CINÉMA

Sully : un héros pour réparer l’Amérique

Les Etats-Unis n’ont pas d’Histoire. Du fait de leur création récente, par rapport aux autre pays occidentaux, ils n’ont pas eu le temps d’accumuler un héritage historique. C’est donc aux artistes que revient la tâche de fabriquer une mythologie commune. Conscient de cette fonction, Clint Eastwood se sert du cinéma pour fabriquer les figures héroïques américaines. Après le tireur d’élites d’American Sniper, le cinéaste s’attelle à Sully : un pilote qui a évité le crash de son avion en l’amerrissant dans l’Hudson.

On le sait, l’attentat du World Trade Center a provoqué une profonde fracture émotionnelle dans la société américaine. Depuis une dizaine d’années le cinéma américain est noyé dans le traumatisme post-11 septembre, pour le meilleur (La guerre des mondes) comme pour le pire (Man of Steel). Sully est sans doute l’un des films qui convoque le plus frontalement cet événement.

Une nation

Avec son ouverture cauchemardesque, Eastwood repositionne le spectateur dans une position traumatique. D’autant plus que la spatialisation du son surround et le tournage au grand angle des caméras Imax dernier cri, amplifient l’immersion. C’est alors au héros d’aider le spectateur (donc le peuple américain) à se redresser. Pour cela on racontera non pas un avion qui s’écrase en plein New York, mais un avion qui sauve tous ses passagers.

Pour réparer la conscience collective américaine, le film va faire de cet événement anecdotique un fait autour duquel toute la société va se réunir. Ce n’est donc pas innocent si le montage répète l’accident selon différents points de vues. Cela permet au réalisateur de décrire toutes les couches de la société qui viennent au secours des passagers : les garde-côtes, le personnel de la tour de contrôle, les hôtesses de l’air, la police, les pompiers… C’est symboliquement toute la population new-yorkaise (donc américaine) qui se rassemble.

Sully, un héros du quotidien – Copyright Warner Bros. France

Un héros

Il est important que l’Amérique soit réparée, mais il l’est tout autant de savoir par qui. Clint Eastwood ne dépeint pas n’importe quel héros. Il s’agit d’un citoyen, lambda ; celui qui va dans des bars, court sur les bords de l’Hudson et doit travailler pour nourrir sa famille. C’est son acte héroïque qui va l’arracher à son quotidien. Cela ne se fera pas sans violence car les médias sont décrits comme des agresseurs (la violence des flashs et l’invasion dans le privé) ou des rapaces (sans la moindre information ils émettront l’hypothèse d’un accident mortel).

Plus que l’événement en soi, l’héroïsme vient du fait qu’il tient tête au système et parvient à le faire plier. Ainsi il s’inscrit dans la même veine que le personnage du Pont des espions de Steven Spielberg, déjà incarné par Tom Hanks. Pour Clint Eastwood le héros qui redonne foi au peuple américain est celui qui affronte les institutions. Même si tous tentent de le déstabiliser, il garde confiance en lui. Surtout, et sans dévoiler le dénouement, le personnage fait écrouler l’artificialité du système en y réinjectant de l’humain, valeur première de la figure Eastwoodienne.

Héros, il l’est avant tout pour le spectateur. La structure narrative du film, faite de multiples flashbacks, permet de questionner notre rapport au personnage. Avec les informations qui nous sont communiquées au préalable, nous sommes à même de juger son comportement. Au final le héros permet l’union de la salle de cinéma, et a fortiori, de l’Amérique.

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