LITTÉRATURE

L’Amour au beau fixe entre HTML et Littérature !

L’amour est dans le Web – Souvenez-vous, c’était en 1985.

«  Voulez-vous prendre pour époux Mr HTML ici présent ?  » A ces mots, Mademoiselle Littérature – robe blanche et fleur épanouie posée sur les cheveux- avança une main tremblante puis acquiesça, pour le meilleur et pour le pire. Les anneaux échangés, un concert d’applaudissements retentit suivi d’un lancer de colombes pixelisées qui scella l’union finement menée des Belles lettres au tout puissant dieu Numérique, sous les alcôves fictives et insaisissables du net. Vingt-neuf ans ans plus tard, nous avons décidé de voir ce qu’ils sont devenus !

Mike Licht

“Au cyber café”, de Mike Licht, d’après un tableau de Jean Béraud.

Penchée à sa fenêtre, c’est une Littérature transformée que nous retrouvons désormais alors que monsieur 2.0 ne cesse de nous surprendre par ses avancées technologiques. Établie dans l’une de ses résidences secondaires située en pays Androïdien, Madame Littérature nous a en effet reçu pour nous éclairer sur la métamorphose de l’objet littéraire en ce XXIème siècle naissant. Venant à notre rencontre en quelques microsecondes, c’est dans les jardins de son domaine que nous avons donc entamé la discussion.

Maze – A l’heure actuelle, le devenir de la littérature fait beaucoup parler de lui avec l’avènement de la sphère numérique. Vous qui êtes la gardienne des chefs d’œuvres du monde entier, qu’en pensez-vous ?

Mme Littérature – D’aucuns parlent du déclin de la langue ainsi que de celui de l’exigence littéraire mais je pense qu’il n’en est rien. De tout temps, l’objet littéraire n’a cessé d’évoluer, de se transformer. La mouvance est le corps même de l’imaginaire qui se plaît aujourd’hui à explorer les capacités de l’outil le plus performant proposé à l’homme, soit le numérique. La peur de l’appauvrissement d’une littérature offerte au tout venant reste tenace et cache à bon nombre la richesse qui est néanmoins sienne. Si l’ère du codex sacré entrevoit sa fin, ce n’est que pour laisser place à une re-structuration de l’imaginaire, qui ne peut être qu’un souffle salvateur pour une littérature qui n’a rien créé de véritablement nouveau ces dernières décennies ! Qui plus est, l’accès à la culture n’a jamais été aussi répandu. Un simple clic permet aujourd’hui à quiconque le souhaite, d’accéder à des textes venant de tous les horizons et de toutes les époques. Quelle meilleure base pour penser et vivre la littérature ? La BnF avec Gallica est de ce fait la meilleure ambassadrice de la mémoire littéraire française et incite l’internaute a affûter sa curiosité intellectuelle en présentant régulièrement ses collections.

Maze – Vous parlez d’une re-structuration de l’imaginaire, qu’entendez-vous par là ?

ML – Le lecteur de livre papier a été habitué très longtemps à un ordre aristotélicien dans l’agencement des histoires, c’est à dire à un schéma début-milieu-fin, hors avec le web nous sommes en présence d’un champs expérimental ne combinant plus seulement du texte, mais bien de la matière visuelle, ce peut être des images, des vidéos, des liens de références qui mènent à d’autres écrits. Certains internautes ont d’ailleurs poussé cette réflexion, offrant à leurs histoires un espace fictif où le lecteur déambule, choisissant lui-même le fil de l’intrigue. Les 12 travaux de l’internaute qui font références aux 12 travaux d’Hercule, emmènent ainsi le lecteur au cœur d’un labyrinthe fait de mots dans lequel il doit trouver son chemin qui de lien en lien lui fait découvrir la littérature antique et celle moderne. Cet usage du texte implique de ce fait le lecteur qui devient un acteur à part entière dans la découverte de l’intrigue, ce qui révolutionne sa condition anciennement passive si sensible dans les livres traditionnels. Ce qui est proposé avec le numérique est l’élargissement du champ représentatif du lecteur, de sa conceptualisation de l’histoire. 

Les 12 travaux de l'internaute

Le labyrinthe des 12 travaux de l'internaute

Le labyrinthe des 12 travaux de l’internaute

 Maze – Les lecteurs semblent cependant de plus en plus volubiles et peinent à se concentrer sur un texte long, qui plus est sur le net où le flux d’informations s’accroît et se renouvelle continuellement. Pensez-vous que les Belles Lettres ont néanmoins leur place sur une telle plate-forme ?

ML – Il est indéniable que la lecture est de prime abord beaucoup moins agréable sur un écran que sur papier, c’est peut-être l’une des raisons pour laquelle les livres continueront d’exister en parallèle du numérique, ceci dit, le web reste un haut lieu de communication, de dialogue et par là, d’apprentissage -même si le désapprentissage y trouve aussi sa place. Ainsi, la littérature goûtée de manière fragmentaire sur le web peut donner envie aux internautes de se pencher plus avant sur des œuvres plus longues. Le net est la première pierre d’appui pour une découverte approfondie, et nombre d’applications numériques tel qu’Un jour Un texte, permettent au potentiel lecteur d’approcher des textes classiques qu’il n’aurait pas spécialement eut envie de consulter dans la collection Pléiade du XXème. Sélectionnant avec soin et passion des fragments d’œuvres, des passionnés de littérature tel que Sarah Sauquet, la fondatrice d’Un jour Un texte, contribuent à modifier l’approche du public et des lettres, et ce, quotidiennement. Ici, Madame littérature s’interrompit et lança à un garnement venu nous rejoindre en courant après de petites choses sombres, un sonore « Laisse les Oulipiens tranquilles mon petit ! ». Contrarié dans sa progression, le jeune garçon s’arrêta alors et laissa filer les ombres dans le fourré le plus proche.

Maze – Qu’est ce qu’un Oulipien, Madame Littérature ? 

ML – Vous n’en avez jamais entendu parler ? ! Il s’agit d’un « rat qui construit lui-même le labyrinthe dont il se propose de sortir. ». Il vit généralement en OuLiPo (Ouvroir de Littérature Potentielle) et représente l’un des principaux filons de la recherche littéraire numérique. Je faisais état un peu plus tôt de l’exigence actuelle de la littérature, et bien voici un représentant idéal de l’alliance des nouvelles technologies et des lettres ! Ces petits êtres pétris de sciences (informatiques et langagières) s’amusent et travaillent à l’élaboration d’un cahier de contraintes fortement divertissant. Dans l’abécédaire que vous pouvez consulter ici -elle fit un geste délicat et désigna une chaîne de caractères lumineux qui venait de surgir de nulle part- vous trouverez des définitions et  des exemples d’applications de leurs réflexions souvent farfelues. Mais que ne donnerait-on pas pour un Ouliporisme  !

Laissant pour ma part la merveilleuse Immorale élémentaire, je posais cette ultime question : Quelles sont selon-vous les véritables avancées textuelles qui ont eut lieu depuis votre mariage avec Mr HTML ?

ML – Du chemin a été fait depuis notre voyage de noces en 1985 ! Nous avons apprivoisé la génération puis l’animation du texte, donnant naissance à l’hypertexte de fiction qui permet au lecteur de se déplacer beaucoup plus aisément dans ses lectures en faisant appel à des documents annexes. Cela est d’ailleurs très utile pour la recherche et les curieux en tous genres. Le phénomène de l’écriture combinatoire vaut aussi le détour. La science et les lettres se marient parfaitement dans cet exercice qui s’emploie à fixer un nombre de mots choisi, classant leurs genres et fonctions, et laissant se combiner de manière aléatoire tous les textes possibles qui en découlent, grâce à un algorithme prédéfini. Le roman de Jean-Pierre Balpe rendu public en 1994 et intitulé Le Masque en est un bon exemple. En voici une petite page

Une page du roman Le Masque de Jean-pierre Balpe, 1994.

Une page du roman Le Masque de Jean-pierre Balpe, 1994.

S’intéressant à la culture dans son ensemble, il faut aussi rappeler que c’est en 1985 que le philosophe Jean-François Lyotard a organisé une exposition sur Les Immatériaux au centre Pompidou, ce qui a signé la reconnaissance de l’art dans le numérique. La sphère littéraire a bien entendu suivi le pas avec le poème de Tibor Papp, Les Très Riches Heures De l’Ordinateur, entièrement animé et projeté sur dix écrans, ce qui à l’époque était très expérimental. Enfin le progrès a vu s’établir des bibliothèques en ligne, livrant de ce fait des œuvres désormais libres de droits, c’est-à-dire âgées de plus de 70 ans, qui sont consultables par le plus grand nombre. Une nouvelle ère économique s’est développée autour du livre, cet immatériel qui maintenant s’appelle très largement un “ebook”, ce qui a fait évoluer les droits d’auteur. Aujourd’hui encore les frontières dans ce domaine sont en constante évolution et risquent de le rester encore longtemps !

C’est sur ces derniers mots que notre conversation s’est achevée et que Madame Littérature est repartie dans sa résidence afin de traiter quelques affaires en cours. Mais avant de nous laisser, la belle a laissé à notre disposition -grâce à un second geste de la main gracieux-, une chaîne lumineuse exhibant le terme ”Pipotron”  que nous vous invitons à suivre pour clore cette réflexion sur la littérature nouvelle avec légèreté et humour. Ainsi vous saisirez sans doute un peu mieux les rouages de l’écriture combinatoire !

Maître ès lettres. Passionnée par la littérature et les arts | m.roux@mazemag.fr

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