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La France et le français à l’honneur à la Foire du livre de Francfort

La Foire Internationale du Livre de Francfort est la plus grosse foire du livre au monde. Chaque année, un pays est mis à l’honneur, et 2017 était l’année de la France, mais aussi et surtout du français en tant que langue d’accueil et d’hospitalité. Mais la Buchmesse, ce n’est pas que de la littérature, c’est aussi l’occasion de s’interroger sur des questions plus profondes : culture, société, politique, philosophie, histoire.

Plus grande foire aux livres du monde, la Foire du Livre de Francfort – la buchmesse – rassemble environ 300 000 visiteurs pour 7 000 exposants chaque année. Autant dire que l’on s’y perd vite ! Cette année, la France, et plus particulièrement le français comme langue d’hospitalité, étaient à l’honneur.

Défilé à la foire de Francfort

© Manon Vercouter / Maze

Politique, jeunesse, BD… De nombreux thèmes ont été traités. De même, la Foire a accueilli un grand nombre de journalistes, d’équipes radio et télé (Arte, France Info…), de maisons d’édition, et de personnalités : le président français Emmanuel Macron, la chancelière allemande Angela Merkel, la reine de Belgique, plusieurs ministres allemands, de nombreux auteurs comme Paula Hawkins, Patrick Chamoiseau, Alain Damasio, Eric Vuillard, Laurent Gaudé, Leïla Slimani, Nancy Huston, Alain Mabanckou, Marie NDiaye, Dany Laferrière, des auteurs-chanteurs comme Gaël Faye, des illustrateurs tels que Pénélope Bagieu, Guillaume Long, Lisa Mandel, Cy, Guy Delisle…

© Manon Vercouter / Maze

 

Histoire, France et colonialisme

La mise en avant du français comme langue d’accueil a permis d’aborder de nombreuses thématiques relatives au colonialisme et à l’histoire française. En effet, de nombreux auteurs vivant en dehors de la métropole ont pu venir à Francfort afin de présenter leurs œuvres et leur vision de la France en tant que français vivant en dehors de la métropole, mais aussi des auteurs étrangers qui ont choisi d’écrire en français.

Dans le cadre des conférences organisées par le European Lab, Leïla Slimani et Kamel Daoud ont d’ailleurs débattu sur cette relation conflictuelle qui existe entre la France et le Maghreb aujourd’hui.

Leïla Slimani, journaliste et écrivaine franco-marocaine, a reçu le prix Goncourt 2016 pour son deuxième roman, Chanson douce tandis que Kamel Daoud est un écrivain et journaliste algérien connu pour ses nombreuses déclarations remettant en cause l’islam. Il a d’ailleurs justifié son choix d’écrire en français et non en arabe car il considère que « la langue arabe est piégée par le sacré, par les idéologies dominantes. On a fétichisé, politisé, idéologisé cette langue. »

© Manon Vercouter / Maze

 

Crise démocratique, urgence de la littérature : le choix de sa langue d’écriture

Face aux troubles politiques, faut-il invoquer l’urgence de la littérature ? C’est l’une des questions qui a été abordée au cours de l’une des conférences organisée par European Lab. Comme Kamel Daoud l’explique : « on meurt car on cesse de croire en sa propre histoire ».  Or écrire est le vecteur qui permet de faire perdurer cette croyance. Qu’il écrive dans sa langue natale, ou pas, peu importe. Après tout le langage n’est qu’un outil, comme un autre.

Le langage est paradoxal puisqu’il est limité, mais c’est également le seul support qui permet d’évoquer les notions les plus simples mais aussi les plus complexes qui soient. Les faits, mais aussi les émotions. Le rôle de l’individu, et plus particulièrement de l’auteur, n’est pas d’être concis, précis, ou vrai. L’auteur ne fait que produire son expression langagière singulière qui a été formée par son histoire et son ressenti.

Leïla Slimani (au centre) – © Manon Vercouter / Maze

 

D’ailleurs, la question sur la situation de la langue française au Maghreb a concentré les débats. Face au conflit linguistique entre l’arabe comme langue officielle et les autres dialectes de la région, il se trouve que beaucoup d’auteurs maghrébins choisissent d’écrire en français aujourd’hui, un choix parfois critiqué comme un « retour en arrière », une acceptation du colonialisme, un refus de son identité…

Pour Leїla Slimani, au contraire, ce choix met en avant « la façon dont les Maghrébins se sont appropriés la langue française ». Pour elle, le français ne devrait plus être considéré comme un héritage colonial imposé et « doit sortir du discours de victimisation trop souvent utilisé comme excuse. »

D’ailleurs, Kamel Daoud et son franc-parler nous mettent ainsi en garde : les fondations démocratiques sont bien plus fragiles qu’on ne le pense. C’est à l’écriture de transcender l’identitaire afin de faire face à ce que Patrick Chamoiseau nomme « l’assombrissement planétaire ».

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Kamel Daoud – © Manon Vercouter / Maze

 

Une littérature engagée

Ainsi, le choix d’écrire en français n’est pas une soumission, c’est un choix engagé – politique et littéraire. La littérature peut reconstituer, reconsolider la base démocratique, comme l’explique Patrick Chamoiseau. Face au vide utopique des programmes politiques, la littérature offre une échappatoire à ce pragmatisme ambiant si sombre. Après tout, l’art est un transformateur d’énergie. Il transforme nos perceptions, nos conceptions, et la littérature a un rôle à jouer dans la sphère politique, comme l’explique Alain Damasio.

La littérature accompagne un processus émancipateur par le paysage politique et sociétal qu’elle dépeint de sa plume acérée. Comme Éric Vuillard explique, « ce que nous appelons littérature est né avec les processus révolutionnaires et les hommes de lettres. La vie d’un parfumeur est d’autant plus passionnante que celle de Phèdre, car le parfumeur est plus accessible. »

Il ne faut néanmoins pas oublier que la littérature peut s’oublier dans son rôle d’incubateur de changements, comme l’illustre l’ouverture du dernier paragraphe de L’Ordre du Jour d’Éric Vuillard : « On ne tombe jamais deux fois dans le même abyme mais on tombe toujours de la même manière dans un mélange de ridicule et d’effroi. » D’où la nécessité d’allier créativité littéraire et conscience politique. Crise de la démocratie, urgence de la littérature !

Eric Vuillard – © Manon Vercouter / Maze

Attachée de presse de cinéma et blogueuse, je fais partie de l'équipe de Maze depuis plus de quatre ans maintenant. Le temps passe vite ! Je suis quelqu'un de très polyvalent: passionnée d'écriture ("j'écris donc je suis"), de cinéma (d'où mon métier), de photo (utile pour mon blog!), de littérature (vive la culture !) et de voyages (qui n'aime pas ça?). Mon site, www.minimaltrouble.com, parle de développement personnel, de productivité, de minimalisme mais aussi de culture :)

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