CINÉMA

2016 : Une année de cinéma français pleine de fantômes

Riche, divers et toujours imaginatif, le cinéma français aura marqué l’année cinématographique 2016, avec une héroïne, Isabelle Huppert, et beaucoup de fantômes.

L’année 2016 aura été très bonne pour le cinéma en France, d’abord par le nombre d’entrées record avec 213 millions de billets vendus, deuxième meilleur score en cinquante ans. Une bonne fréquentation qui profite, on le sait, surtout aux blockbusters américains, avec ses films d’animations, ses super-héros et ses suites à n’en plus finir, et aux grosses comédies françaises interchangeables. Mais au-delà des blockbusters américains ou français, le cinéma dit d’auteur européen aura été particulièrement en forme, avec plusieurs films qui ont marqué l’année comme Julieta (Pedro Almodovar), Toni Erdmann (Maren Ade) ou encore Moi, Daniel Blake (Ken Loach), et encore plus en France, où il s’est montré d’une grande diversité et plein d’ambitions.

Le coup de force de cette année a été l’arrivée du fameux et sulfureux cinéaste hollandais Paul Verhoeven dans nos contrées cinématographiques. Présenté à Cannes, dont il est reparti malheureusement bredouille, Elle a dynamité le cinéma français en conviant des acteurs venus de tous horizons cinématographiques : de la reine du cinéma d’auteur français Isabelle Huppert aux bankable Laurent Lafitte et Virginie Effira, en passant par la muse du « jeune cinéma français » Vimala Pons ou encore Charles Berling. Le résultat est une véritable leçon de mise en scène et de rire grinçant. A la suite de Elle, le cinéma français semble cette année s’être déréglé et a suivi cet exemple, sans complexe. Ce fut le cas de Justine Triet, qui a choisi, avec Victoria, une forme moins folle et baroque, et au final beaucoup moins confuse que pour son premier film, La Bataille de Solférino, mais qui gagne justement en efficacité et en gestion du rythme comique. Victoria révèle tout le potentiel comique de Virginie Effira, parfaite en avocate et mère dépassée et déjantée. Mais si Virginie Effira a su marqué l’année, c’est Isabelle Huppert qui l’a survolée avec Elle mais aussi L’Avenir, nouveau film de Mia Hansen-Løve qui a livré son œuvre la plus aboutie et la plus belle.

L’année de la comédie

A l’instar de Victoria, la comédie aura été très présente cette année dans le cinéma français, et pas seulement avec Brice de Nice 3, qui marque le grand retour du fameux surfeur blond ! Bruno Dumont a présenté Ma Loute, un film dans la droite lignée de son P’tit Quinquin, qui paradoxalement séduit davantage pour ce qu’il n’a pas de comique. Benoit Forgeard a aussi sorti en début d’année sa comédie présidentielle avec Gaz de France où Philippe Katerine s’illustre en Président de la République mélomane. Pendant ce temps, la troupe théâtrale des Chiens de Navarre s’emparait du cinéma pour proposer avec Apnée (Jean-Christophe Meurisse), un essai enthousiasmant de renversement par l’absurde des codes de la société. Antonin Peretjako nous emmenait, lui, dans un petit voyage burlesque et fou en Guyane avec Vincent Macaigne et Vimala Pons dans La Loi de la jungle.

En parlant de voyage, c’est aussi ce qui a nourri cette année le cinéma fantaisiste de Sébastien Betbeder avec pas moins de deux films : le premier, Marie et les naufragés, proposait une petite virée sur une île bretonne à la poursuite d’une fille (Vimala Pons, objet du désir et toujours géniale) ; le second, Le Voyage au Groenland, transposait les deux Thomas d’Inupiluk directement au Groenland. De voyage, il peut en être aussi question avec le dernier film d’Alain Guiraudie tant son cinéma semble dessiner de plus en plus un territoire qui n’appartient qu’à lui, quelque part entre la fiction et la réalité. Avec Rester Vertical, Guiraudie retrouve les causses du sud de la France pour une histoire, dont il a le secret, de berger, de loups, de paternité et de résistance sociale avec un film qui a le mérite d’oser. C’est avec cette croyance en un cinéma qui ose qu’Hubert Viel a signé son formidable Les Filles au Moyen Age, tout comme Sébastien Laudenbach et son très beau film d’animation peint La Jeune fille sans mains. Cette même énergie a aussi habité la très bonne adaptation des Malheurs de Sophie par Christophe Honoré qui poursuit son travail sur les classiques littéraires pour en tirer toute leur modernité.

Entrée des fantômes

Mais là où le cinéma français aura été le plus fort cette année, c’est dans sa manière de filmer des fantômes. Deux films de fantômes auront su éblouir en cette fin d’année : Planétarium de Rebecca Zlotowski et Personnal Shopper d’Olivier Assayas. Deux très beaux films autour du deuil qui ont offert à leur actrices internationales (Nathalie Portman pour le premier, Kristen Stewart pour le second) un magnifique écrin. Deux films qui semblaient se répondre involontairement, incarnant un cinéma ambitieux qui prouve la force émotionnelle de cet art malgré la froideur de leur mise en scène. Nocturama de Bertrand Bonello aura été, lui aussi à sa façon, un film de fantômes esthète et désabusé – bien loin d’un film sur les attentats comme il a malheureusement été abordé à sa sortie – où erre un groupe de jeunes n’ayant plus de repères dans une société aliénée par la consommation et où les êtres devenus fantomatiques tentent d’exister. La deuxième partie du film, dans La Samaritaine, restera surement comme un grand moment du cinéma français de ces dernières années, à la fois glaçant et sublime. Plutôt que des fantômes, ce sont les ombres (fantomatiques ?) qui peuplent le bois de Vincennes, c’est ce que l’on aura appris avec l’étonnant et hypnotisant documentaire de Claire Simon, Le Bois dont les rêves sont faits.

Dans une année marquée par la mort, de nombreux artistes notamment, les fantômes avaient l’air d’avoir décidé d’hanter tout le reste du cinéma français. Les fantômes du passé surgissent auprès du personnage de Françoise (Valérie Dreville) lors de son retour à Rennes dans Suite Armoricaine de Pascale Breton, tout comme le fantôme de Sasha se rappellent aux personnages du mélancolique Ce Sentiment de l’été de Mikhaël Hers. Enfin, dans La Mort de Louis XIV d’Albert Serra, le roi soleil agonisant prend corps en un Jean-Pierre Leaud troublant et fantomatique, dont l’apparition aurait autant à donner de sueurs froides que celle de David Bowie sur son lit de mort dans le clip de Lazarus, malheureusement prophétique ! Le prochain film d’Arnaud Desplechin qui sortira en 2017 devrait s’appeler Les Fantômes d’Ismael : le cinéma français n’en a peut-être alors pas fini avec les fantômes.

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