CINÉMA

Gemma Bovery – Un Flaubert moderne ?

Fabrice Luchini est à nouveau sur grand écran, et depuis Alceste à bicyclette l’année dernière, on n’arrête plus ce grand homme de théâtre. Ce nouveau film d’Anne Fontaine se fonde sur le roman de Flaubert, Madame Bovary, et revendique son attachement à celui-ci.

Martin a été parisien une bonne partie de sa vie. Mais il nourrissait l’espoir de revoir sa Normandie, ce « pays qui [lui] a donné le jour ». Dans un cadre particulièrement champêtre, Martin a donc repris la boulangerie familiale depuis sept ans. Quotidiennement, il pétrit son pain avec en fond sonore une lecture de son roman préféré : Madame Bovary. Chaque phrasé, la narration du moment du bal, ou les pensées de cette femme attristée de la monotonie de sa vie n’ont aucun mystère pour ce boulanger un peu rêveur.
Mais un jour la vieille bicoque face à sa maison est achetée par des Anglais. Ils se nomment Charles et Gemma…Bovery. Martin, ébloui, voit s’incarner devant lui le couple qu’il connaît le mieux. Il ne peut alors s’empêcher de fantasmer sur cette femme éblouissante, en lui imaginant la vie amoureuse de Madame Bovary. C’est donc avec un côté très voyeur qu’il va mêler son existence à la leur, cherchant à savoir si oui ou non cette femme est une réincarnation de son amour littéraire.

Et en effet, qui d’autre aurait pu être choisi pour jouer Martin que Fabrice Luchini ? Il fallait un homme de théâtre, un homme littéraire, un homme d’admiration : ce film réclamait Luchini à grand cris, et il avait raison ! Une fois de plus, l’acteur nous montre ses capacités et sa fascination en jouant cet homme englouti par son propre fantasme.

Gemma Bovery - Droits Réservés

Gemma Bovery – Droits Réservés

Une adaptation moderne ?

Madame Bovary retrace la vie d’une femme qui s’ennuie et n’en veut plus, une femme qui souhaite s’émerveiller du monde. Dans ce classique flaubérien, il n’y a pas spécifiquement d’action ou de rebondissements soudains. Pourtant le lecteur tombe en admiration devant cette femme si banale et si désespérément romanesque à la fois. L’ouvrage est cité explicitement dans le film. Il est le nœud de toute l’histoire. En effet, le scénario repose sur le fait de savoir si oui ou non Gemma suivra le même destin que l’héroïne littéraire.

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Gemma Bovery – Droits Réservés

Le film d’Anne Fontaine se révèle être sur la même dynamique : lent, calme, et plein d’observation. Une fois que le spectateur s’est glissé dans la vie de Gemma-Emma, il peut y percevoir tous les infimes et ultimes changements qui expliqueront la destinée de cette jeune femme. Elle est incarné par Gemma Arterton de manière assez juste, mais qui ne la met pas forcément en valeur. Évidemment sa beauté et sa sensualité sont exacerbées. Ainsi, vous vous prendrez à l’admirer comme le fait Martin, mais pas nécessairement pour son jeu d’actrice.

Une comédie avant tout

On rajoute cependant à l’histoire romanesque un nouveau narrateur : Martin. Par lui s’insère un recul nécessaire à la moquerie douce et à l’humour.

La réalisatrice se permet alors de jouer avec de nombreux stéréotypes sans détour. C’est donc avec une joie immense que Gemma sent le pain en disant, « Hmm, it’s France, Charly ». Puis, il y a la scène où elle pétrit le pain avec des hoquets de plaisir et cela semble être le résultat d’un amalgame étrange entre Gost et les Feux de l’amour. Martin, derrière elle, peine à s’exprimer, et nous fait cadeau du discours suivant sur le pain : « « Toucher le pain, c’est toucher la terre, la croûte originelle d’où est sortie la vie »… Obstinément exagéré et grotesque, les scènes nous font sourire. Tout comme celle où Luchini tente de parler dans un anglais terriblement français.

Un cliché ambulant prend aussi corps dans leur amie française, devenue bilingue grâce à son mari anglais (et riche). Elle cherche un style « hype » pour redécorer son entrée, car il faut rester tendance même dans la campagne normande. Avec un accent très prétentieux et des règles de régime qu’elle dispense avec plaisir, elle insiste sur le style « mi-Versailles, mi-japonais » qu’elle souhaite donner à sa maison.

Quant à la fin du film, elle aurait pu être banale et suivre le fil directeur du livre. Mais la réalisatrice a fait le choix de poursuivre l’histoire, avec beaucoup d’ironie et d’incompréhension. On assiste alors à une espèce d’enquête policière, entremêlée de flashbacks complètement saugrenus et risibles. Malgré des événements tristes, ce film ne pèse donc pas sur le cœur. Et les dernières scènes plairont notamment à tous ceux qui ont un jour rêvé de voir un Fabrice Luchini désemparé et niaisement amoureux de tous les « classiques » de la littérature.

Anne Fontaine peut être comparée à Flaubert dans le sens où elle réussit à faire un film sur la médiocrité de plusieurs vies entremêlées pour les faire étinceler et les rendre romanesques. Cependant, outre des qualités, ce film possède des défauts, et le pendant de la pièce est qu’il persiste quelques longueurs. En effet, au milieu du film, il faut attendre un événement pour que le rythme tranquille mais agréable reprenne, voire s’accélère, sous peine d’ankyloser un peu les spectateurs.

Pour les hermétiques de Flaubert, il ne faudra peut être pas tenter le diable en allant voir Gemma Bovery, mais pour les passionnés de Luchini : ne le manquez pas en habit de boulanger.

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