CINÉMA

« Makala » – Parce qu’il faut aller au charbon

Après deux documentaires, Bovines, et 300 hommes, Emmanuel Gras revient avec un objet hybride.

C’est un homme qui fabrique du charbon, puis qui va le vendre en ville. Ce que raconte Emmanuel Gras dans Makala (« Charbon ») se limite à ça. Pourtant, le fait de situer son film au Congo et toute la construction autour du film, son dispositif, en fait une œuvre étonnante, à part. Un documentaire. Mais aussi une fiction qui ne dit pas son nom.

Le héros sans cause

Parce que oui, cet homme n’est pas un homme : c’est un « héros » pour Emmanuel Gras. Loin de nous l’idée de faire une lecture ethnocentrée ici du film. Ce n’est pas un héros parce qu’on le voit faire du charbon, puis marcher 50 kilomètres pour aller le vendre une misère. Non, c’est un héros dans le sens quasi-mythologique du terme. C’est un être humain qui surmonte des difficultés, sans arrêt, qui ne doute jamais. Par habitude, sans doute oui. Parce que c’est sa condition, qu’il ne peut rien y faire. On le rackette, il perd un sac parce qu’un camion le bouscule,… Sa capacité à tenir est stupéfiante. Il faut continuer.

Makala

© Les Films du Losange

 

La notion de lutte des classes retrouve du sens ici : le voir souffrir de longues minutes, avec ses sacs lourds de plusieurs kilos, continuellement dépassé par des camions et des voitures… Si seulement lui aussi en avait une : il n’aurait pas à souffrir autant. Mais c’est une misère qu’il empoche à la fin… Il porte un t-shirt Adidas, a un poster avec des footballers millionnaires derrière lui… C’est presque ironique. Lutte des classes aussi parce qu’en ville, le premier à négocier pour faire fortement baisser ses prix (de peu à très peu) est un homme bien habillé, parlant bien, droit et en chemise. Lui, il doit avoir une voiture.

La différence entre le silence et le vide des plaines où il vit, qu’on découvre au début du film formidablement filmées, en opposition au bruit de la ville, continuellement en mouvement. Ce phénomène atteint même son paroxysme dans une église, sorte de transe collective, exutoire pour les personnes présentes. Une libération de tout de qu’il retenait depuis le début du film. Il faut tenir, mais on peut se relâcher, enfin.

Documentaire… fictionnel ?

Se relâcher pour tenir son cap, son but : son rêve, c’est de bâtir sa maison, lui-même. Sorte d’éden fruité, où tel un Dieu il ferait jaillir du sol « une mare pour les canards » pour faire plaisir à sa femme. Mais ce rêve se confronte à la dure réalité : il a beau déjà avoir le terrain, il s’avère très difficile d’avoir une simple planche de tôle – très chère en ville… Juste les médicaments pour sa fille sont déjà très coûteux. Le dernier plan du film se révèle marqueur du doute quant à son avenir (le fond du plan est flou).

Makala

© Les Films du Losange

 

Rassurez-vous, la production lui a payé sa maison pour le remercier d’avoir accepté d’avoir participé au film. Dans la mesure où tout a été plus ou moins calculé. Il n’a pas été filmé pendant tout le voyage – voyage d’ailleurs organisé, calculé, seuls les tronçons jugés marquant ont été réalisé. De même, les groupes de personnes négociant pour le charbon en ville savaient qu’ils allaient être filmé – même s’ils sont d’un naturel remarquable. Le film est monté, on donne l’impression que personne ne remarque l’équipe de tournage.

C’est toujours le même vieux débat sur la nature et le caractère crédible de la dénomination « documentaire » au cinéma. La vérité cinématographique est un mensonge : quand il y a un plan, quand il y a montage, il y a choix, et quand il y a choix, il y a dissimulation, il y a un reste, un déchet, un morceau de pellicule, qu’on ne montrera jamais. Loin de nous l’idée de dire que c’est un problème. Ce n’est pas parce que Wiseman fait des documentaires de 3h qu’ils sont plus vrais que Makala. Mais soyons cohérent : le film joue justement avec notre rapport au réel, et jamais si on ne vous l’avait pas dit vous n’auriez su qu’il s’agissait d’un documentaire. Les premiers plans surtout sont trop beaux, trop parfaits, pour être vrais.

 

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