LITTÉRATURE

L’évasion et la jeunesse en prime…

L’évasion et la jeunesse en prime…

 

Les vacances viennent de s’achever, laissant inexorablement les jours ensoleillés derrière vous. C’est donc l’occasion de renouer un peu avec le thème du voyage, non pas uniquement celui qui transporte en des continents peu connus, mais celui du temps, qui l’espace d’un livre, s’affranchit des ans pour retrouver les souvenirs de l’enfance, ces images impérissables qui fondent à jamais l’être.   Utilisant ce paysage intérieur, Julien Viaud nous entraine dans un récit intitulé Prime Jeunesse relatant ses propres expériences.

Pierre Loti et son chat

Les premiers mots qui viennent à l’esprit dès l’évocation du nom de ”Pierre Loti” –soit le surnom de Julien Viaud qui lui fut donné en 1872 par la dernière reine de Tahiti– sont ”voyage”, ”exotisme”, ”aventure” et nombre d’autres appartenant au même registre. En effet, le thème est lancé, l’aventure est la raison d’être de cet homme passionné par tout ce que le globe terrestre abrite, qu’il s’agisse d’êtres ou bien de paysages. Sa préférence se portera néanmoins pour ces derniers, qu’il se promit, très jeune, d’explorer, afin de suivre les traces de son frère, lui aussi explorateur dans l’âme.

Fasciné par les immenses étendues, le jeune Julien découvre sa vocation avec l’une d’elle, la mer. Ensemble, ils traverseront le monde, que ce soit dans la réalité ou bien en imagination. Et quel meilleur point de départ que les rêves de l’enfance, ces images si parfaites, qui dans leur pureté, forgent les convictions et la détermination nécessaire à la réalisation des voeux les plus chers ? ! C’est ainsi que rivé sur ces visions intérieures et chimériques accumulées depuis dix-sept ans grâce à son ‘‘musée” personnel composé de trouvailles en tout genre  (oiseau empaillé, papillons séchés, livres illustrés…), Julien réussit à préserver son envie d’intégrer la Marine, quitte à mentir à ses proches qui le destinait à une école polytechnique ”je m’étais donc tout à fait soumis, en apparence du moins, pour ne pas aggraver leurs peines en insistant pour cette Marine qui, depuis la mort de mon frère, leur faisait tant de peur. Mais, au fond de moi-même, je gardais la conviction que les événements aboutiraient malgré tout à me conduire à l’École Navale ; si j’avais été l’oriental que je suis devenu depuis, j’aurais dit : « Mektoub ! » ce grand mot du fatalisme musulman qui incite à la sérénité des patiences infinies. ”

Et la patience, Julien en usera et abusera dans la première partie de sa vie, flânant dans la campagne charentaise qui bercera ses rêveries jusqu’au point d’inventer pour lui seul un langage tout entier tourné vers le royaume des sens, et des impressions proches de la transcendance. Vieillissant et connaissant ses premiers émois dans ses forêts, notamment aux abords du château de La Roche-Courbon avec une jeune gitane de passage, Julien connait les affres de la pauvreté qui s’abat sur sa famille, mais aussi de la mort, avec la disparition de ses proches qui l’incitera à ériger devant la brièveté de l’existence, des autels où s’amasseront toujours en des quantités considérables, des objets appartenant aux êtres aimés et disparus, sorte de chemin de croix fait de souvenirs qui leurs permettra d’exister par-delà l’oubli, cette seconde mort. ”C’est étrange que, à toutes les grandes émotions de ma vie, se sont toujours associés dans ma mémoire de menus objets, d’infimes détails de choses, qui ensuite ne s’en séparent plus. ” Et cette tendance à vouloir tout cristalliser, Pierre loti, devenu adulte et rédigeant Prime Jeunesse, l’a déplorera dans le court prélude précédant le récit ” […] je reconnais combien j’ai eu tort de m’entêter à ces luttes inutiles ; ne rien garder eût tellement mieux valu, brûler, brûler, puisque le dernier mot appartiendra toujours à l’oubli, à la cendre et aux vers !… ” Mais brûler ces objets de souvenirs, Pierre loti ne s’y résoudra jamais et sa maison de famille abrite encore aujourd’hui les vestiges de ses voyages et de ses rêveries d’enfances décrites dans son récit de cinquante deux chapitres.

C’est ainsi qu’à Rochefort, sa ville de prédilection, nombre de personnes se pressent chaque année pour visiter le reliquaire de cet écrivain qui fit reconstruire à l’identique des décors féeriques telle qu’une mosquée Syrienne, une chambre arabe ou bien encore un salon turc. Ces constructions fastueuses côtoient les lieux sacrés et plus dépouillés que l’adolescent de seize ans, couvé par les nombreuses femmes de la maison, arpente déjà comme s’il s’agissait d’une partie de lui-même. Part immense en vérité qui le façonne déjà dans Le roman d’un enfant précédant Prime jeunesse, et qui est l’objet d’une profonde mélancolie à l’heure du départ du domicile familial pour Paris, puis Brest. C’est dans cette poésie de la partance que Prime jeunesse s’inscrit comme une oeuvre sachant toucher chaque lecteur qui a déjà été confronté à de telles épreuves synonyme d’entrée dans la vie adulte. Et pour ne pas s’y tromper, le récit s’achève à l’aube des dix-sept ans de Julien Viaud alors qu’il embarque sur un navire nommé le Borda qui l’emporte loin de ce royaume d’enfance.

Condensé d’espoir, de tourments et d’idéalisation, ce roman porte en lui les caractéristiques premières d’un classique indémodable de part son sujet et sa qualité d’écriture. N’hésitez pas à le lire car vous y retrouverez sans nul doute une part de vous même. Si vous souhaitez le lire en ligne, sachez que ce roman autobiographique est tombé dans le domaine public et est donc disponible ici gratuitement.

Maître ès lettres. Passionnée par la littérature et les arts | m.roux@mazemag.fr

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