LITTÉRATURE

Ben Lerner – 10:04 : Il est 10h04, New York s’éveille

Après un très bon premier roman Au départ d’Atocha, le romancier et poète new-yorkais Ben Lerner est de retour avec un brillant roman-poème qui tord l’autofiction pour faire le portrait de l’homme urbain intellectuel contemporain et de la société qui l’entoure.

On le sait, la chronique de la vie des intellectuels new-yorkais pourrait constituer un genre artistique en soi, de Woody Allen à Phillip Roth. Mais comme tout homme, l’intellectuel new-yorkais change. Ainsi c’est à la version des années 2010 de ce personnage que nous avons affaire avec un narrateur, prénommé Ben, qui semble ne pas être très éloigné de l’auteur du livre. Vaste question de l’autofiction, dont Ben Lerner parait s’amuser, pour livrer un roman qui n’hésite pas à jouer des paradoxes et du trouble entre le réel et la fiction, « comme un vacillement entre les deux ». Ce n’est pas pour rien si le titre du roman fait référence au fameux film de Robert Zemeckis, Retour vers le futur, film fétiche du narrateur. Cette heure mystérieuse n’est autre que celle où Marty McFly se retrouve propulsé de son présent à un passé où il n’existe pas encore et où il pourrait ne jamais exister. C’est aussi une des nombreuses variables composant l’œuvre de Christian Marclay, The Clock, œuvre vidéo d’une durée de 24h qui se propose comme une horloge composée chaque minute d’extraits de films indiquant l’heure. Cette œuvre, Ben va la voir à plusieurs reprises lors de son exposition et elle nourrit, tout comme le film de Robert Zemeckis, la dimension métalittéraire vertigineuse du roman de Ben Lerner.

Le récit de Ben se nourrit de quantité d’autre œuvres, créant parfois un dialogue original entre le texte et les images reproduites. A l’instar de ces images qui apparaissent dans le texte, le roman de Ben Lerner joue de la diversité des formes, entrecoupant le récit d’une nouvelle du narrateur, de lettres falsifiées, de poème, d’un texte illustré sur les dinosaures. Plus encore que l’entrechoquement des formes, Ben Lerner propose un récit en labyrinthe où surgit une réflexion sur le langage mais aussi sur la société moderne et ses contradictions. C’est bien à une passionnante méditation poétique sur notre société moderne que Ben Lerner nous convie, au cœur de Brooklyn et Manhattan, entre angoisse de la fin d’un monde, réflexion sur les relations humaines à notre époque, éthique écologique et soucis de la paternité. En 250 pages, 10:04 brasse notre monde en en faisant la chronique d’une seule version parmi l’infinité possible de présents et celles encore plus grande de futurs.

 10:04 de Ben Lerner, édité aux éditions de l’Olivier, traduit de l’anglais (États-Unis) par Jakuta Alikavazovic.

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