LITTÉRATURE

Mon Frère, le Poisson

On ne la présente plus ; Le Vieil homme et la Mer a su conquérir toutes les générations depuis sa publication en 1952. Oeuvre phare et intemporelle, sa simplicité à la fois profonde et symbolique se veut l’un des rares portrait doux de l’homme. Une histoire de compassion, de défaite et de persévérance.

Le Vieil homme et la Mer est un récit mettant en scène Santiago, un pêcheur cubain n’ayant pas eu de prise depuis près de quatre-vingt-quatre jours. Le vieil homme – comme il est adressé tout au long du livre – promet à un jeune garçon et ancien compagnon de pêche de ramener un gigantesque poisson.  Il s’éloigne donc des lieux de bancs habituels et ce qui ne se voulait être qu’une pêche chanceuse se transforme en un combat titanesque durant trois jours et trois nuits contre le plus grand et le plus bel espadon qu’il ait jamais croisé.

« Y a personne qui mérite de le manger, digne et courageux comme il est, ce poisson-là. »

Il s’appelait Hemingway

Écrivain, correspondant de guerre, ambulancier, journaliste et pêcheur, Ernest Hemingway est né en 1899 en Illinois. Il publiera entre 1926 et 1952 pas moins de sept romans, six recueils de nouvelles et deux récits autobiographiques. Cet ouvrage lui vaudra de prestigieux prix dont le Nobel de littérature et le Pullitzer.

Il est né d’un père médecin et d’une mère d’ascendance britannique avec qui il entretiendra de houleux rapports. Il passera son enfance entre les cours de violoncelle imposés par sa mère et les virés à la maison d’été familiale en terre amérindienne, où il découvrira la vie en forêt par l’entremise de son père.

Après la guerre, il ira vivre à Cuba jusqu’en 1960 où il passera le plus clair de son temps à pêcher l’espadon, détaché du moindre vrombissement politique et social, ne présentant de l’intérêt que pour l’actualité littéraire et sportive.

 

Juilllet 1934. Havana Harbor, Cuba. Photograph in the Ernest Hemingway Photograph Collection, John Fitzgerald Kennedy Library, Boston.

 

Entre conte et mer

Le livre possède une écriture simple presque minimaliste accessible à tou·te·s comme on pourrait l’attendre d’un conte ou d’un récit biblique. Le discours du vieillard fait tout le roman, partageant dans un long monologue de trois jours sa vision tendre et humaniste des choses. Même les requins qui viennent dévorer l’espadon ne semblent pas échapper à la règle. La vision du vieil homme est humble et semble sortir de toute dualité.

Le titre de roman est parfois sujet à débat. La longueur du texte laissant davantage songer pour certain·e·s à une nouvelle. Même si celui-ci est court, les trois quarts de l’histoire concerne la pêche, permettant ainsi au lecteur de vivre et de ressentir la solitude du vieillard et sa langueur en mer.  La poésie s’amorce toujours au détour d’un paragraphe techniquement constructif, fruit de la propre expérience maritime d’Ernest Hemingway.

« L’homme, c’est pas grand-chose à coté des grands oiseaux et des bêtes. Et pourtant, ce que j’aimerais le mieux être, moi, c’est encore cette bête qui tire, là, en ce moment, dans le fond de c’t’eau noire. »

Le prénom du vieil homme n’est mentionné qu’une fois dans tout le roman, au début. Ce n’est pas tant la psychologie du personnage, mais plutôt ce qu’il représente ; l’individu n’a ici d’importance que dans son archétype. S’encombrer de noms aurait été superflu ; il est un exemple de ténacité et de dignité. Ses réflexions et sa fraternité s’insèrent dans la longue continuité des choses qu’il commente au gré des vagues. Il se sait de cette continuité et livre avec une grande humilité son récit et sa vision. Il laisse, comme il le dit, aux autres, ceux qui sont payés pour le faire, décider de ce qui est un péché ou non. Un commentaire qui semble rendre le clergé automatiquement désuet, puisque l’amour du vieil homme transcende toute notion du bien et du mal.

Le sel de la terre

Des rêves de lions, le vieux en fait pratiquement tous les soirs.  Il raconte comment une fois, alors qu’il naviguait près des berges africaines, il les a vus avec leurs corps vigoureux. Le récit met en exergue le travail manuel qui épuise le corps, mais qui constitue le sel de la terre. Le vieil homme est certes vieux, mais à l’intérieur les rugissements du lion tonnent. Il s’agit de la nature et de la noblesse des combats que l’on peut y retrouver. Cette joute entre lui et le poisson, il la considère belle, masculine, juste. Un poisson dans lequel il s’incarne et dont la mort vaudra la sienne et vice versa. Le récit pose également, par l’entremise du gamin, un portrait de la transmission du savoir. Certes le vieil homme ne peut pas lui donner ses mains tailladées, mais l’amour qu’il porte au jeunot les contient, en un sens. Et cette rareté, les deux personnages semblent en avoir conscience.

« Poisson, dit-il doucement à voix haute, poisson, je resterai avec toi jusqu’à ce que je sois mort. »

 

PETROV, Alexandre, Le Vieil Homme et la Mer, 1999.

 

L’œuvre a été adapté cinématographiquement plusieurs fois. Les images sont tirées du film d’animation du réalisateur russe Alexandre Petrov. Une coproduction entre le Japon, le Canada et la Russie aura permis de livrer un magnifique court-métrage d’animation de vingt minutes oscarisé en peinture à l’huile.

 

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