LITTÉRATURE

Jamais plus

Ce mois-ci, les impressions d’un nouveau roman fraîchement sorti : Jamais plus, de Laure Arbogast.

laurearbogast.blogspot.fr

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Jamais plus, c’est le nom français d’une chanson, Nevermore, qui nous évoque le célèbre poème d’Edgar A. Poe. Voici un extrait de ce roman, que l’on peut trouver via le lien au bas de cet article :

« MÉMOIRES

Je dédie ces quelques lignes à moi-même.

S. Ollivier

 Plût au ciel que le lecteur trouve, sans se désorienter, son chemin abrupt et sauvage, à travers les marécages désolés de ces pages sombres et pleines de poison.

Il n’est pas bon que tout le monde lise les pages qui vont suivre ; quelques-uns seuls savoureront ce fruit amer sans danger.

Mais avant de vous inviter dans mon univers déjanté, permettez-moi d’abord de me présenter :

Syd Ollivier, comte de Toulon, enchanté.

Né le 27 août 2000 à Brocéliande Paris (version officielle).

Né d’une bouteille de trop vidée la nuit du passage au nouveau millénaire (version officieuse).

Âge : 13 ans.

Ville où je (sé)vis : Pandémonium Sanary (Toulon), petite ville du bord de mer éclaboussée de soleil au parfum de Californie, paradis des palmiers et des surfeurs.

Père : artiste maudit. Du moins, c’est ce que je croyais jusqu’à une date récente. J’ai maintenant tendance à privilégier la version alcoolique notoire disparu dans la nature quand j’avais six mois.

Mère : à mi-temps. L’autre moitié du temps, Nancy Ollivier, hôtesse de l’air.

Famille : juste ma mère les Privat.

Amis : Stan, Stan, et puis Stan. Et encore Stan. Ah ! j’oubliais : Stan.

Animaux : un vieux chat sauvage noir comme l’Enfer répondant au doux nom de Smith, dont Nancy n’a jamais réussi à se débarrasser en dépit de ses nombreuses tentatives. Ce démon ne semble pas garder rancune au tuyau d’arrosage avec lequel elle l’asperge dès qu’elle l’aperçoit, il revient encore et toujours. Je nourris aussi tous les chats du quartier.

Signe astrologique : vierge. Plus pour longtemps, faites-moi confiance.

Signe chinois : dragon. Principal atout : la chance, surtout pour les autres. C’est le signe le plus puissant. Évidemment.

Cheveux : en fonction des saisons. Actuellement, blond platine.

Yeux : bleus. Du moins jusqu’à ce que je change mes lentilles.

Taille : 1,49 mètre c’est là où le bât blesse. Mais je suis beau gosse, ça compense.

Qualités : toutes. Défauts : aucun.

Je suis à la fois bénit et maudit par mon manque de timidité.

Ne me demandez pas quel jour on est, quel temps il fait, à quelle heure j’ai rendez-vous : je n’en ai pas la moindre idée.

La partie de moi que je préfère : Stan, probablement.

Surnoms : « Syd, le Roi des Propos Acides ». Ou encore : « Le Roi de la Castagne ».

Et mon préféré : « Le Roi des Elfes ». Il paraît que mon nom de famille vient de l’olivier, le roi des arbres, symbole de tout un tas de trucs : la sagesse (mais oui), la paix universelle (bof), la victoire (évidemment), sans oublier la longévité. Je vivrai vieux, c’est sûr. Merci chère mère.

Autre théorie encore plus alléchante : mon destin est d’entrer dans le club très fermé des Immortels de l’Académie Française (la consécration ultime), dont le célèbre habit vert est brodé de rameaux d’olivier (en plus il y a une cape et une épée, la classe !).

Livres préférés : Les Fleurs du mal, de Baudelaire, L’Histoire sans fin, de Michael Ende.

Films préférés : Star Wars IV à VI, Retour vers le futur, Le Seigneur des anneaux (que des trilogies, pourquoi ?).

Religion : Lautréamont.

Régime alimentaire : pizzavore.

Boisson préférée : Jack Daniel’s.

Passions : les fringues et l’art sous toutes ses formes.

Matière préférée : le français.

Matières détestées : toutes les autres. Le sport et moi n’avons jamais trouvé de terrain d’entente.

Passe-temps : lire ; écrire à la tombée de la nuit et au lever du jour ; regarder les étoiles (le spectacle est gratuit) ; regarder pousser l’herbe ; en faire pousser. 

Professions : kleptomane, furieux fêtard couche-tard lève-tard, vendeur de rêve et fouteur de bordel notoire.

Activités annexes : diverses et variées. Dernières en date : vendeur de pop-corn au cinéma municipal, nettoyeur de tombes, gardien de barrière au parking de Sanary, vendeur de journaux, collégien (quatrième), dame-pipi.

Devise : osons prendre nos rêves pour la réalité. 

Ambition : devenir le plus grand des poètes après Rimbaud. Et surtout : conquérir l’Amérique. »

    Amis lecteurs, sachez que l’on nous trompe. Le résumé nous trompe, les extraits offerts nous trompent. Non, ce n’est pas simplement l’histoire d’un gosse trop insolent pour son âge, trop rebelle pour son âge, trop cultivé pour son âge, soit 13 ans. Non, ce n’est pas non plus l’aventure énergique de cet ado anachronique et punk, à qui il arrive des choses trop improbables pour être vraies même avec une dose incroyable de chance et de culot, à savoir son groupe de rock, sa vie de junkie à 15 ans, le tout mêlé à de nombreuses références qui sonnent un peu trop littérature, un peu trop cliché. En ouvrant le livre, tout se dissout lentement au fil de la lecture : les étranges manières du narrateur, les affirmations semblant quelque peu incohérentes, même l’idée du personnage de Syd, qui ne fait, je le maintiens, pas son âge. En réalité, nous n’avons pas seulement affaire qu’au journal de ce dernier, mais aussi à celui d’un autre personnage, Gabriel, une petite dizaine d’années plus tard. Et notre vision change du tout au tout.

    Tous deux nous racontent leurs histoires, directement, dialogues inclus, mais celles-ci ne sont pas détachées. En effet, Gabriel reçoit pour mission de reconstituer le journal de Syd, ancienne étoile noire de la musique morte à 18 ans, dans le but de le publier pour que tous connaissent son histoire. Des personnages s’y croisent, des similitudes apparaissent, 4 ans séparent la mort de Syd et le début du journal de Gabriel. Les blessures sont encore fraîches, les anciens amis du premier vivent encore avec son souvenir et le second baigne dans cette atmosphère passée. Mais rien n’est triste, tout tangue, l’histoire de Syd qui est à son image, révoltée, insolente, contamine l’autre vie, l’envahit jusque dans la répartition des chapitres, ou elle prend de plus en plus d’espace et d’importance. On est pris dans un tourbillon de folie, de musique, aux multiples références littéraires teintées de fumée de joints, au goût âcre de cigarette et d’alcool, où se croisent Rimbaud, Baudelaire, Lautréamont, et tant d’autres. Car Syd écrit. Des poèmes, son journal, mais pas seulement. Il continue par des chansons, mais pas seulement. Il dessine un peu, se déguise aussi, et voudrait être poète. Maudit, de préférence. Et il est extrêmement cultivé. Aucune page n’est épargnée, il y aura toujours des références, des empreintes d’illustres groupes musicaux, de films mythiques, souvent expliqués par les bienvenues notes à la fin du livre. Tenez, son propre prénom, Syd. En hommage à Sid Vicious, et aussi un peu au premier chanteur des Pink Floyd. L’auteur s’en amuse, dissémine même quelques clins d’œil au lecteur connaissant un tant soit peu sa propre biographie.

    Mais à cet étrange mélange hors genre se mêle un peu de superstition mystique, autour d’une guitare, d’une boutique d’antiquités, et quelques descriptions de villes françaises. On oscille entre réalisme et fiction rêveuse au sujet d’un monde révolté qui a existé mais fortement décliné, sinon disparu, depuis quelques dizaines d’années. L’impression est quelque peu étrange mais on en est imprégné, immergé totalement parmi les drogues de plus en plus dures, le rythme changeant et la musique, la musique qui nous envahit sans pourtant qu’on n’y connaisse goutte, à ces monstres de punk ou de rock. L’humour et le cynisme se succèdent, et chaque chapitre se termine d’une manière sublime par un mot, une phrase, quelque chose qui va vous couper le souffle. Ça surprend, à chaque fois, les lignes bien découpées nous rendent délicieusement impatient, à chaque fin de chapitre une bombe. Les personnages sont intéressants, surtout les principaux, évidemment, hantés quelque peu par des démons dont ils n’arrivent pas à se défaire, mais toujours sur le fil, continuant d’avancer. Les liens se font, se défont, en une explosion permanente de surprises, de bons mots, on y croit. « Tout ce dont j’ai envie c’est de tomber dans les bras de Morphée […]. Je tombe dans les bras de la Morphine. » et autres « Si un jour il pleut de la soupe tu seras le seul avec une fourchette. » amusent et côtoient tant d’autres trouvailles.

    Et ce qui est beau, c’est que malgré le caractère bancal, profondément encrassé de désillusion de Syd, jamais il ne tourne à la médiocrité. Il se montre comme il est, décrivant sa vie de junkie qui finit par l’ennuyer, souvent conscient de devenir une loque à même pas 18 ans. Sa manière de faire des fiches décrivant ses amis qui gravitent autour de lui est agréable aussi, sa manie de voler un peu tout et n’importe quoi, étrange. Mais il nous tient, sa vie est étrange aussi, alors pourquoi pas. Les chansons sont belles, dommage que notre imagination ne puisse se les représenter à l’oreille, prenons-les comme des poèmes. Oublions le reste et laissons son culot tout emporter. On vit une belle aventure, rock’n’roll, à l’américaine ou à l’anglaise, et pourtant en France, en traversant Arles, le Sud de la France, au gré des tournées, jusqu’à Honk-Hong ou au Japon.

    Jamais plus m’a laissé une forte impression. J’abandonne le rôle de critique presque objective, ai-je le droit ? Je me suis nourrie dans ma courte vie de contes merveilleux résolument séparés du réel, de récits fantastiques en équilibre et d’histoires désabusées ancrées dans la vraie vie. Mais Jamais plus est singulier : des personnages comme Syd, on ne s’attend plus à en trouver, des chanteurs maudits et belliqueux, poètes dans l’âme et jamais brisés. Attachés à leur rêve de triomphe artistique et leur machine à écrire. Des guitares mythiques et des symboles de grands groupes musicaux voués à l’adoration éternelle. La provocation selon Rimbaud. Et pourtant, punk is not dead and rock will never die. L’esprit se perpétue, l’attente des fans de Camden Town est tremblante. Et Syd Camden apparaît, crache ses failles sur la scène, déchaîne la foule, attire l’attention et éveille l’intérêt. Son histoire, elle est en marge, et elle est efficace. Elle envoûte.

Alors si ce qui précède vous tente, si vous avez envie d’autre chose que ce qui vous entoure, allez-y. Procurez-vous ce livre, lisez-le, vibrez.

Parce qu’une époque est peut-être morte, mais l’esprit est toujours là.

The show must go on.

Ici, le blog de l’auteur : http://laurearbogast.blogspot.fr/p/jamais-plus.html

Pour y trouver toute information relative à ses deux romans, sa vie publique, et même la contacter directement, ouah !

Aime la culture, TOUTE la culture, et l'anonymat. Pas facile d'en faire une biographie, dans ce cas. Rédactrice et Secrétaire de Rédaction pour Maze. Bonne lecture !

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