LITTÉRATURE

« Je me promets d’éclatantes revanches » – Portrait intime

Avec Je me promets d’éclatantes revanches, Valentine Goby raconte la résistante et poète Charlotte Delbo, à travers ses textes.

C’est en faisant des recherches et en interrogeant une survivante de Ravensbrück pour son livre Kinderzimmer que Valentine Goby entend parler de Charlotte Delbo. Résistante, déportée, survivante des camps, poète, Charlotte Delbo avait été relativement oubliée après les années 1980 jusqu’en 2013, centenaire de sa naissance. À cette occasion, la publication d’une biographie avait permis de faire connaître son parcours et son oeuvre. Avec Je me promets d’éclatantes revanches, Valentine Goby ne propose pas une nouvelle biographie, mais embarque le lecteur dans un voyage personnel, un voyage dans le texte de Charlotte Delbo. C’est une Charlotte Delbo lue par Valentine Goby que nous découvrons, à travers les textes imbriqués de ces deux auteurs.

Charlotte Delbo est arrêtée en 1942, en même temps que son mari Georges Dudach. Lui est fusillé, elle déportée. Elle fait partie du convoi du 24 janvier 1943 qui mène les prisonnières vers Auschwitz. Elle sera ensuite emmenée à Ravensbrück. Elle décide alors, si elle survit aux camps, d’écrire, de décrire, l’horreur. Mais comment dire l’indicible, comment nommer l’innommable ? Charlotte Delbo surmonte ces obstacles et brise la barrière de la langue, elle « lutte contre l’impuissance de la langue : il n’y a pas d’indicible, clame-t-elle, elle le répète de poème en poème, pliant la langue à son projet sans en nier la folie » (p.11). Mais elle est confrontée à un cruel paradoxe :

« Parler d’Auschwitz, c’est presque démentir l’expérience qu’on rapporte, puisque dans les conditions que les déportés relatent, écrit-elle, détournant un vers d’Apollinaire, “aucun de nous n’aurait dû revenir.” Braver l’obstacle de la langue, c’est être aussitôt suspecté de tronquer le réel…

[…] mieux vaut ne pas y croire

à ces histoires

de revenants […]

qui reviennent

sans pouvoir même

expliquer comment. » (p.80)

Charlotte Delbo ne veut pas seulement que le·a lecteur·rice sache, elle veut qu’iel voit. Elle veut qu’iel entre dans Auschwitz, quand, elle, grâce à l’écriture, en sort. Elle n’a pas vraiment quitté Auschwitz quand elle est revenue en France en 1945. Elle y était encore. Elle avait froid, elle avait faim, elle souffrait.

« […] la vie m’a été rendue

et je suis là devant la vie

comme devant une robe

qu’on ne peut plus mettre. » (p.135)

Le retour à la vie a pris du temps et c’est grâce à l’écriture qu’elle est parvenue à surmonter les obstacles qui s’opposaient à ce retour. Charlotte Delbo se libère d’Auschwitz par l’écriture, elle retrouve sa liberté, se délivre. Ce n’est qu’après qu’elle revit. Elle enfile cette robe qu’elle ne pouvait plus mettre et se débarrasse de ce qui lui restait des camps :

« Peut-être que, en l’écrivant, je le projette hors de moi. » (p.112)

C’est cette volonté de vivre sans Auschwitz que nous raconte Valentine Goby. Cette soif de vie qui en a surpris plus d’un·e, tant on croit que les rescapé·e·s ne peuvent réellement sortir des camps. Charlotte Delbo, elle, en est sortie grâce au pouvoir libérateur de l’écriture.

« On dirait d’elle avec des mots d’aujourd’hui qu’elle fut un électron libre […] superbe, exigeant, incompris sans doute, rebelle à toute cage, et sa foi inouïe en l’écriture était une déclinaison de sa foi en la vie, ou plus précisément, en la possibilité de renaître – même des cendres de Birkenau. Ses revanches me tiennent debout dans les tempêtes du monde. » (p.163)

Je me promets d’éclatantes revanches, c’est le portrait d’une femme par une autre femme. C’est le portrait d’une femme qui a choisi la joie, par une femme qui a été touchée par ce choix. C’est un portrait intime, où nous lisons autant en Charlotte Delbo qu’en Valentine Goby. Un bel et tendre hommage qui fait honneur à l’écriture et à la vie.

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