CINÉMA

Au revoir, monsieur Rochefort

L’acteur s’est éteint dans la nuit à l’âge de 87 ans. On retiendra sa célèbre moustache, son élégante nonchalance et son incroyable filmographie qui a marqué plusieurs générations et qui rassemblait tout le monde autour de lui.

Jean Rochefort est décédé cette nuit à l’âge de 87 ans, il souffrait depuis 2016 et n’apparaissait presque plus au grand public. Pourtant, il nous a conquis récemment en faisant confiance au Boloss des belles lettres, une émission de France 5 où il nous racontait les classiques de la littérature comme Madame Bovary ou Le Petit Prince dans un langage des jeunes d’aujourd’hui. Ça ne pouvait être que lui, l’incarnation de l’élégance et de la passion.

 

En 2015, dans le  film : Floride (de Philippe Le Guay (Les Femmes du sixième étage, Alceste à Bicyclette) il interprète un ex-industriel à la retraite atteint de la maladie d’Alzheimer et partage l’affiche avec Sandrine Kiberlain. Hanté par la mort, ce cher Jean Rochefort confiait au journal Le Monde : «  La peur de la mort c’est pas marrant. Je ne voudrais pas claquer tout de suite parce que j’ai encore pleins de choses à faire ». Que de là où il est, il soit rassuré, car il en a fait de grandes choses tout au long de sa vie.

La bande du conservatoire

Né le 29 avril 1930, il grandit à Vichy pendant la Seconde Guerre Mondiale. Il sera traumatisé à jamais par ce qu’il vît à la libération de la France en 1945, âgé alors de 14 ans, il assiste à de nombreux règlements de compte : la vision d’une femme nue, le crâne entièrement rasé, un homme tuant un soldat SS. Ces images auront un certain impact dans le futur sur son implication dans la vie politique française, Jean Rochefort considère qu’il n’est pas « un homme de parti ». Après un premier travail en tant que garçon de bureau à la Banque de France, et des cours de théâtre à Nantes, il monte à la capitale à 19 ans et rentre à l’École de la Rue Blanche (renommée aujourd’hui l’ENSATT), puis au conservatoire national supérieur d’art dramatique.

C’est sur les bancs du conservatoire que se forme une joyeuse bande d’acteurs : Belmondo, Cremer, Marielle, Rich, Rochefort, Vernier et Beaune, c’est à ce moment-là que naît l’amitié entre ces six jeunes hommes de la plus grande école de théâtre de France. Ils viennent d’horizons très différents mais partagent un amour inconditionnel pour le théâtre et pour l’humour. Dans son livre La Bande du conservatoire, Philippe Durant raconte : « Le conservatoire est tout simplement pour eux le meilleur endroit où travailler, pour retrouver les copains, pour se sentir en liberté, pour suivre avec passion l’enseignement des maîtres. […] Un groupe comme il en existe d’autres dans cette école dans toutes les écoles. Sans doute avec une légère différence, car ses membres sont unis par un lien, intime, profond qui résistera à l’usure du temps. D’abord potes, puis copains, ils deviennent amis. ». Une amitié qui dure jusqu’à la disparition de certains de ces membres, Bruno Cremer décède en 2010 et Philippe Noiret dont il a toujours été très en proche, au cinéma comme à la ville, en 2006.

Jean Rochefort et Philippe Noiret en 1983, dans « L’ami de Vincent »

 

C’est donc sur les planches de théâtre que Jean Rochefort se lance, il y commence sa carrière à 23 ans et ne quittera jamais les salles parisiennes malgré une carrière cinématographique qui le rendit célèbre auprès du public. On a pu le voir au cours des dernières décennies dans des rôles très différents, de Pinter à Giraudoux, de Feydeau à Yasmina Rezza, de Miller à Stravinski et d’autres moins connus encore. Il se lance d’ailleurs également dans la mise en scène avec La Femme à contre-jour d’Eric Naggar et L’Histoire du soldat d’Igor Stravinski en 1988 puis une reprise de cette dernière en 1991.

La naissance de l’acteur

C’est en 1955 qu’il s’essaie pour la première fois au cinéma avec un petit rôle dans Rencontre à Paris de Georges Lampin mais il doit son premier grand succès à Cartouche de Philippe de Broca, sorti en 1962, où il retrouve son grand copain du conservatoire Jean-Paul Belmondo et la belle italienne Claudia Cardinale. C’est sur le tournage de ce film, alors qu’il vient d’avoir trente ans que va naître une nouvelle passion connue de tous, celle des chevaux. Il apprend à monter et devient un grand cavalier, il ne rate jamais un concours et convertit également ses enfants à l’équitation.

Il affirme souvent avoir mis une centaine de poulains au monde dans son haras : le Haras de Villequoy à Auffargis dans les Yvelines, et a également été consultant pour France Télévision lors des Jeux Olympiques de 2004. De plus, un documentaire sur son engouement des bêtes lui est consacré dans l’émission 30 Millions d’amis en 1976 dans laquelle on voit ce grand monsieur entouré de sa première femme et de leurs deux enfants, à la campagne  parler de chevaux et autres animaux qu’ils possèdent. La même année, sur le film Un éléphant ça trompe énormément d’Yves Robert, il s’amuse à faire semblant de ne pas savoir monter. Un autre côté de sa vie privé, que Jean Rochefort a toujours assumé, loin de la vie parisienne, il a vécu une majeure partie de sa vie à la campagne et se décrit joyeusement comme un acteur rural.

 

Après le triomphe de Cartouche, Rochefort sera à l’affiche d’au minimum un film par an, voir plusieurs dans une même année, c’est désormais aux studios de cinéma qu’il consacre sa vie. On l’aperçoit dans la saga Angélique, marquise de anges aux côtés de Michèle Mercier et Robert Hossein où tout jeune en costume d’époque il incarne le chef de la police de Louis XIV. Toujours dans les années 1960, il retrouve Philippe de Broca pour ce qui deviendra un autre grand classique populaire : Les Tribulations d’un Chinois en Chine, son ami Bebel est encore une fois à ses côtés en tant que premier rôle.

Après des rôles dans de nombreuses comédies intergénérationnelles de l’époque, comme Le Grand Blond avec une chaussure noire, et sa suite, Le Retour du grand blond, Rochefort se distingue aussi par sa capacité à être aussi à l’aise dans des rôles comiques et dans d’autres plus dramatiques.

Une autre grande rencontre marquera à jamais sa trajectoire cinématographique, c’est celle de Bertrand Tavernier dans l’Horloger de Saint-Paul en 1973, qui fait de lui l’acteur qu’il allait être par la suite, il considère que Tavernier lui a appris à se détendre face à la caméra. Par la suite, il excelle particulièrement dans les films du réalisateur de la saga Les Bronzés, Patrice Leconte, dans des rôles assez dramatiques comme dans Le Mari de la coiffeuse ou Tandem dans les années 1980, 1990.  Il reste en effet souvent fidèles à quelques réalisateurs qui ont marqué sa filmographie que ce soit  de Broca, Tavernier, Leconte ou Yves Robert, mais Rochefort a également travaillé avec des maîtres incontestés, on peut citer entre autres Claude Chabrol, Luis Buñuel, Edouard Molinaro ou Michel Audiard.

Cependant,  dans cette filmographie vraiment fournie Jean Rochefort avoue lui-même avoir joué dans plusieurs « navets » juste pour satisfaire son amour des chevaux.

Le Don Quichotte de Terry Gilliam

En 2000, un gros projet de Terry Gilliam est en cours, il prévoit de faire un film,  L’Homme qui a tué Don Quichotte qui devait réunir Rochefort, dans le rôle de Don Quichotte, avec Johnny Depp et Vanessa Paradis. Le film est retardé, Jean Rochefort est atteint d’une violente douleur à la prostate et est dans l’obligation de remonter à Paris consulter son médecin qui lui diagnostique une double hernie discale. Le projet de Terry Gilliam tombe à l’eau et Rochefort est au plus mal mais se remet peu à peu et continue d’enchaîner les films.

Jean Rochefort et Terry Gilliam, sur le tournage avorté de « Don Quichotte » – Photo issue du documentaire « Lost in la Mancha », DR

 

Dans les années 2000, il fait confiance à de plus jeunes réalisateurs où il fait de petites apparitions comme dans Ne le dis à personne de Guillaume Canet ou J’ai toujours rêvé d’être un gangster de Samuel Benchetrit. Son dernier film Floride,  et le personnage qu’il interprète représentent très bien la carrière complète de l’acteur entre l’émotion et le rire des spectateurs.

Il est récompensé par deux césars du meilleur comédien en 1976 pour Que la Fête commence de Bertrand Tavernier et en 1978 pour Le Crabe-Tambour de Pierre Schoendoerffer, ainsi qu’un César d’honneur en 1999 pour l’ensemble de sa carrière.

« Alors je repense à ce qui m’a beaucoup plu par ici »

 Jean Rochefort ne s’arrête jamais, il enchaîne les projets entre cinéma, théâtre et chevaux, ce qui l’avait amené à déclarer d’ailleurs dans une interview donnée au Journal du Dimanche « Longtemps, m’asseoir a été un luxe que je ne pouvais envisager », propos également confirmé par ses enfants, qui ne voient pas beaucoup leur père.

Pas facile d’avoir une vie privée saine à partir de ce moment-là. Bon vivant, ce cher Jean se laisse aller aux plaisirs de la vie entre l’alcool et ses trois paquets de cigarettes par jour, il avouait également au quotidien Libération qu’après l’avortement du projet de Terry Gilliam , il a pris un coup au moral « Cinq dépressions ces dix dernières années, couché sept à huit mois chacune. (…) Dépression suicidaire très violente : la seule joie de mes journées, c’était quand j’avais trouvé un endroit pour me tuer. A ce moment-là, il fallait faire très gaffe, à ne pas rester seul. » Depuis, son médecin lui avait prié de quitter la campagne et de revenir sur Paris, il est alors âgé de 80 ans.

Sous ses airs de dandy cool, il nous apparaît comme charmeur mais ça n’a pas toujours été le cas. Jean-Paul Belmondo racontait que quand ils étaient au conservatoire, à l’époque les femmes se sauvaient avec épouvante quand elle les voyaient arriver, et puis le physique de Belmondo s’est imposé et il a entraîné Rochefort à sa suite. Il se marie en premières noces en 1960 avec Alexandra Moscwa avec laquelle il a deux enfants et dont il divorce vingt ans après. Il vit ensuite pendant sept ans avec la comédienne Nicole Garcia avec qui il a un fils Pierre Rochefort, également acteur, puis il épouse l’architecte Françoise Vidal, plus jeune que lui mais avec qui il partage l’amour du monde équin et deux enfants né au début des années 1990.

En dehors de sa carrière et de sa vie privée, ce grand homme est engagé comme parrain du Phare de la vieille dans le Finistère,  depuis 2007 dans le combat des enfants de Don Quichotte en faveur des SDF et fait partie en 2013 du Comité d’Honneur de l’Alliance anti-corrida.

Jean Rochefort a toujours empêché les biographes de se pencher sur son cas mais n’a pas hésité en 2013 à publier une petite autobiographie décalée : Ce genre de chose où il se raconte en anecdotes.

Et en 2015, il déclarait à la Tribune de Genève à propos de la mort :

« Alors je repense à ce qui m’a beaucoup plu par ici. Une promenade à cheval, le vent sur la joue, ou encore la marée qui monte. Je suis breton, j’aime aussi la marée qui descend. J’y retourne demain. »

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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