ARTLITTÉRATURE

Riad Sattouf, le dessin écrit

Mis à l’honneur dans une exposition au centre Pompidou jusqu’au 11 mars, qui retrace tout son parcours, Riad Sattouf s’est avant tout fait connaitre grâce à sa BD autobiographique l’Arabe du Futur.

L’exposition, qui a lieu à la BPI (bibliothèque publique d’information du centre Pompidou), retrace le chemin de Riad Sattouf  : aussi bien écrivain, dessinateur, réalisateur, historien et sociologue…  De son premier ouvrage Petit Verglas aux Cahiers d’Esther en passant par ses films Les Beaux Gosses ou Jacky au Royaume des filles, il n’a eu de cesse de questionner les archétypes de notre société contemporaine. Le succès retentissant de l’Arabe du Futur fusionne toutes ces interrogations sur la base de l’autobiographie dessinée, à la fois discrète et éclatante.

Rapporter le réel à travers des yeux purs

L’arabe du Futur, ce sont quatre volumes racontant l’enfance de Riad Sattouf  en Libye, en Syrie et en Bretagne, dans les années 1980-1990. Très rapidement, il est possible de rendre compte d’une extrême violence entre les enfants. Une violence qui effraie mais qui semble naturelle et fondamentale dans l’élaboration des relations à l’école. Une violence qui est facilement relayée par les adultes, notamment les professeurs en Syrie et leurs coups de bâton intempestifs.

Le petit Riad est blond, et de ce fait, ses camarades d’école syriens le harcèlent pensant qu’il est juif (ce qui est très mal vu, notamment à cause du conflit Israélo-Palestinien). Il est également présenté comme introverti, fayot et très doué en dessin, ce qui fait de lui le sujet de moqueries à l’école, en Bretagne. Il fait face à de nombreuses insultes homophobes. Dans un cas comme dans l’autre, la violence que manifestent les enfants semble complètement dénuée de sens.

L’auteur illustre très bien la reproduction, par les bambins, des comportements parentaux et sociétaux. Dès lors, ces scènes deviennent absurdes, personnes ne sait ce que veut réellement dire «   pédé  », ce qu’est la religion juive ou même ce que signifie la première sourate du Coran. C’est par le regard de l’enfant que passe la grande ironie de Riad Sattouf. On pourrait presque parler d’ironie paradigmatique dans le sens où il y a un manque total de logique dans les raisonnements, quelque chose qui est souvent propre au discours des enfants.

De par ce regard transparent sur le monde, les vices en ressortent  plus forts et  plus percutants, l’amusement, aussi. Les lect.eur.rice.s suivent la narration du petit Riad avec la même candeur et la même incompréhension. L’intérêt pour l’enfance, et la construction qui s’y produit, est un thème récurrent chez Riad Sattouf. Déjà, dans ses dessins, à l’école d’art appliqué de Nantes puis aux Gobelins à Paris, Riad Sattouf manifestait le goût pour les petits personnages vivant de grandes aventures. On retrouve cela dans Les Cahiers d’Esther, dans certaines pages de La Vie Secrète des Jeunes et aussi dans Petit Verglas.

Déconstruire la virilité et l’image du père par l’humour

Ces quatre volumes traitent surtout du cheminement psychologique et politique du père de Riad  : Abdel-Razak. Au fur et à mesure, il passe de la volonté de modernisation du Moyen-Orient à la radicalisation religieuse. C’est un personnage qui dérange mais auquel on s’attache, notamment grâce au dessin doux de l’auteur. Les hommes, dans L’Arabe du Futur, sont sans cesse mis en confrontation avec les stéréotypes des sociétés patriarcales Libyenne, Syrienne et Française. Que ce soit l’image des dictateurs Khadafi et Al-Assad, l’oncle de Riad toujours très fier ou le grand père de Riad plutôt libidineux  : l’affirmation de la virilité semble être un pilier essentiel à la construction identitaire des personnages masculins.

C’est une thématique que l’on retrouve dans d’autres de ses œuvres  : Pascal Brutal, les Pauvres Aventures de Jérémie, ou encore dans ses films Les Beaux Gosses et Jacky Au Royaume des filles (ou le schéma est inversé). D’ailleurs, dans le personnage de Pascal Brutal, l’auteur explique que l’on peut y repérer un savant mélange du capitaine Haddock et de tous les héros de VHS des années 1980 allant de Sylvester Stallone à Conan le barbare (leitmotiv de la virilité dans l’Arabe du futur). Cette virilité oppressive est mise en relation directe avec le statut des femmes  : soumises, pieuses, aux mœurs tout aussi codifiées que celles des hommes.

Cela donne des histoires cruelles racontées avec une neutralité enfantine naturelle, comme par exemple l’histoire de sa cousine Leila, qui se fait tuer par sa famille après être tombée enceinte hors mariage, alors qu’elle était veuve d’un premier mari. La remise en question de ces codes genrés s’effectue à travers les nombreux échanges entre Riad et son père, concernant leur sens et leur crédibilité. Elle passe, également, par les interventions, tantôt discrètes, tantôt affirmées, de la mère de Riad : Clémentine. En réalité, le personnage de Clémentine agace tout autant que celui du père, notamment dans les tomes 1 et 2 car elle semble subir la radicalisation lente mais visible du père.

Ce qui est fort, dans l’écriture de Riad Sattouf, c’est la possibilité de s’identifier au narrateur enfant face à l’impossibilité de lier ce narrateur à la personne de l’auteur. C’est un phénomène étrange qui se produit : le dessin rond et coloré vient annihiler le propos autobiographique et perturbant de l’auteur. Le côté romanesque, presque picaresque, de cette BD, questionne le lecteur sur la vérité des aventures racontées. Pourtant, celle-ci sont bien vraies, tout comme les histoires de La Vie Secrète des Jeunes ou comme les anecdotes des Cahiers d’Esther. Riad Sattouf serait le porte-parole des enfants qui nous observent.  

Le style Sattouf

Dans l’observation de ses dessins de jeunesse, on peut croiser plusieurs styles graphiques. Au lycée, certains feuillets étaient très sombres, aux allures gothiques. Dans les commentaires du catalogue, il explique sa fascination pour Mœbius et ses univers post-apocalyptiques, remplis de détails extravagants. A cette période, l’auteur évoque son goût pour les scènes cauchemardesques dessinées à l’encre de Chine. Lors de ses études d’art, il se familiarise avec l’encre colorex (matériau courant en bande-dessinée).

En ressort une impression d’album de Tintin, de paysages travaillés, de personnages pittoresques, d’aventures folles. Hergé, et son personnage du Capitaine Haddock, est une marotte pour Riad Sattouf. Aussi, il prend un soin tout particulier à travailler l’expression des visages, clé de voûte de la compréhension dans la BD. La rondeur de son trait permet une liberté totale dans les expressions des visages. Elle devient le vecteur d’attachement entre le lecteur et les personnages. On peut aussi déceler un clin d’œil à Marjane Satrapi  et sa BD Persepolis (2000-2003)  : dans la noirceur et la courbe des traits. Même s’il est écrit dans le catalogue de l’exposition qu’à la connaissance du recueil de Satrapi, Sattouf aurait voulu attendre 20 ans avant de publier sa BD sur le Moyen-Orient.

Par ailleurs, les contes symboliques, les petites histoires et les rêves apportent une certaine poésie au style de l’auteur. L’enfance de Riad est souvent alimentée d’un imaginaire riche  : le dieu George Brassens, le paradis des bananes, les cauchemars avec le taureau de son père… ce symbolisme poétique s’est manifesté, en grande partie, dans sa BD Pipit Farlouze racontant l’évolution de jeunes oiseaux. Là encore, Sattouf s’inspire des plus grands  : Jung, Bonneval et Oiry. Les couleurs employées dans les tomes installent cet aspect de contes cruels  : le rose, le rouge, le vert, le bleu et le jaune.

De cette exposition et de cette œuvre, on comprend que Riad Sattouf se penche principalement sur le souci de construire son identité au milieu de tout un tas d’obligations sociales trop lourdes pour des enfants. Le regard naïf apporte une sorte de reconfiguration de la société, une observation qui rend tout absurde mais important. L’écriture dessinée de Riad Sattouf s’inscrit dans un genre de BD pluriel  : historique et autobiographique, amusant et cruel, coloré et épuré.

Etudiante en master de journalisme culturel à la Sorbonne Nouvelle, amoureuse inconditionnelle de la littérature post-XVIIIè, du rock psychédélique et de la peinture américaine. Intello le jour, féministe la nuit.

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