CINÉMASTYLE

Rencontre avec Erika Lust

La réalisatrice suédoise de films érotiques indépendants s’est imposée dans un univers jadis reservé aux grosses majors américaines. Révolutionnant l’image et l’objet même de la pornographie, trop souvent réduite à un défouloir masturbatoire pour les hommes, Erika Lust a construit son travail en opposition à ces clichés qui décrédibilisent le genre. Avec Erika Lust, la pornographie est féministe. Rencontre.

Lust Films XConfessions © Chio Lunaire at lunaire.es

Lust Films XConfessions © Chio Lunaire at lunaire.es (pour Maze n°43-Septembre 2015).

Quel a été l’élément déclencheur qui vous a fait accéder au monde de la pornographie ?

Je suis accroc aux films et j’aime le cinéma ! Quand j’ai vu du porno pour la première fois, je fus bien évidemment déçue ! Même si j’ai trouvé ça excitant à un certain niveau, je ne comprenais pas pourquoi un film “explicite” ne pouvait pas être plus cinématographique et plus beau que ce que je voyais. Le sexe, c’est beau et amusant ! Il n’y a pas de règles qui disent que les films explicites doivent être faits avec une mauvaise lumière, de mauvais dialogues, aucune narration ni aucune attention aux détails… Je sentais que je pouvais faire quelque chose de bien mieux que cela ! J’ai déménagé de Suède pour m’installer à Barcelone en 2004 pour étudier le cinéma et j’ai réalisé The Good Girl qui était un porno avec un livreur de pizza mais fait de manière un peu différente. Je l’ai mis en ligne et dans un laps de temps très court, il a obtenu plus de deux millions de vues ! J’étais ravie de voir que d’autres personnes avaient aimé ce que j’avais fait et cela m’a motivée à continuer à créer du cinéma adulte.

Comment avez-vous découvert la pornographie, quel a été votre premier contact avec des images porno ?

En fait, c’était à une soirée pyjama au début de l’adolescence. Nous avions volé une cassette VHS dans l’armoire du père d’une amie. Nous étions vraiment très excitées de la mettre dans le magnétoscope avant que les images ne commencent. La cassette a été rapidement retirée et rangée à sa place. J’ai réessayé quelques années plus tard avec mon copain à l’université, j’avais dix-sept ans, l’expérience a été un peu plus excitante mais ce fut aussi une déception, comme la première fois ! J’étais vraiment déçue car je n’aimais pas particulièrement ce que je voyais, mais ça a permis de m’éveiller un peu. J’ai pensé : pourquoi n’y aurait-il pas de films pour adultes que je pourrais aimer à la fois esthétiquement et sexuellement ?

En quoi le porno féministe diffère-t-il du porno « traditionnel » ? Peut-on dire que ce genre de pornographie est masculine ?

La pornographie féministe apporte un point de vue nouveau et frais ! Saviez-vous qu’environ 99 % des réalisateurs de films érotiques sont des hommes ? Et qu’une vaste majorité de ces hommes filment des images de qualité médiocre, avec aucune narration, des arguments ridicules et une image de la femme fausse et blessante. Le manque de diversité m’ennuie à mourir. Je suis fatiguée du porno athlétique, gynécologique, poussif. Être une réalisatrice de films pornographiques indépendante est un manifeste féministe dans cette industrie ! Nous devons innover, apporter quelque chose de nouveau, un point de vue différent. Dans mes films, je veux plus de cunnilingus, plus d’intimité, plus d’intimité, plus de corps enchevêtrés, plus de baisers, plus de plaisir pour l’homme ET la femme, plus d’amour… Oubliez les images purement gynécologiques avec de mauvaises esthétiques et dites bonjour à de l’érotisme de qualité et de diversité !

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Dans une conférence TEDx à Vienne l’année dernière, vous avez dit que la pornographie était la nouvelle éducation sexuelle pour les enfants et les adolescents, est-ce un motto que vous avez toujours en tête quand vous réalisez des films pornographiques ?

Bien évidemment je pense aux spectateurs, et il ne s’agit pas uniquement d’adolescents, mais également de plus jeunes et de plus vieux ! Qu’on le veuille ou non, la pornographie est l’éducation sexuelle du XXIe siècle. La plupart des adolescents découvrent le sexe en regardant du porno, même avant qu’ils aient leur premier rapport. Les garçons se construisent un « idéal » de la femme facile dont le seul but dans la vie est de plaire aux hommes, pendant les filles pensent que pratiquer un sexe qui ne soit ni amusant ni plaisant pour elles est normal et fait partie de la vie. Cela ne l’est pas et c’est pour cela qu’il est temps que le porno change.

Le livre qui a réellement influencé ma vision de l’érotisme est Hardcore, de Linda Williams, c’est absolument fantastique, vous devriez le lire ! L’auteure démontre à quel point la pornographie n’est pas que de l’art, mais aussi un discours social réel à propos de la sexualité, et de la manière dont le porno influence la perception que nous avons de celle-ci. Pour moi il est super important de garder cela en tête. Les films pour adultes ont été vus trop longtemps comme une culture underground et subversive, les gens l’ont accepté comme un défouloir de la domination masculine et de l’humiliation des femmes. Cette vision sexiste des relations entre femmes et hommes existe déjà dans la société, mais elle a atteint son climax avec la pornographie. Si la société réalise à quel point les inégalités de genre sont douloureuses, pourquoi ne pas appliquer ces changements au monde de la pornographie ? Tout particulièrement quand on sait à quel point ils influencent la perception de la relation la plus intime possible entre deux personnes.

En bref, quand vous avez le pouvoir d’influencer des choses aussi importantes comme la manière dont on perçoit la sexualité, vous devriez prendre vos responsabilités pour le faire. Ce n’est pas seulement ma vision, c’est une valeur au cœur de mes productions.

Lust Films XConfessions © Chio Lunaire at lunaire.es

Lust Films XConfessions © Chio Lunaire at lunaire.es

X-Confessions est votre dernier projet. Avec celui-ci, vous donnez l’opportunité à tout le monde de donner ses idées, de se confesser au sujet de quelque chose qu’ils imaginent, qu’ils veulent, qu’ils ont fait, puis une fois par mois vous sélectionnez une ou deux de ces idées et vous les transformez en un court-métrage. Pensez-vous que cette interaction est la clef d’un nouveau genre ?

Absolument ! A chaque fois que je lis une nouvelle confession, je suis impressionnée par la créativité sexuelle de chacun.e des contributeurs.trices ! C’est tellement inspirant, tellement amusant de voir ce avec quoi ils se présentent. Je pense qu’en laissant tout le monde partager ses fantaisies personnelles, on rapproche l’érotisme du public et des désirs réels, en promouvant la diversité réelle. Des gens du monde entier partagent les choses qui les émoustillent… N’est-ce pas excitant ? Par exemple, l’un des dernier films que j’ai réalisé, a été inspiré par un contributeur français : La Reine des Culottes, qui raconte l’histoire d’une femme qui laisse délibérément tomber sa lingerie fraîchement lavée depuis son balcon jusque sur son voisin assis dans son jardin. Intrigué par cette invitation, il décide d’aller lui rendre ce qu’elle a perdu… J’adore cette histoire, elle a tellement de charme et tellement de tension sexuelle en même temps ! Un vrai jeu de séduction que seuls vous les français.es maîtrisent avec classe.

Votre société Lust Films s’est établie à Barcelone, est-ce le lieu de l’émergence d’un nouveau porno ?

Je suis tombée amoureuse de Barcelone quand j’étais étudiante, je venais de Suède tous les étés pour perfectionner mon espagnol. Quand j’ai rencontré mon partenaire Pablo nous avons décidé que nous ne voudrions jamais quitter cette magnifique ville ! C’est un endroit vraiment drôle, avec une vibration internationale intégrée dans une culture catalane que j’adore. En marchant dans les rues, vous trouverez des musiciens jouant de la guitare, des personnes s’embrassant, d’autres flirtant sur la place… La sensualité est partout où vous allez ! Tout le monde est tellement ouvert, ce qui est vraiment rafraîchissant et inspirant pour le travail. Mais il y a bien évidemment beaucoup d’autres réalisateurs et réalisatrices qui ne vivent pas ici, pour ne citer que Jennifer Lyon Bell, Vex Ashley, Tristan Taormino et Ovidie, qui sont toutes et tous d’immenses créateurs dotés d’une imagination hors-norme, produisant de l’érotisme de haute qualité.

La pornographie gratuite est-elle morte ? Un géant du porno en ligne vient récemment de lancer une version payante, l’innovation se trouve dans un modèle payant ?

J’espère vraiment que oui ! Je crois que la pornographie gratuite a entraîné un nivellement par le bas des standards dans l’industrie. Regardez comme des images érotiques étaient magnifiques dans les années soixante-dix ! Linda Lovelace dans Deep Throat, se faisant plaisir toute seule sur la table de sa cuisine… C’était le temps où les producteurs investissaient dans la qualité et l’intelligence des films. L’âge d’or du porno dans les années soixante-dix provenait d’une rebellion contre les lois anti-obscénités et les opinions conservatives à l’époque. Quand on a commencé à montrer du sexe de manière crue, c’était dans le cadre de la libération sexuelle, qui a joué un rôle clef, mais aussi avec un grand travail sur la narration, la qualité de la production et le plaisir féminin. C’était artistique et fun ! Quand les vidéos ont remplacé les films dans les années 1980 comme le canal de diffusion principal de la pornographie, la qualité de la production et les standards ont vite décliné. N’importe qui avec un caméscope et une chambre dans un motel pouvait tourner un porno ! Pour un film adulte qui sort du carcan cheap et/ou amateur, il faut payer le prix, je vous le promets, vous n’allez pas le regretter.

Lust Films XConfessions © Chio Lunaire at lunaire.es

Lust Films XConfessions © Chio Lunaire at lunaire.es

Vous avez des idées de ce que pourraient être vos futurs projets ?

Beaucoup de choses excitantes me sont arrivées au cours des dernières années, et cela n’aurait pas été possible sans ma merveilleuse équipe. Je prends beaucoup de plaisir avec XConfessions et j’espère pouvoir continuer ce projet aussi longtemps que possible ! Cependant, je réfléchis à de nouveaux challenges en tant que réalisatrice. L’un d’entre-eux pourrait être de réaliser un long-métrage. Mon travail me donne tellement d’inspiration et j’aimerai juste emmener tout cela vers quelque chose de nouveau. Gardez donc les yeux ouverts, vous n’avez encore rien vu de moi pour le moment…

Erika Lust sur le tournage d'un court-métrage. Lust Films XConfessions © Chio Lunaire at lunaire.es

Erika Lust sur le tournage d’un court-métrage. Lust Films XConfessions © Chio Lunaire at lunaire.es

Pourquoi le porno est-il tabou ?

Il l’est vraiment, non ? Ce n’est pas vraiment surprenant si on regarde toutes les choses négatives avec lesquelles il a été associé. Et non sans raison, regardez l’industrie traditionnelle ! Comme je l’ai dit plus tôt, la pornographie est devenue le lieu caché de la diffusion des désirs de domination des hommes sur les femmes. Le genre représente la société sexiste dans laquelle nous avons vécu pendant très longtemps à un niveau différent, et les gens ne veulent pas se confronter à cette réalité, ils préfèrent garder ça comme un petit secret. C’est en partie la raison pour laquelle je préfère parler de mon travail comme de l’indie-érotique, car je n’aime pas être associée à cette vision du film pour adulte. Mais c’est aussi pour cela que nous devons changer le porno ! Les films pour adultes ne sont pas le problème, ils font partie d’une industrie ou le problème existe tout autant qu’ailleurs dans notre société. Les médias jouent un rôle extrêmement important pour casser les tabous et mettre le sujet dehors pour en discuter. Plus on en parlera, plus on pourra comprendre quel est le vrai problème et ce qu’on peut faire pour le régler. Parlons de sexe, baby !

Un récent article publié dans le journal Libération explique que la pornographie féministe n’existe pas car ce genre doit être transgressif et sexiste, qu’en pensez-vous ? Que pourriez-vous répondre à cela ?

J’ai répondu à quelques questions lors d’une interview avec la journaliste Agnès Giard qui a écrit cet article, et comme je l’ai dit auparavant, je suis d’accord avec le fait que le sexisme n’est pas présent seulement dans l’industrie de la pornographie mais aussi dans l’ensemble de la société. Je respecte également le fait que mes films ne soient pas du goût de tout le monde ! Certains hommes préfèrent mes films, certaines femmes préfèrent d’autres films. Nous sommes toutes et tous différents, chacun d’entre nous est séduit par différentes choses. Les réactions que j’obtiens après mes films montrent cependant que le porno féministe fait plaisir aux gens qui ont attendu des années pour cette nouvelle approche ! J’ai mes obsessions, mon esthétique personnelle et mes standards quand je réalise mes films, mais j’aime aussi dépeindre des choses opposées, comme un couple faisant l’amour dans la cuisine avant que les invités n’arrivent pour un moment de BDSM (Bondage et Discipline, Domination et Soumission, Sadomasochisme, NDLR). Pour moi il est important de montrer que les femmes peuvent se faire plaisir tout autant que les hommes. Dire que le porno doit être sexiste et humiliant pour exciter rend l’acte sexuel malveillant, une chose dont il faut avoir honte et qu’on veut cacher, soit un conflit inconfortable entre valeurs et sexualité. À mon sens, le sexe, ce n’est pas ça ! Il est temps que le plaisir sorte de sa cachette ! Soyez fier.ière et heureux.se de votre sexualité ! Soyez sexe-positif.ive !

Co-fondateur, directeur de la publication de Maze.fr. Président d'Animafac, le réseau national des associations étudiantes. Je n'occupe plus de rôle opérationnel au sein de la rédaction de Maze.fr depuis septembre 2018.

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