LITTÉRATURE

Le Sud-Ouest Africain : les vestiges d’une terre oubliée

Si cette rentrée littéraire nous offre un panel de premiers romans, il en est un qu’il ne faut absolument pas manquer ! Plus qu’un roman historique, Cartographie de l’oubli de Niels Labuzan dépeint le portrait d’un territoire mortifié, humilié par le colonialisme, blessé par les guerres et les massacres de masse mais qui, pourtant, est tombé dans l’oubli le plus total. Cette terre, c’est le Sud-Ouest Africain, l’actuelle Namibie. Colonisé dès 1884 par l’empire allemand, le Sud-Ouest Africain fut l’objet de revendications territoriales importantes, poussant les colons à la spoliation des indigènes. Retour sur une période de l’histoire tout simplement oubliée.

Conférence de Berlin et massacre des indigènes

Le destin tragique du Sud-Ouest Africain commence en 1884. Convoqué par Bismarck, chef du gouvernement de l’empereur allemand Guillaume II, la Conférence de Berlin réunira la totalité des chefs d’états européens avec en arbitre les États-Unis. L’objectif est simple : délimiter les grands axes de la colonisation et attribuer à chaque État un territoire africain. C’est ainsi que le Sud-Ouest Africain est octroyé à l’Empire Allemand. Les premiers colons allemands ne tardent pas à débarquer sur les côtes de l’actuel Namibie. Dès 1884, plusieurs colons atteignent la baie de Luderitz et n’hésitent pas à coloniser plusieurs régions, sous l’œil incrédule des populations locales. Plusieurs tribus indigènes comme les Namas, emmenés par leur chef Hendrick Witbooi ainsi que les Hereros, voient d’un très mauvais œil le débarquement des colons allemands et décident de se rebeller contre cet envahisseur. Mais le pragmatisme européen a raison des velléités indigènes. En effet, contre l’échange de produits européens (nourritures notamment), les Hereros et leur nouveau chef Samuel Maharero acceptent de céder une partie de leurs terres. En revanche, l’autre tribu majoritaire du Sud-Ouest Africain, les Namas, ne veulent toujours pas entendre parler d’une colonisation allemande et Witbooi, bien qu’esseulé, décide de continuer la rébellion.

En 1890, le premier contingent allemand, formé de vingt et un soldats volontaires, débarque dans la baie de Luderitz. Ce sont les premiers soldats à poser le pied en Afrique. D’autres suivront rapidement, si bien qu’en 1891 le Sud-Ouest africain est presque entièrement colonisé. Mais en 1893, le conflit se durcit. Witbooi et sa guérilla refusent toujours le protectorat allemand, il est temps pour les Schutztruppen (troupes de protection) d’éradiquercette menace. Les villages Namas sont pris pour cible et près d’une centaine d’indigènes (hommes, femmes et enfants) sont tués. Devant cette terrible défaite, Witbooi jette les armes et finit tant bien que mal par accepter le protectorat allemand…. mais pas pour longtemps ! En effet, les Hereros, dépossédés de leurs terres, humiliés par les colons et quasiment réduits à l’esclavage, décident, sous la tutelle de leur chef Samuel Maharero, de s’émanciper du protectorat allemand. Ils se lancent alors dans une reconquête de leurs terres, n’hésitant pas à utiliser le peu d’armes qu’ils leur restent pour chasser les colons allemands des villages hereros comme Okahandja. Les Namas de Witbooi, qui attendaient depuis bien longtemps le soulèvement de leurs ennemis ancestraux contre les forces allemandes, se joignent bien évidemment à la rébellion. Ils pratiquent notamment des actions de sabotage sur des voies de chemins de fer, certes construites de leurs mains, mais sous domination allemande.

Mais en 1904, l’empereur Guillaume II nomme Lothar Von Trotha, commandant des forces coloniales dans le Sud-Ouest Africain. Cruel et sans pitié, Von Trotha veut éradiquer définitivement les indigènes. Premier fait d’arme pour le tout nouveau général, il stoppe net les forces rebelles à Waterberg et les obligent à se réfugier dans le désert. Mais la bataille ne sera gagnée que lorsque que le (la) dernier(e) indigène sera mort(e). Von Trotha ordonne l’empoisonnement de tous les points d’eau du désert, et précise bien que tout indigène aperçu par un soldat allemand doit être systématiquement abattu (qu’il soit homme, femme ou enfant). Mais, contesté pour ces méthodes jugées trop brutales, Von Trotha reçoit l’ordre de parquer les populations indigènes dans les premiers camps de concentration de l’histoire. Dans une période ou le Darwinisme social est en plein essor, certains médecins allemands n’hésiteront pas à réaliser diverses expériences sur les corps sans vies des populations indigènes. L’Allemagne renoncera définitivement à ses colonies en 1919, suite au Traité de Versailles. Placé sous protectorat Sud-Africain, le Sud-Ouest Africain ne deviendra Namibie qu’en 1990.

Cartographie de l’oubli

Des Hereros contraints à l’esclavage – BO TRAVAIL – Droits réservés

L’histoire dramatique du Sud-Ouest Africain et de ses populations locales est superbement retranscrite dans le premier roman particulièrement réussi de Niels Labuzan : Cartographie de l’oubli. A travers deux histoires éloignées par le temps mais si proche, Labuzan nous plonge dans cette période trouble de l’Afrique. Le roman s’ouvre sur la commémoration du génocide des Hereros, nous sommes en 2004. Le narrateur, un jeune métis namibien s’interroge sur la mixité dont il fait partie. Issus de plusieurs générations allemandes dont une prend sa source lors de la colonisation. Il s’interroge sur son pays, sur son histoire et son destin. Il tente de comprendre par quelle folie les colons allemands ont été aussi féroce et cruel avec les indigènes. En parallèle, nous suivons l’histoire d’un jeune soldat allemand, Jakob Ackermann, débarqué en Namibie avec 20 autres soldats, tous issus du premier contingent à avoir été envoyé en terre africaine. Avec lui, nous sommes plongés dans une nature grandiose, nouvelle et parfois hostile.

Embrigadé dans une guerre qu’il ne contrôle pas, ce jeune soldat va tenter d’exister au sein d’une population qui le méprise non pas pour ce qu’il est mais pour ce qu’il représente. Au delà de l’histoire principale , la force première du roman s’établit dans la façon de raconter l’oubli. C’est en effet l’un des thèmes majeurs du roman, ne serait-ce que par son titre. Mais c’est surtout toute l’Histoire du Sud-Ouest Africain qui a été oubliée. Rappelons que le génocide des Hereros n’a été reconnu qu’en 1990. La nature africaine est également très présente, l’histoire se développant dans un environnement hostile qu’il faut apprivoiser. Niels Labuzan n’hésitera d’ailleurs pas à comparer son roman au chef d’œuvre de Terence Malick La Ligne Rouge car, comme dans le film, il y a un lien très fort entre les populations indigènes et Jakob, le personnage principal du roman. Si l’on devait faire un petit reproche à Niels Labuzan, mais également à de nombreux auteurs qui se sont aventurés à écrire sur l’Afrique, c’est qu’une nouvelle fois on met en lumière la face terrible du continent africain, les massacres, le traitement infamant des noirs, les conflits armés… Dans Cartographie de l’oubli, la tragédie du génocide est vue frontalement. On n’aurait clairement pu se passer des descriptions atroces des corps mutilés, du sang… En littérature, on sent d’avantage l’horreur quand elle est décrite de manière transversale. Écrire l’horreur aussi frontalement, en mentionnant le moindre détail sordide est dangereux. Récemment, l’artiste et écrivain Gaël Faye, auteur lui aussi d’un très bon premier roman Petit pays, déclarait : «  on écrit souvent sur le malheur en Afrique. On devrait aussi raconter les contemplations, le bonheur, les petits rien…  ».

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