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Lire 1984 en 2018

« BIG BROTHER IS WATCHING YOU » répète le gouvernement aux personnages de 1984. Cette expression est aujourd’hui entrée dans le langage courant comme le symbole des atteintes aux libertés fondamentales ou des dérives autoritaires. En 2018, la politique de Donald Trump, la série Black Mirror ou encore certaines émissions de téléréalité font écho au roman de George Orwell de manière inquiétante.

Ecrite en 1949, cette satire dépeint un monde totalitaire après une guerre nucléaire en 1984 à Londres. Le métier de Winston Smith, le personnage principal, consiste à réécrire des passages d’articles du Times. L’Histoire doit en effet s’adapter, rétroactivement, aux déclarations du Parti. Persuadé qu’une résistance à la dictature est possible, il tentera de se soulever face au pouvoir de Big Brother en rejoignant la Fraternité, organisation nébuleuse terroriste.

Extraits de 1984 où la “doublepensée” permet de croire à une chose et son inverse. © CDB / Maze

 

Le novlangue

Parmi les inventions du Parti pour asservir les foules, le novlangue est sans doute la plus terrifiante – et la plus actuelle. Syme, ami de Smith, travaille à l’élaboration de cette nouvelle langue qui modifie et supprime des mots.

“Syme (…) continua :

– Ne voyez-vous pas que le véritable but du novlangue est de restreindre les limites de la pensée ? A la fin, nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer. Tous les concepts nécessaires seront supprimés chacun exactement par un seul mot dont le sens sera rigoureusement délimité.”

_ 1984, éditions Folio, page 79

Supprimer des mots inadéquats avec les idées politiques du pouvoir en place résonne aux Etats-Unis. Donald Trump, en décidant de ne plus utiliser les mots “fœtus”, “transgenre” ou “diversité” dans les textes de lois nie ces réalités.

Le philosophe Merleau-Ponty écrit : « Exprimer pour un sujet parlant, c’est prendre conscience. Il n’exprime pas uniquement pour les autres mais pour savoir lui-même ce qu’il vise ». Cette idée de but, de visée est déterminante dans le choix des mots en politique et dans les textes officiels. Quand le président américain décide de ne pas nommer les personnes transgenres ou les diverses origines culturelles de son pays, il rend invisible les enjeux qui entourent les populations. La manipulation de la parole en politique existe, qu’on la déplore ou non, par essence. 1984 établit clairement la dangerosité d’une telle manipulation dans un monde moderne.

Le télécran

Dans le roman, tous les habitants de Londres, dans la rue mais aussi chez eux, sont surveillés.

« Le télécran recevait et transmettait simultanément. Il captait tous les sons émis par Winston au-dessus d’un chuchotement très bas. De plus, tant que Winston demeurait dans un champ de vision de la plaque de métal, il pouvait être vu aussi bien qu’entendu ».

_ 1984, éditions Folio, page 13

Cette observation électronique rappelle de nombreuses productions artistiques récentes. Les télécrans sont partout dans la saga Hunger Games. Les habitants sont épiés et épient. Le Capitole transmet ses messages via des copies du télécran.

Dans la série Netflix Black Mirror, et notamment l’épisode « 15 millions de mérites », le spectateur est embarqué dans un monde gouverné par les écrans intelligents, qui s’assurent que les personnages les regardent. Les exemples pourraient continuer ainsi ; mais la réalité dépasse la fiction.

Diffusée en 2001 et 2002, le logo de Loft Story montre un oeil prêt à épier. © Endemol

 

Loft Story ou Secret Story reprenaient quasi identiquement le concept du télécran. Les candidats entraient de leur plein gré dans un espace clos pour y être observés, surveillés mais aussi commandés par « la voix », invisible maître du jeu. Les ressemblances sont d’autant plus troublantes en apprenant que ces deux émissions sont dérivées d’un concept néerlandais de 1999 de téléréalité appelé… Big Brother.

Le monde de l’Océania

Le monde totalitaire pensé par Orwell peut être décortiqué, analysé à l’infini comme une satire des totalitarismes européens des années 1930. Mais il agit aussi comme le miroir des failles démocratiques et des dangers de la technologie sur l’Homme. 1984 demeure encore aujourd’hui un livre à lire ou à relire pour garder un regard éclairé sur le monde.

 

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