CINÉMA

« La tendre indifférence du monde » – Une poésie corrompue

Présenté dans la sélection 2018 d’Un certain regard à Cannes puis en septembre lors de l’Etrange Festival à Paris, le long-métrage kazakh d’Adilkhan Yerzanov  est sorti de l’ombre le 24 octobre. Inspiré de la fin de l’Etranger de Camus, il emprunte l’attitude désinvolte du couple Bonnie and Clyde. Croiser son chemin et celui de ses deux héros, c’est jeter un tendre et nouveau regard sur le monde.

Saltanat (Dinara Baktybayeva) subit sa condition de femme. Sa famille endettée l’envoie contre son gré se marier à un lointain homme riche. Elle embarque dans son périple Kuandyk (Kuandyk Dussenbaev), ami d’enfance  amoureux d’elle. Quand il parvient à la dissuader de laisser tomber si facilement et de se marier à ce riche inconnu, le tandem revêt le costume de deux jeunes galériens, seuls face à un monde qui s’acharne sur leur condition. L’autre voie, c’est celle-ci, de travailler, de s’encourager mutuellement, de savoir quand ne plus obéir. C’est une armée d’âmes corrompues qui se dressent autour d’eux, où se mêlent tous les vices d’une société à dénoncer : argent, abus de pouvoir, crime, trahison. Tandis que les deux protagonistes, au centre, valsent parmi les complications et rayonnent. Elle est dans sa robe rouge, innocente, douce. Il est sous l’ombre de son ombrelle, rassurant, naïf. Et les plus simples traits de caractères qui composent l’humanité de ces deux êtres est l’unique source de lumière de tout le film d’Adilkhan Yerzanov.

Recherche stylistique

La poésie du film ressort presque naturellement de chaque plan. Toujours bercés d’une lumière rouge discrète qui rappelle la robe de Saltanat, le coucher du soleil ou le sang qui tâche, les deux protagonistes sont ancrés dans chaque image avec justesse. Très souvent filmés de profil, les corps embrassent les paysages et donnent à voir un éventail de lieux kazakhs. Mais les arrières-plans sont aussi là pour renforcer le sentiment démuni des personnages. Ces derniers sont souvent seuls, face à la Nature. Le côté intemporel qui mène le film se brise soudainement lorsque Saltanat prend le métro. On sort des décors déserts et harmonieux et on se rend compte qu’on est bien dans l’ère contemporaine. C’est un peu ça aussi, l’indifférence qu’Adilkhan Yerzanov montre. Les héros sont finalement deux grands rêveurs, qui ne voient pas le monde tel qu’il est, et qui nous racontent leur périple avec poésie. Ils sont deux étrangers, qui appartiennent à une autre ère du temps. Leurs gestes et toutes leurs actions sont dépeints d’une douce innocence qui finira pas causer leur perte. La scène finale, empruntée à l’oeuvre d’Arthur Penn, résume tout le sens de la tendre indifférence : un petit groupe de policiers commentent l’ennui qu’est leur vie, sur les corps inertes des deux amants, bercés dans l’insouciance de leurs rêves.

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