CINÉMA

Rencontre avec Diane Rouxel

Après avoir fait ses débuts devant la caméra de Larry Clark dans The Smell of Us, monté les marches du Festival de Cannes 2015 pour La Tête Haute d’Emmanuel Bercot, elle est également présente dans deux films à l’affiche. Tandis que dans le premier elle incarne une jeune aveugle avec  Fou d’Amour de Philippe Ramos au côté de Melvil Poupaud, dans le second, elle se retrouve dans le rôle d’une beatboxeuse au cœur du film The Mouth de Thomas Aufort, un mumblecore tourné en seulement dix jours à New-York. Rencontre avec la douce et pétillante Diane Rouxel, la nouvelle pépite en devenir du cinéma français.

Tu as débuté au cinéma devant la caméra du cinéaste américain Larry Clark, connu pour avoir fait des films subversifs sur la jeunesse et pour ses méthodes particulières de tournage. Comment as-tu vécu cette expérience ?

Je l’ai un peu vécue comme deux tournages différents, au début les deux premières semaines ça s’est très bien passé, après la troisième semaine, Larry s’est engueulé avec la moitié des acteurs et les a virés, donc moi je me suis retrouvée toute seule les deux dernières semaines avec lui qui écrivait au jour le jour le scénario et qui faisait jouer des scènes avec des acteurs qui n’étaient pas prévus pour ces scènes-là. Je ne savais pas ce que j’allais tourner le lendemain et c’était un peu déstabilisant. La communication avec lui n’était pas très facile car c’est un personnage hyper imposant, je me sentais un peu effacée les premières semaines mais au moment où mes copains se sont fait virés, ça m’a un peu endurcie je pense, j’étais donc plus capable de lui dire quand j’étais moins à l’aise… Mais il y a eu des moments hyper difficiles.

Beaucoup de versions du tournage ont circulé à travers les nombreuses interviews, le trouvais-tu sincère et authentique dans sa démarche de metteur en scène ou y avait-il réellement des points plus obscurs dans sa méthode ?

Non parce que même pour les scènes de sexe qui sont les scènes les plus difficiles à tourner, au final l’équipe était réduite, ça reste quand même très professionnel. Après là où c’était difficile c’est que pour moi par exemple, c’était ma première expérience et j’étais incapable dans les premières semaines de dire si quelque chose me mettait mal à l’aise ou pas.

Étant donné qu’il reécrivait les scènes la veille, est-ce qu’il te donnait les indications juste avant de tourner ?

La première semaine non car on avait un planning très précis et à la fin on essayait de suivre les restes du planning et c’était très approximatif, il y avait beaucoup de scènes en plus, d’autres qui étaient supprimées, il en réécrivait d’autres pour que ça soit plus crédible.

Il y a eu beaucoup d’improvisations j’imagine ?

Oui il y avait pas mal d’improvisation, parfois même après avoir tourné les scènes qui sont écrites, il essayait de laisser tourner la caméra pour laisser un peu d’impro, dont il a gardé certaines scènes.

Est-ce qu’il a eu beaucoup de différences entre le scénario original et le résultat final du film ?

Mathieu Scribe, qui est le scénariste, a mis quatre ans pour écrire le scénario, c’était son bébé. On est devenus très amis avant même le tournage, je suis toujours très copine avec lui, il a fait plusieurs versions en s’inspirant un peu de nous-même si les personnages ne nous ressemblaient pas, en prenant par exemple des expressions, des petites choses drôles qu’on a pu faire dans une soirée. Souvent en lisant de nouvelles versions, on retrouvait des petits trucs qui nous ressemblaient un peu et desquels on pouvait un peu se rapprocher. Et le scénario final de Scribe, je l’avais vraiment trouvé génial.

Diane Rouxel dans The Smell of Us © 2014 Larry Clark & Morgane Production

Diane Rouxel dans The Smell of Us

Tu as préféré le scénario original de Scribe plutôt que la version final de Larry Clark ?

Oui, je l’adorais, on était à l’unanimité, tout le monde le trouvait incroyable. Je l’ai relu et je le trouve toujours aussi bien. Et c’est vrai que j’étais un peu déçue en voyant le film fini, parce qu’il a mis très longtemps à se tourner, on a mis un an, et on adorait tellement le scénario que c’était difficile de voir en deux semaines que tout était un peu fichu en l’air.

Ça a dû étonner pas mal de monde sur le tournage que Larry n’ait pas respecté le scénario original…

Oui, ça a fait flipper tout le monde, de savoir si on allait réussir à finir le film, s’il allait réussir à en faire quelque chose en sachant que la moitié des acteurs n’étaient plus présents. Et je trouve que dans le film il reste des scènes très très belles et il y a quand même des très bonnes choses mais c’est vrai que je pense qu’il aurait pu être absolument incroyable s’il avait suivi le scénario de Scribe. (rires)

As-tu eu l’occasion de revoir Larry Clark depuis la sortie du film ?

Oui on s’est recroisés mais après ce n’est pas non plus mon meilleur copain, à partir du moment où il a viré mes potes, je l’avais déjà un peu en travers.

Dans les interviews il disait que sur le tournage il y avait d’un côté, vous les acteurs qui avaient un réel esprit de communauté et de l’autre, lui, le metteur en scène solitaire.

Oui, on était devenus très copains avant de tourner le film. Pendant deux ans, on allait à Paris, Larry repartait, il disait qu’on allait faire le film et commencer la préparation. Et puis du jour au lendemain, il est parti aux États-Unis et nous a laissés alors que nous on a abandonné nos études pour faire le film… Donc on a tissé beaucoup de liens avec Lucas, Hugo et Théo.

Je suppose que tu as dû être heureuse de tourner sur le film de Thomas Aufort juste après The Smell of Us  !

Oui j’avais besoin d’un truc comme ça, plus frais, avec une bonne ambiance, léger… C’était génial. Je ne connaissais pas du tout Thomas, mais on a pas mal discuté d’abord sur Facebook, on s’est rencontrés, j’ai trouvé le projet hyper intéressant !

Ça a dû se faire super rapidement ?

Oui, ça s’est fait assez rapidement, il m’a proposée qu’on se voit à Paris, on a bu un café et là il a sorti tous ses petits papiers et il savait déjà jour par jour ce qu’on allait tourner et je trouvais ça intéressant de faire un film sur la beatbox.

C’était ta première fois à New-York ?

Oui c’était ma première fois à New-York !

Alors c’était à la fois la découverte de ton personnage de la ville et ta propre découverte ?

Oui c’était génial car comme on a tourné en dix jours, on a énormément bougé et on a fait une visite expresse de New-York en même temps, en allant dans des endroits un peu atypiques.

Le film possède un bel aspect technique, on ne se doute pas que le tournage n’a duré que dix jours, avec une petite équipe technique de trois personnes…

Oui, c’est hyper agréable de travailler comme ça car tout est très rapide et on a plus la possibilité de rajouter des choses selon nos envies sans la pression d’une grosse équipe de quarante personnes derrière… C’est agréable d’avoir cette liberté !

Est ce que le scénario de The Mouth était très écrit ?

Non, il y avait énormément d’impros, après Thomas avait une ligne directrice pour chaque scène et il nous donnait les grands axes des discussions. A ce moment c’est vrai que je n’avais pas un grand niveau d’anglais et Théo, qui était son assistant et qui est mon copain m’a aidé pour le vocabulaire.

Diane Rouxel dans The Mouth

Diane Rouxel dans The Mouth © 2015 Thomas Aufort

Dans The Smell of Us tu joues une skateuse et dans ton film suivant The Mouth tu joues une beatboxeuse, il y a une certaine affiliation avec le monde underground. Tu connaissais un peu le monde du skate avant le film ?

J’ai rencontré l’équipe de The Smell of Us parce que je faisais du skate à l’époque, j’en fais plus trop maintenant mais je pense que je vais m’y remettre. Je ne traînais pas vraiment dans les skate-parks c’était plus pour me déplacer. Par contre j’ai beaucoup de copains skateurs qui étaient dans le monde underground, qui connaissaient tous les groupes… Grâce à eux j’ai rencontré pas mal de monde de ce milieu-là. Mais disons que je ne passais pas tous mes week- end dans les skate-parks et dans les soirées underground.

Est-ce-que c’était difficile d’incarner un personnage qui fait de la beatbox dans The Mouth alors que tu n’en faisais pas ?

Oui mais c’est ça aussi qui m’a amusée et qui m’a donnée envie de participer au projet. J’ai regardé pleins de vidéos…

Tu t’es un peu entraînée avant le tournage ?

Oui je me suis entraînée, même si ce n’est pas vraiment moi qui en fais dans le film il fallait quand même que je sache le faire car même si le son n’était pas le même, il fallait que je comprenne comment bouger la bouche pour que cela soit crédible.

Même si ce n’est pas toi qui fait de la beatbox, dans le film une énergie palpable émane de ton personnage, un peu comparable à celle des rappeurs, mais avec un autre mode de langage.

Oui ça m’a amusée, pour les sons Thomas les avaient déjà choisis, il me les a envoyés et moi j’essayais de les apprendre comme ça je pouvais les faire par-dessus. Et parfois je mettais un écouteur que j’essayais de cacher pour faire par-dessus et pour que cela soit synchro.

Pourrais-tu me parler un peu de ton personnage dans The Mouth, comment l’as-tu vécu et vu ?

Je trouvais cela intéressant après avoir fait le film de Larry Clark d’incarner un personnage qui soit finalement totalement différent. Et moi comme ce fut ma première fois à New-York, j’avais envie de le vivre comme ce personnage qui débarquait aussi à New-York. Par exemple pour toutes ces scènes où elle découvrait la ville, je n’étais pas obligée de le jouer. J’ai aimé le fait que ce soit une fille qui soit très livrée à elle-même, qui a perdu sa mère et qui se retrouve avec son père qu’elle n’avait jamais rencontré et qu’elle soit obligée de se débrouiller. Elle a une espèce de force en elle…

Oui, le personnage m’a fait penser à une version féminine de Rocky, ce petit bout de femme qui se bat…

Oui ! C’est une battante et c’est ce qui m’a attirée chez elle.

C’est d’ailleurs intéressant le rapport conflictuel avec son père qu’elle vient fraîchement de rencontrer, un père qui n’accepte pas qu’elle soit beatboxeuse, qui trouve ça « sale ».

Finalement elle s’en fout un peu du regard de son père j’imagine, c’est un mec qu’elle ne connaît pas, un espèce de « gros porc ». Elle arrive et lui il essaye d’avoir un semblant de rapport de force : « ce que tu fais, c’est de la merde etc… » mais au final elle essaye de lui montrer que dans l’histoire le stupide c’est lui et pas elle. Elle ne veut pas finir comme lui, dans sa petite maison, elle voudrait vivre de sa passion.

La relation complice entre ton personnage et celui joué de Melvin Mogoli est très tendre, lui aussi il dégage une énergie particulière…

Oui mais au début elle n’a pas envie, elle préférait son petit train de vie, son petit job et là un mec vient la titiller pour faire des concours de beatbox. (rires)

Le jeu de Melvin Mogoli est tellement troublant que l’on a impression qu’il n’incarne pas un personnage, mais que c’est lui à part entière.

Oui c’est carrément lui d’ailleurs, je trouve que ce n’est pas si différent, il était très drôle.

Tu as également été à l’affiche de La Tête Haute d’Emmanuel Bercot qui a fait l’ouverture au dernier Festival de Cannes, comment fut cette expérience pour toi, le fait par exemple de jouer avec de grandes vedettes comme Catherine Deneuve ?

J’étais hyper impressionnée. Je me souviens d’avoir lu le scénario et d’avoir croisé les doigts pour que ce soit moi car j’avais adoré le scénario. J’avais les larmes au yeux en lisant la scène où le protagoniste devait écrire une lettre et qu’il n’y arrive pas et finalement qu’il laisse tout tomber… Ça m’avait hyper émue. Et donc j’ai rencontré Emmanuelle et j’ai su très longtemps après que j’avais été prise alors que j’avais un peu oublié en me disant « ok ça n’a pas marché ». En effet j’étais dans le métro et d’un coup on me dit « c’est bon t’es prise pour La Tête Haute ! » et là j’étais hyper contente parce que c’était très différent de ce que j’avais déjà fait, et ça toujours, je trouve que c’est important. Je suis assez heureuse de faire des rôles assez différents et de ne pas rester dans un seul genre. Là je jouais une espèce de garçon manqué, il fallait que je me rase, subir une transformation physique ça me faisait marrer !

Diane Rouxel dans La Tête Haute

Diane Rouxel dans La Tête Haute © 2015 Les Films Du Kiosque

Ton personnage ressemble justement beaucoup au personnage principal, avec les cheveux très courts, c’est assez troublant !

Oui c’est troublant, j’ai trouvé ça génial. J’ai pris aussi des cours de boxe pour une toute petite scène où je devais faire ça, histoire de faire crédible.

Encore un sport de combat, un peu comme la beatbox d’ailleurs !

Oui c’est l’histoire d’une jeune fille qui tombe amoureuse de ce garçon alors que sa mère est directrice d’un SEF et son père travaille aussi dans ce milieu et je pense que c’est une façon pour elle d’exister face à ses parents. Et j’imagine qu’elle doit souvent entendre tous les soirs à table ses parents parler des histoires de ces jeunes, et elle a été touchée par lui.

En ce moment tu es également à l’affiche de Fou d’Amour de Philippe Ramos, où tu joues une jeune aveugle…

Oui c’est encore un rôle complètement différent (rires). Je me souviens d’avoir lu le scénario et m’être dit « Oh la la comment vais-je faire pour pouvoir faire un truc pareil ? ». Je suis arrivée au casting et en fait à un moment je me suis mise à loucher car ça me permettait de balayer le paysage du regard sans m’accrocher à des éléments, je pense que cela lui a beaucoup plu. La relation avec Philippe Ramos était hyper simple, c’est vraiment un mec génialissime. Je pense que comme on s’entendait bien aussi, cela lui a donné envie de bosser avec moi et moi j’avais très envie de travailler avec lui. J’avais fait beaucoup beaucoup de castings et, au fur et à mesure, ces castings sont devenus des séances de travail. Un jour on a bu un café et il m’a dit qu’il voulait que cela soit moi.

Tu débutes ta carrière au cinéma, comment est la vie d’une jeune actrice ? On vient te chercher, tu fais des castings ?

Depuis le film de Larry Clark j’ai un agent parce que je devais en avoir un pour négocier mon contrat, comme on s’est très bien entendues, elle m’a envoyée sur un autre casting juste après qui a marché et, de fil et en aiguille elle est vraiment devenue mon agent. C’est elle qui m’envoie sur les castings, The Smell of Us n’a pas très bien marché donc c’est vraiment La Tête Haute, qui m’a permis d’avoir une grande visibilité et là je sentais que je passais un peu plus de castings et que cette fois-ci les gens m’appelaient parce qu’ils avaient vu mon travail et je savais quand même que j’avais une certaine chance d’être prise. Je ne débarquais plus dans un truc où je savais qu’on était quarante filles ou plus et que j’avais peut-être même pas l’âge… (rires) C’est agréable parce que tu sais que tu te déplaces vraiment parce que tu as déjà une sacrée chance d’être prise !

Quels sont tes projets de cinéma à venir ?

Là en ce moment je tourne avec Frédéric Mermoud qui avait fait Complices et notamment les quatre derniers épisodes de la première saison de Les Revenants. C’est aussi un mec adorable, après Larry Clark j’ai eu beaucoup de chance, je suis tombée que sur des gens sympas ! (rires) Là on tourne à Evian et c’est un drame avec Emmanuelle Devos et Natalie Baye qui joue ma maman.

Après Catherine Deneuve, Emmanuelle Devos et Natalie Baye, tu joues dans la cour des grands ! (rires)

Oui je suis très contente mais je n’ai qu’une scène avec elle, toutes mes scènes c’est avec Emmanuelle Devos. Et après ça je pars à la Réunion un mois pour tourner avec Bertrand Mandico, un film qui va s’appeler Les Garçons sauvages où on est cinq filles à jouer des garçons, oui encore un rôle différent ! (rires)

Tu vas te recouper les cheveux pour ce rôle ? (rires)

Oui on va me recouper les cheveux mais moins que dans La Tête Haute !

Est-ce-que tu as en tête des cinéastes français ou étrangers avec qui tu as particulièrement envie de travailler ?

Dans l’idée j’aimerais tourner avec tous (rires) mais non j’ai surtout envie de tomber sur des scénarios intéressants et des rôles différents qui ne soit pas juste celui du jeune premier, la lycéenne qui s’engueule avec ses parents, le schéma facile… J’aime bien avoir des challenges !

Propos recueillis par Lisha Pu

Remerciements le cinéma Lux, Thomas Aufort et Diane Rouxel

"Ethique est esthétique." Paul Vecchiali

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