MUSIQUE

Le rap ou l’art de la provocation

Le rap est aujourd’hui une forme musicale démocratisée qui trouve un public très éclectique. Les rappeurs sont programmés dans les festivals aux côtés de groupes de rock et de chanteurs pop ; la place du rap sur la scène musicale française n’est plus à mettre en doute. Mais il se heurte encore à l’incompréhension d’un public dérangé par la provocation, qui la voit comme une incitation à la violence. 

Le rap allie musique et sens. Il fait des rappeurs les poètes des temps modernes, s’amusant avec les mots comme un Brassens ou un Gainsbourg. Mais il représente également un style musical proche de la culture jeune et urbaine, trouvant ses origines dans le Bronx et plus largement dans le « ghetto », empreint d’une certaine violence. C’est une violence que l’on retrouve dans la musique en elle-même, avec des instrus et une diction qui peuvent être agressifs, et dans les paroles. Le rap est un genre brut, parfois vulgaire, qui s’appuie bien souvent sur la provocation.

Il apparaît comme un exutoire, mais aussi comme un média de contestation et de dénonciation avec le développement du « rap conscient ». En fait, on peut comparer le rap à n’importe quelle forme d’art engagé et contestataire, qui fait de la subversion un élément essentiel à la création. Le regard de l’artiste sur le monde qui l’entoure et la dénonciation, via la provocation, des travers de la société sont des thématiques millénaires de l’art, que le rap s’approprie dans son propre univers.

Médine, dont la voix rauque et les titres polémiques reflètent l’engagement politique, est l’illustration de ce rap conscient, percutant, dérangeant. Son titre Don’t Laïk, sorti en 2015, a notamment créé une large polémique : il s’attaque à la question de la laïcité en France, dénonçant le traitement inégal des religions face à celle-ci, et citant les noms de Nadine Morano, Jean-François Copé et Pierre Cassen comme étant les « démons » de cette « valeur » « vieille de cent dix ans ».

Visiblement mal compris, l’artiste s’est vu sévèrement critiqué, parfois interdit d’antenne, sous prétexte de faire l’apologie du terrorisme dans ses chansons. Plus largement, la provocation dans les textes rappés est souvent perçue comme une incitation à la violence, s’adressant notamment à un public jeune et à la dérive. Mais, soyons clairs, le public rap n’est pas plus idiot qu’un autre et est capable de comprendre l’ironie comme le second degré.

La provocation peut alors être un frein à l’essor du rap, à l’atteinte d’un auditorat plus global. Les polémiques créées relèvent à la fois d’une incompréhension de la violence dont le rap est empreint, liée à une mauvaise connaissance du style musical en lui-même, mais aussi d’une idée de convention à laquelle la subversion artistique ne correspond pas. Elle est accentuée par son traitement par les médias qui aiment hurler au scandale en sortant les propos de leurs contextes.

Orelsan lui, avait été traîné en justice par huit associations féministes, notamment à cause de ses titres Sale Pute et St Valentin.

L’issue de son procès lui a été favorable : Orelsan a été relaxé en février 2016 lors de son passage en appel au nom de la liberté d’expression et de la création artistique. Le rap était alors défini comme un mode d’expression par essence provocateur voire violent et les propos attribués, non pas à l’artiste mais au personnage qu’il incarne dans ses morceaux, le reflet d’une « génération désabusée et révoltée ». Les magistrats ont alors conclu que « le domaine de la création artistique, parce qu’il est le fruit de l’imaginaire du créateur, est soumis à un régime de liberté renforcé ».

Cette décision est donc une réelle bonne nouvelle pour la scène rap française, lui permettant d’accéder à une certaine légitimité en tant que création artistique et mode d’expression propre. Toutefois, elle peut mener à des abus. Il faut alors faire une différence de fond : le philosophe Dany-Robert Dufour soutenait l’idée selon laquelle une œuvre peut être provocante quand elle est inspirée, mais jamais si elle est conçue dans le seul but de choquer.

La provocation est  une caractéristique essentielle du rap, mais à laquelle on ne peut le réduire, sous peine de n’être plus qu’un flot de violence gratuite.

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