CINÉMA

Crimson Peak : Goth power

Habitué à passer de gros blockbusters décomplexés (Blade 2) à des drames plus intimistes (Le labyrinthe de Pan), Guillermo del Toro revient deux ans après son colossal Pacific Rim avec Crimson Peak. Un retour au genre de films de maison hantée – malmené entre temps par les productions Blumhouse (Paranormal Activity, Insidious, Ouija…), mais plus généralement un retour aux films gothiques, tombés en désuétude depuis plusieurs décennies.

Véritable encyclopédie vivante, le mexicain convoque avec Crimson Peak tout un héritage cinématographique gothique passant de Jane Eyre de Robert Stevenson, à Rebecca de Hitchcock ou Le Château du dragon de Joseph L. Mankiewicz. Héritage thématique également puisque l’on retrouve l’opposition entre la société américaine utilitariste et rationnelle (il n’y a pas la place au rêve dans la conception des machines) et la société anglaise victorienne nimbée de surnaturel. Comme souvent dans le genre gothique le sous-texte sexuel est présent, concrètement avec l’acte sexuel comme déclenchement du destin, mais aussi plus imagé avec cette terre rouge qui resurgit périodiquement (tel le sang menstruel) ou encore les multiples images de clefs entrant et sortant des serrures.

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La maison, personnage central de Crimson Peak – © Universal Pictures International France

Cependant le film ne tombe jamais dans l’empilement désincarné de citations. De la même manière que Quentin Tarantino, del Toro se réapproprie ces influences pour nourrir, enrichir son propre univers et sa propre histoire. Aucun doute possible, chaque image est imprégnée de l’identité de son auteur. Il suffit de noter les multiples échos à sa filmographie comme la présence de flocons en suspension comme dans Pacific Rim, ou un fantôme rappelant fortement celui de L’Echine du diable. Mais on remarque aussi d’étonnantes récurrences avec les films qu’il a produit, on pense aux papillons et au look de l’un des fantômes rappelant Mama, de quoi remettre en perspective son apport artistique dans ses productions.

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Jessica Chastain– © Universal Pictures International France

Une fois de plus Del Toro nous prouve son amour pour l’imaginaire. Les multiples fantômes qui nous sont proposés sont plastiquement fascinants. A la limite de l’abstraction, entre humain et fantasque, ces entités doivent leur complexité à leur exécution la plus matérielle possible (joués par des acteurs, un seul est créé entièrement par ordinateur) qui leur confère une forte identité visuelle. Preuve de l’attention particulière qui leur est apportée, ils sont finalement plus humains que les personnages en chair et en os et ce sont eux qui livrent les clefs de l’intrigue. Intrigue qui les délaisse la première partie du film, devenant alors strictement un film en costumes, pour pouvoir se consacrer au développement des personnages humains et à leurs ambiguïtés. Ce choix est d’autant plus cohérent que, comme tous les films du mexicain, le monde imaginaire et le monde réel, bien que séparés à première vue, finissent par se répondre, se compléter. Cette articulation se fait ici autour du personnage principal Edith, une écrivaine de fantastique, sorte de Guillermo au féminin. Elle est montrée dès le départ comme étant à l’écart du reste de la société à cause de sa féminité, son histoire (elle est la seule à voir les fantômes) et son goût pour l’imaginaire. Elle est aussi distinguée visuellement grâce à ses vêtements clairs dénotant avec le noir ambiant. Un personnage proche dans l’esprit de la Alice de Tim Burton, jouée par la même actrice (Mia Wasikowska), mais bien mieux exploitée ici que par l’ex-maître du gothique. Les vêtements justement sont comme toujours symboliques de la psychologie des personnages. Il suffit de regarder la première apparition du personnage de Jessica Chastain et son costume entièrement noir avec seulement une fleur rouge-sang au niveau du cœur, la définissant d’emblée comme un personnage menaçant et en souffrance.

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Le tableau Autumn morning du peintre victorien John Atkinson Grimshaw, grande influence de Guillermo del Toro – Libre de droit

Cela nous amène à constater l’approche visuelle de Del Toro qui tend à faire ressembler chaque plan à des tableaux vivants. Pour Crimson Peak il assume comme références les peintres victoriens tels que Grimshaw et Turner dans son travail des lumières irréelles. Délaissant l’action pure, il apparaît plus que jamais en pleine possession de ses moyens pour filmer les relations entre ses personnages. Dans la scénographie, le placement des personnages dans le cadre et le mouvement, la scène du bal dans son entièreté en est un exemple criant. Enfin ce texte ne serait complet sans évoquer le décor fascinant de la maison (imaginez un trou dans le toit laissant s’écouler les feuilles et la neige à l’intérieur), sans aucun doute le plus beau que vous verrez cette année sur un écran de cinéma, magnifié par la lumière et la mise en scène.

Dénué de tout cynisme et de toute prise de recul postmoderne, Crimson Peak n’est sans doute pas le plus grand film de la carrière de Guillermo del Toro, mais probablement l’un des plus attachant.

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