CINÉMA

Le Majordome

C’est un film paradoxal. Il n’y a rien à redire mais pourtant le film déçoit. Il y a d’une part le contrecoup de l’emballement des médias et des critiques positives, voire élogieuses, mais d’autre part la partition sonne faux. Le film est déroutant parce que de A à Z il paraît parfait mais quelque chose ne va pas. La scène d’ouverture dans les champs de cotons avec Cecil – le futur majordome – et sa famille est saisissante et permet, en quelques secondes seulement, d’entrer dans le film. Viennent ensuite les scènes de jeunesse puis les premiers emplois et enfin les débuts à la Maison Blanche. On suit alors l’histoire assez extraordinaire de cet homme au service de sept présidents américains, on suit également l’histoire de ce pays en décomposition, aux prises avec la question de la ségrégation raciale. Mais on reste passif, on demeure un regard complètement étranger à cette histoire que l’on connaît pourtant, le réalisateur ne parvient jamais à nous intégrer au sein de son film et nous laisse toujours dans la salle de cinéma en train de regarder un bon film sans jamais nous transporter. Pourtant, Lee Daniels avait réussi dans Precious à nous saisir aux tripes, à nous faire faire partie intégrante de son film. Il ne réédite pas cela mais au contraire arbore un style beaucoup plus lisse, beaucoup trop lisse, ce qui fait de son film qui aurait pu être militant un film seulement historique. On retrouve aussi cela dans l’oscillation permanente  du réalisateur entre le récit du Majordome et celui de son fils. Celui-ci prend très activement part à la lutte pour les droits des Noirs tandis qu’il reproche à son père de rester passif alors qu’il côtoie quotidiennement l’homme qui peut changer leur situation. Et si l’opposition des générations est passionnante, le réalisateur se perd néanmoins dans deux récits qui mériteraient finalement deux films différents.

Pour autant, on reconnaît aisément des qualités au film. La réalisation est techniquement très bonne et la photographie est superbe. Les prestations des acteurs sont impeccables. Forest Whitaker prouve une nouvelle fois qu’il est un grand acteur et se place déjà en position de favori dans la course à l’Oscar. Dans le rôle de sa femme, délaissée et alcoolique, Oprah Winfrey est irréprochable même si la focalisation intense du film sur son mari ne lui laisse pas l’opportunité de montrer l’étendue de son talent. On retient aussi la belle prestation du fils engagé qui crève l’écran. Le scénario, fondé sur le livre écrit par le Majordome lui-même, laisse quelques longueurs mais demeure toutefois très bon.  La scène finale, qui nous propulse en 2008 est elle aussi parfaitement bien réussie  et parvient même à nous donner quelques frissons, parce qu’elle nous intègre bien mieux au sein du film, nous ne sommes plus un regard extérieur à qui l’on ne fait que conter une histoire, mais nous avons l’impression de vivre cette histoire en même temps que nous la regardons. Il est vrai que l’on a vécu ce passé proche, mais c’est le rôle du réalisateur de nous faire revivre l’Histoire comme si nous y étions.

On peut aussi regretter le fait que le film se focalise seulement sur la question de la ségrégation raciale et n’aborde pas plus de sujets à travers le regard de celui qui a presque été un locataire de la Maison Blanche. Mais on retient surtout un film impeccable, parfait du début à la fin,  mais auquel il manque ce petit quelque chose qui fait d’un bon film un grand film.

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