LITTÉRATURE

Littérature – Nos coups de cœur 2016

Vous ne savez pas quoi lire ? Vous avez peur de tomber sur un pavé qui vous tombe des mains ? Nous vous avons concocté la liste de nos coups de cœur littéraires de l’année. Un vrai régal !

Carthage, Joyce Carol Oates 

Ce n’est pas dans l’antique Carthage qu’a lieu ce nouveau drame raconté par Joyce Carol Oates, mais dans la Carthage américaine de l’Etat de New-York. La tragédie de Oates met en scène deux soeurs, héroïnes shakespeariennes : Cressida et Juliet. Eté 2005. Cressida, 19 ans, fille cadette de Zeno et Arlette Mayfield, notables connus de Carthage, disparaît. Le fragile équilibre familial se brise. L’identité de chaque personnage change : Cressida, “l’intelligente”, devient “la disparue” ; Juliet, “la jolie”, devient “la sœur de la disparue” ; et Brett, “le héros de guerre” devient “le coupable”, car c’est avec lui que Cressida a été aperçue pour la dernière fois. Mais ce coupable tout trouvé est aussi l’ex-fiancé de Juliet, un ex-fiancé brisé, physiquement et psychiquement, par les combats menés en Irak.

Le récit ne repose pas sur le suspens. Que Cressida soit morte ou vivante, sa disparition a dans tous les cas bouleversé la vie de ses proches. Ils sont bien obligés de faire leur deuil, chacun à leur manière, avec pour certains une lueur d’espoir qui persiste. La famille Mayfield, à l’apparence parfaite, révèle alors ses failles.

Des failles, les Etats-Unis en ont aussi. C’est avec finesse que Joyce Carol Oates analyse les maux de ce pays marqué par les attentats du 11 septembre 2001. La guerre, mais aussi le milieu carcéral et la peine de mort sont au coeur de la réflexion de l’auteur. Avec, en toile de fond, le mal. Le mal qui nous rebute, nous attire, nous fascine. Le mal qui réside en nous et au fond de chaque personnage.

Chaque roman de Oates est une surprise. Quand on pense l’avoir lue dans le sommet de son art, on réalise au roman suivant qu’elle s’est encore surpassée. Avec Carthage, elle a prouvé une nouvelle fois qu’elle est l’un des plus grands auteurs de la scène littéraire contemporaine.

Emmanuelle Babilaere

Je n’ai Jamais Embrassé Laure, Lemeac 

Si l’une est belle, l’autre ne l’est point. L’histoire d’amour entre Laure et Florence semblent échapper à toute catégorie. Elles s’aiment « comme des âmes sœurs peut-être un peu plus… » dit la quatrième de couverture.

Offrant une alternance des points de vue, le roman donne une terrible impression d’intimité ; comme si l’on avait surpris une conversation chuchoté à demi-mots au bas d’une porte. La finesse psychologique et le raffinement des non-dits font de Je n’ai jamais Embrassé Laure l’une des plus belles trouvailles de l’année 2016. De plus, soutenue par une écriture fine, mais par-dessus tout précise, l’œuvre donne l’impression d’avoir été sculpté au mot près. Une porte à l’ambigüité féminine que l’on pousse tout doucement en espérant ne pas avoir respiré trop fort de peur d’être entendu.

Frédérique Veilleux-Paty

Mémoires de fille, Annie Ernaux

Parce qu’Annie Ernaux y est comme toujours bouleversante. Le livre s’ouvre sur l’été 1958, l’été des 18 ans d’Annie Duchesne, « un été immense comme ils le sont tous jusqu’à vint-cinq ans ». Et toute une réflexion s’ensuit sur « cette fille de 1958 », la question est de savoir si elle est à relier à « la femme de 2014 » par le « je », sur des problèmes d’identité et d’écriture. Après la décision d’utiliser la troisième personne, ce « elle » distancié, (« pour aller le plus loin possible dans l’exposition des faits et des actes. Et le plus cruellement possible, à la manière de ceux qu’on entend derrière une porte parler de soi en disant « elle » ou « il » et à ce moment-là on a l’impression de mourir. ») survient le récit du passé de cet été-là jusqu’1963, date à laquelle elle rencontre Jacques Ernaux. Le tout est clairement traversé, d’une part, par toutes sortes de références, qui sont autant d’instances de réflexion sur la vie et des enclencheurs d’écriture : des livres, des musiques, des outils philosophiques, des photographies, des films, qui influent complètement sur la vie, et/ou qui permettent de mieux la saisir, la comprendre, en posant les mots des autres, des mots qu’on aurait pas su trouver seule, sur les événements parfois incompréhensibles qui peuvent arriver.

« J’ai commencé à faire de moi-même un être littéraire, quelqu’un qui vient les choses comme si elles devaient être écrites un jour. […] Ce récit serait donc celui d’une traversée périlleuse, jusqu’au port de l’écriture. Et, en définitive, la démonstration édifiante que, ce qui compte, ce n’est pas ce qui arrive, c’est ce qu’on fait de ce qui arrive. […] C’est l’absence de sens de ce que l’on vit au moment où on le vit qui multiplie les possibilités d’écriture. »

D’autre part, le livre est traversé par une réflexion métalittéraire sur ce que c’est que de se raconter, sur les enjeux de l’écriture de soi, sur les problématiques de l’identité, sur la mémoire et l’oubli, sur le moi, sur les « moi » au pluriel… Encore une fois Ernaux nous transporte à travers son écriture à travers son personnage vierge de tout, ivre de liberté (« Elle est éblouie par sa liberté, l’étendue de sa liberté. »), à travers les enjeux majeurs de la littérature qu’elle porte au jour : se souvenir, comment s’écrire, pourquoi s’écrire. Mais aussi, et bien sûr, à travers sa plume qui nous parle cruellement de la situation de la jeune fille dans les années 1960 (« Chaque jour et partout dans le monde il y a des hommes en cercle autour d’une femme, prêts à lui jeter la pierre. ») et pourtant Ernaux nous dit dans un autre de ses ouvrages, Le Vrai lieu  : « Je ne suis pas une femme qui écrit, je suis quelqu’un qui écrit. » À méditer.

Hortense Raynal

Les lance-flammes, Rachel Kushner

Reno a 21 ans, pas un sou en poche. Elle arrive à New York les mains dans les poches, avec juste sa caméra en bandoulière. Motarde et artiste, la jeune femme se rend dans la grosse pomme la tête pleine d’ambitions. Très vite, la réalité la rattrape. Elle rêvait de longues discussions passionnées sur le sens de la vie, de réflexions sur l’art, de nuits blanches à refaire le monde… Mais rien ne se passe comme prévu. Elle est seule. Elle n’a pas d’ami si ce n’est une serveuse dépressive et mythomane, pour qui la vie est une performance artistique. Elle passe ses journées à observer les chauffeurs des parrains de la pègre new yorkaise, qui passent leurs journées à attendre leurs patrons. Jour après jour, Reno s’enveloppe de mélancolie. C’est alors qu’elle fait la rencontre de Sandro Valera, un italien au charme magnétique, artiste reconnu, qui a fui l’entreprise familiale pour réaliser son rêve, devenir américain. Sa vie change alors du tout au tout. Les lance-flammes, de Rachel Kushner, est à la fois une histoire d’amour et un roman initiatique. C’est une ode fraîche et un peu folle, qui célèbre la jeunesse, la moto et l’art. Au-delà de l’intrigue, l’atmosphère bohème et complètement barrée du New-York des années 1970 rend ce livre terriblement puissant. Un petit bijou, qui a reçu le prix des lecteurs 2016 et qui donne envie de vivre la vie à fond.

Marie Daoudal

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