LITTÉRATURE

La rentrée de Salman Rushdie

Cette rentrée littéraire fait honneur à un conte venu d’Amérique. Reprise du motif des mille et une nuit, Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits est le dernier récit de Salman Rushdie, professeur à l’université de New York et chevalier des arts et des lettres depuis 2007.

Salman Rushdie, déjà connu pour son roman Les enfants de minuit ou bien pour les Versets sataniques, qui lui ont valu d’être l’objet d’une fatwa en 1989, revient ce mois-ci aux éditions Actes Sud avec un conte dans la veine du réalisme magique. Mêlant faits réels et légèreté fictive, l’auteur s’illustre ici dans un canevas complexe où s’allient, sous une histoire d’amour unissant un mortel et un être surnaturel, des réalités différentes, dans lesquelles se croisent des personnages magistraux. L’une des forces de ce conte tient en l’approche très humaine des protagonistes, approche qui n’hésite pas à mettre en relief leur part d’ombre et de vices, principal moteur pour les rebondissements d’une intrigue s’étalant sur plusieurs décennies. Suivre l’embrasement d’un couple mythique puis le devenir de sa lignée, devient alors un voyage troublant où le surnaturel se glisse à chaque page, comme une évidence, et nous invite finalement à nous détacher d’un réalisme castrateur pour nous complaire dans un espace où l’imaginaire devient l’unique loi.

Le monde commun, sous la plume de Salman Rushdie, vibre alors et dévoile sous couvert de références mythologiques, des personnalités extraordinaires dans les corps les plus simples. Ces vivants, inadaptés au monde qui les supportent, se détachent peu à peu de ce dernier, de manière inconsciente, et s’éloignant de cette matérialité, pénètrent dans le monde des idées. En effet, ce conte est avant tout une maturation profonde de l’être, recherche du Moi, de ses forces intimes, souvent inconscientes, qu’il faut réveiller d’un long sommeil. Cette traversée aussi réelle qu’un rêve, invite à lâcher prise au fil de ces mille et une nuits modernes et offre un visage neuf de ce que peut-être une métamorphose intime, faisant s’embrasser longuement toutes sortes de croyances occidentales et orientales, symphonie étrange et sublime de voix héroïques qui transcendent mortels et entités surnaturelles dans un même instant de grâce.

Si l’alliance du mortel et du suprême paraît au commencement être une énième reprise d’un lieu commun en littérature, le génie de Salman Rushdie est d’amener le lecteur à comprendre que l’alliance de ces deux êtres, ne tient pas en leurs différences d’origine, mais bien en la ressemblance de l’intensité à laquelle ils se livrent tout entier, dépassant leur condition respective et les amenant à se reconnaître au travers des siècles en des corps successifs qu’ils empruntent, puisque la vie n’est qu’un éternel recommencement, comme nous le confie cette histoire. Leçon d’humilité, ce conte invite ainsi celui qui le lit, à renouer avec la part sacrée de rêve et d’idéal qui sommeille en lui.

Maître ès lettres. Passionnée par la littérature et les arts | m.roux@mazemag.fr

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