CINÉMA

Tu ne tueras point, in God we trust

Après avoir nourri les pages people des quotidiens avec ses frasques, Mel Gibson reprend les choses en main. On aurait pu s’attendre à ce qu’il fasse son mea culpa et rentre dans le rang. Il n’en est rien, Tu ne tueras point est à la fois lumineux et éprouvant. Le film s’assume et ne s’excuse pas, quitte à en perturber plus d’un.

Des gerbes de flammes qui balaient l’écran, des corps désarticulés qui s’écroulent, le tout au ralenti. Avec une courte succession de plans, Mel Gibson ouvre son film en dessinant une fresque biblique représentant l’Enfer, comme on peut en trouver dans les églises. La note d’intention est donnée, Tu ne tueras point prendra le point de vue de son personnage principal catholique.

Copyright Cross Creek Pictures Pty Ltd / Mark Rogers

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Du fond de l’abîme je t’invoque, ô Éternel !

Le film raconte le chemin d’un croyant qui décide de s’engager dans la guerre contre les Japonais, non pas pour tuer, mais pour sauver des vies. A travers ce fil rouge, c’est le parcours du Christ qui est reproduit. De peur qu’il véhicule ses idées aux autres soldats, on le persécute pour le faire quitter l’armée, comme Jésus de Nazareth. Plus tard il parviendra à s’entourer d’un petit groupe de fidèles, prêts à le soutenir. Ce chemin christique aura bien sûr comme point culminant la crucifixion, ici représentée par des stigmates aux mains. L’imagerie biblique est également invoquée. On retiendra ce plan dans lequel le personnage présente ses valeurs, avec une lumière dans son dos l’entourant d’un halo.

Ces quelques éléments religieux pourraient en refroidir plus d’un. Mais le film a l’habileté de désamorcer lui-même ce débat. Les cadres de l’armée vont reprocher au héros (comme le ferait le spectateur) d’être venu uniquement par prosélytisme. Celui-ci répond que bien qu’ayant des valeurs qui lui sont chères, il n’est pas là pour convertir quiconque. A travers ces mots c’est Mel Gibson qui semble s’exprimer. En effet plus que d’imposer une vision religieuse au public, le film ne fait que dépeindre un héro intègre avec ses principes. Quand bien même son éthique ne conviendrait pas à l’Enfer qui l’entoure, il fait tout pour la respecter. On est donc plus face à un modèle d’abnégation, plutôt qu’à un témoin de Jéhovah. Une nuance qui ne manquera pas de bloquer les adeptes du manichéisme.

Copyright Cross Creek Pictures Pty Ltd / Mark Rogers

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La Résurrection du film de guerre 

Passée cette dimension idéologique, la film de guerre en tant que tel est tout aussi intéressant. Au premier abord les deux premiers actes (le quotidien dans la petite ville Américaine puis l’entrainement militaire) peuvent paraître convenus. Le film respecte presque tous les codes traditionnels du film de guerre : la naïveté du quotidien, le père traumatisé par sa guerre, la rencontre d’une fille, puis le mariage avant de partir au front. Même le personnage du sergent reprend une énième fois celui de Full Metal Jacket et son goût prononcé pour l’humiliation.

Mais par petites touches, le film prend progressivement sa propre voie. A commencer par le personnage du père, alcoolique et violent, qui renvoie à celui de Mel Gibson. Plus important, le héros va lui-même imposer son identité à ces codes classiques. Le pivot se fera par une habile mise au point sur un fusil, seul, rangé alors que tous les autres ont été pris. Le refus de tuer (donc de se servir d’une arme) guidera le reste de l’histoire.

Le film prend aussi ses distances avec l’imagerie moderne du film de guerre, imposée par Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg. A ce titre il parvient à transcender l’élément clé des scènes de guerre qu’est le coup d’envoi de la bataille. La mise en scène de la première balle tirée est aussi surprenante que tétanisante. Le ton est donné, Mel Gibson propose un déferlement de brutalité frontale où le moindre plan est noyé, sans discontinuité, d’explosions. Cette violence frise même le gonzo des films bis italiens. Le champ de bataille est l’occasion pour lui de confirmer sa maîtrise de la spatialisation. Bien que le héros traverse de long en large le terrain, avec d’innombrables allers-retours, le spectateur n’est jamais perdu et sait précisément où sont situés les différents éléments.

Montré du doigt, pourchassé, puis crucifié… Espérons qu’avec Tu ne tueras point, le chemin de croix de Mel Gibson soit enfin terminé.

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