très personnelles et sensitives. Cette démarche “bureaucratique” est presque antithétique, le sentiment est plutôt spontané non ?

Ça l’est. Mais c’est le propre des peintres aussi, ils ont un atelier. En tout cas, en ce qui me concerne, c’est tellement personnel que pour faire abstraction de tout le reste qui peut devenir une pollution, que ce soit l’organisation d’une vie quotidienne ou les relations humaines, il me faut à la fois m’isoler et un lieu dans lequel je n’ai pas à réfléchir d’une forme d’intendance musicale. Je sais quel objet est à quel endroit. Pour que ça aille très vite et que tout soit mis en place pour que les chansons viennent avec fluidité, et spontanéité.

C’est en cela que c’est bureaucratique. C’est esthétiquement en tout cas, un lieu monacal et épuré. C’est là que je me sens bien. Tout est dédié à la musique.

Et comment transmet-on, partage-t-on avec le public, quelque chose d’aussi personnel avec toute une foule ?

C’est la magie de la musique. Je ne peux pas l’expliquer. Dans un festival, c’est d’ailleurs plus difficile que dans une petite salle intime. Parfois, on ne touche que 20 % du public. C’est déjà une petite victoire. Il ne s’agit pas de plaire à tout le monde. Je ne fais pas forcément la même musique que les collègues qui passent sur la même scène et qui, peut-être, ont des musiques plus festives, directes et dansantes.

Malgré tout, si je suis cela, c’est qu’il y a tout de même des gens que je peux toucher et que l’émotion, quelle qu’elle soit, a quelque chose de très mystique. C’est inexplicable la puissance d’une émotion en musique. Dès lors que les musiciens sur scène sont sincères, il faut le rester. C’est la clé. Il ne faut jamais vendre son âme au diable pour essayer d’être quelqu’un d’autre.

Et qu’est-ce-qu’on ressent quand on réussit à toucher un nouveau public ?

C’est une victoire. Si seulement 20 % du public est touché, en ressort changé, ou remué, ou juste ressent une nouvelle émotion, c’est déjà un moment qui a valu la peine d’avoir lieu. Après, c’est très délicat, je ne suis pas dans le public, je vois des visages. Dans un festival, c’est aussi une ambiance plus légère. On est pas à un concert de Rover dans une salle, la démarche est autre. Mais quelle chance de toucher un public qui parfois ne nous connaît pas au départ et sont là en curieux ! C’est une vraie opportunité et elle est bonne à prendre. On quitte une sorte de confort, on part au combat.

Musset écrivait que « les plus désespérés sont les chants les plus beaux ». C’est une idée que tu partages ?

Je pense que c’est assez vrai. D’autant que le bonheur peut être douloureux, donc c’est assez large comme définition. Et la douleur, pour moi, n’est pas seulement à connotation négative. C’est un sentiment, un ressenti, souvent suivi d’un relâchement de la douleur. C’est une amorce de quelque chose d’autre. C’est le plus avant le moins ou le moins avant le plus. C’est ce qui inspire mes chansons, ce sont les épreuves de la vie qui font qu’une chanson naît. C’est l’après qui m’intéresse. J’ai été tout autant bouleversé de voir la réaction des gens, de voir les débats, les langues se délier. C’est fédérer autour de la musique.

Tu as toujours eu ce relationnel à la musique ?

Je pense que mon souvenir le plus ancien est lié aux vinyles. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui consommaient beaucoup de musique, à la maison. Il n’y avait pas de gêne à en avoir en fond sonore, à en acheter, même à se tromper dans certains achats. Il n’y avait pas de cérémonial autour de la musique. On pouvait jouer avec le tourne-disque, abîmer la chaîne. Cela m’a permis très vite de m’accaparer des moments de musique, enfant et de jouer avec la stéréo. J’ai eu mes premiers émois avec la machine à vinyles de mon père.

Donc tu es l’unique auteur de ce rapport presque protocolaire à la musique ?

Je pense m’être créé un cérémonial qui m’est propre. Le fait d’avoir suivi cette liberté. Avoir un endroit accordé à la musique, pour l’écrire mais aussi pour l’écouter. Cela c’est transposé à la voiture. J’écoute beaucoup de musique en voiture mais je suis attaché au support. Que ce soit le CD, la cassette ou le vinyle, je me fais assez peu à la dématérialisation de la musique. Je conçois l’aspect très pratique et écrasant de diversité qu’offrent les plateformes numériques mais j’ai un côté très ringard et old school à aimer sculpter les pochettes, poser les objets, et sentir dans la main avant de l’écouter.

Justement, le old school ne fait-il pas un peu parti du personnage de Rover, avec les lunettes vintage, le blouson de cuir noir, et la Rover en elle-même ?

Oui, ça c’est un nom de scène pour séduire les filles (rires). Je ne sais pas si c’est un personnage, je ne suis pas très fan du mot. Il y aurait quelque chose de très conceptualisé, de réfléchi en amont. Même étudiant, je m’habillais comme ça. Les profs me détestaient pour ça. Mais ce n’est pas dans le but d’être arrogant ou prétentieux. Je sais que ça peut être l’image que je rends. Mais les lunettes, elles sont adaptées à ma vue, j’ai les yeux très clairs. Et le blouson de cuir, c’est le seul vêtement que l’on n’a pas besoin de laver en tournée. Il y a un aspect esthétique évidemment mais c’est le pratique qui prime et il n’y a pas de personnage comme peut l’être M de Mathieu Chedid.

 

Journaliste en terre bretonne, je vagabonde entre les pays pour cultiver ma passion de théâtre, de musique et de poivrons (surtout de poivrons). J'essaie tant bien que mal d'éduquer à l'égalité entre les sexes, il paraît qu'on appelle ça le féminisme. J'aime bien les séries télé dans mon canapé et passer des soirées dans les salles obscures. Bref, peut-être ici la seule personne normale.

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