CINÉMA

« Déesses indiennes en colère » – Le cri du cœur

Si je vous dis « cinéma indien », vous répondrez sans doute « Bollywood ». Mais le cinéma au pays de la déesse Kali, c’est bien plus que ça. Après les succès retentissants de buddy movies, le réalisateur indien Pan Nalin livre – enfin – un film de femmes, tout en puissance.

Sept amies Frieda, Suranjana, Nargis, Mad, Joanna, Pammi et Laxmi sont réunies dans une maison au bord de la mer pour une occasion très spéciale : un mariage entre deux femmes. A travers leurs discussions et leurs disputes, on découvre leurs vies et les difficultés d’être une femme en Inde. Le drame surgit, à un moment où on ne l’attend plus. Il est cruel et violent. Mais Nalin ne tombe pas dans le pathos : c’est un film où l’on rit, où l’on pleure et où l’on s’énerve comme dans la réalité.

Les conditions de vie des femmes en Inde font régulièrement la une des journaux, pour des raisons toutes plus terribles les unes que les autres : infanticides en masse des bébés de sexe féminin, viols et meurtres, corruption et injustices… Si dans la religion, la femme est censée être vénérée comme la déesse Shakti, compagne de chaque dieu, en réalité elle est emprisonnée dans des carcans patriarcaux dont il est très difficile de se défaire. Le film de Nalin est ancré dans cette triste vérité.

Il est toutefois assez surprenant d’apprendre que ce film a été réalisé par un homme, qui dans un premier temps rappelle la beauté et l’énergie du Mustang de la réalisatrice franco-turque Deniz Gamze Erguven. La volonté de Pan Nalin était de dépeindre les femmes indiennes de la ville et de la classe moyenne, à travers une galerie de portraits. Elles sont chanteuse, cadre ou mère au foyer mais vivent au sein de la même société violemment misogyne qui les renvoient sans cesse à leur rôle de mère, de fille ou de sœur. Même les métiers des personnages qui devraient permettre l’indépendance et la modernité ne permettent pas une vraie liberté. Le cinéaste a voulu raconter la vie de femmes qu’il connaît et côtoie. Il a également l’audace de traiter de l’homosexualité, l’un des plus gros tabous de la société indienne.

Le casting est exceptionnel, chacune des actrices incarnant avec finesse et fougue ces héroïnes en rébellion contre la société sexiste dans laquelle elles vivent. Elles sont de diverses générations, professions, sexualités mais elles se battent toutes pour affirmer leur identité. La lumière, les paysages et les cadres sont de toute beauté. Le seul reproche qui pourrait être adressé est celui du mécanisme très classique du scénario : joie, pleurs, rabibochage, drame, tristesse, lutte. Mais les discussion mouvementées et rappelant presque des adolescentes humanisent ces personnages qui laissent peu à peu transparaître leurs idées, leurs doutes et leurs peurs. Le film est tellement tendre, beau et violent à la fois, que l’énergie l’emporte et que le schéma du scénario est vite accepté. C’est un très bel hommage que rend aux femmes de son pays Nalin. Il choisit de terminer par une note d’espoir, dans une scène déjà-vu mais symboliquement très riche.

Tourner un tel film dans l’Inde d’aujourd’hui n’a pas été facile. Le réalisateur a été confronté à de nombreux problèmes : difficulté de trouver des financements, censure, menaces de mort par des extrémistes. Le Conseil central de certification des films (CBFC) a exigé que les images de la déesse Kali soient floutées, ne souhaitant pas la voir associée à des femmes qui fument et boivent en toute liberté.

Réalisé par un homme qui aime les femmes, cette œuvre est très intense, très belle et très importante pour la société indienne en plein mouvement. A voir absolument.

Secrétaire générale de la rédaction du magazine Maze. Provinciale provençale étudiante à Sciences Po Paris. Expatriée à la Missouri School of Journalism pour un an. astrig@maze.fr

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