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L’Internet of Food signe-t-il la fin des scandales alimentaires ?

Après le scandale Lactalis, celui de la viande de cheval ou celui des œufs contaminés, la méfiance du public à l’égard du secteur de l’agro-alimentaire atteint des sommets. Pour réarmer le consommateur face aux méthodes douteuses des industriels, des chercheurs américains travaillent à rendre nos aliments traçables à 100 %, grâce à l’Internet of Food.

“Elle s’appelait Marguerite. Née dans une petite ferme des Vosges, elle était mère de quatre petits et a été abattue le 28 janvier 2018, jour de son deuxième anniversaire”.

Voici ce que vous pourriez lire dans quelques années, sur l’emballage de votre steak haché. En plus de la généalogie de l’animal auquel appartient votre morceau de viande, vous pourrez aussi découvrir sur le packaging l’historique de son régime alimentaire, ou de ses traitements médicamenteux.

Digitaliser nos aliments pour une meilleure traçabilité

Selon des chercheurs de l’université de Californie, ce futur caractérisé par une transparence sanitaire totale est proche. Partout dans le monde, les consommateurs souhaitent mieux se nourrir, et surtout en savoir plus sur ce qu’ils ont dans leur assiette. Ces chercheurs, spécialisés dans la nouvelle tendance du Internet of Food (IoF), veulent digitaliser nos aliments. En d’autres termes, ils souhaitent que sur les emballages alimentaires soit imprimé un QR code contenant toutes les informations attendues par le consommateur. Lieu de naissance pour les animaux, de culture pour les fruits et légumes mais aussi traitements chimiques, pesticides utilisés ou médicaments. Finalement, un coup de scan suffira à connaître la terre qui a vu fleurir une feuille d’épinard, ou encore l’arbre généalogique d’une dinde devenue cordon bleu.

La blockchain au service de la traçabilité ?

 

Pour arriver à leurs fins, ces spécialistes doivent d’abord créer un langage standardisé qui serait capable de décrire tous les processus de production et de distribution des produits. En transformant toutes ces informations en code, le consommateur n’aurait plus à faire confiance à l’emballage seul, bien souvent trompeur. Mais alors comment s’assurer que les industriels ne trichent pas ? La grande mode du greenwashing l’a montré, on ne peut pas vraiment leur faire confiance sur ces sujets. D’autant plus que les équipes de marketing des grosses firmes agro-alimentaires sont passées pro dans l’art de nous faire gober n’importe quoi, à grands coups de “0 % de sucres*” ou de “allégé en graisses*”. La réponse se trouve dans une technologie nouvelle et pleine de potentiel : la blockchain.

Ce registre numérique contiendrait toutes les informations concernant un produit à l’instant T. Pour reprendre l’exemple de feu Marguerite, le fermier qui l’a vu naître enregistrerait dans la blockchain le lieu de naissance de l’animal, puis son régime alimentaire. Une fois vendue à un distributeur, ce dernier ajouterait les traitements utilisés pour conserver la viande. Toutes ces données seraient stockées dans un grand livre numérique, inviolable puisque détenu en même temps par tous ceux qui l’utilisent. La blockchain, qui a l’avantage de supprimer les intermédiaires, peut sembler être une solution idéale. Malheureusement, le parfait n’existe pas et aussi innovante qu’elle soit, la “chaîne de blocs” a aussi ses obstacles. On a par exemple du mal à imaginer que le secteur industriel accepte de céder à un registre numérique tout son pouvoir. Car derrière l’innovation, c’est bien de pouvoir qu’il s’agit. L’outil blockchain est éminemment politique, puisqu’il a vocation à décentraliser les systèmes pour les remettre pleinement dans les mains de ses utilisateurs. On l’a vu avec la première application de la blockchain, le Bitcoin, cette monnaie virtuelle qui échappe au contrôle des banques centrales, des gouvernements et plus généralement du droit lui-même. Aussi, la mise en place d’un tel process demanderait de repenser tout le système actuel, sa législation, son organisation, et nécessiterait surtout une grosse mise à jour technique.

Des réglementations actuelles ambiguës

En France, même si le gouvernement essaie d’aller dans le bon sens sur le sujet, on est bien loin de la digitalisation totale de nos aliments. Preuve en est qu’il a fallu des années de bataille juridique et parlementaire pour imposer le récent “Nutri-score”, qui classe les aliments selon un code couleur en fonction de leur contenance en nutriments réputés bons pour la santé. Les consommateurs auraient pu applaudir la bonne nouvelle, si et seulement si le dispositif n’était pas facultatif. La révolution sanitaire est lente. De plus, là où des initiatives se déploient pour améliorer la traçabilité des produits, encore faut-il mettre au courant le public, et rendre l’information lisible par tous. Les réglementations européennes existantes compilent ces deux défauts majeurs. Les règlements européens 852, 853 et 854 du 29 avril 2004 relatifs à l’hygiène des denrées alimentaires ont le mérite de rendre obligatoire un étiquetage indiquant le nom du producteur, sa localisation et la distance qui le sépare du lieu où son produit est commercialisé. Problème, peu de gens connaissent l’existence de ces étiquettes, et encore moins savent les lire du premier coup d’œil. Elles se présentent sous la forme d’une suite de chiffres et de lettres qui passent souvent inaperçus, noyés dans les autres informations du packaging. Enfin, l’objectif assumé de ces réglementations est de servir aux autorités de surveillance, et pas aux consommateurs.

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