CINÉMA

Jimmy’s Hall – Coeur d’Antan

Jimmy ouvre les fenêtres, dérangeant la poussière d’un ancien dancing. Il laisse entrer la lumière pour réveiller un passé qu’il a fui par nécessité. La lumière est à l’image du personnage ; naturelle, sans artifices. Elle ne vient pas des hauteurs, elle égaye les regards et les danses. Une ombre plane sur l’éclat des reflets, une ombre qui se croit divine. Synonyme de délation, elle apporte coups de fouets et culpabilisation. Le personnage du dernier film de Ken Loach inspiré d’une histoire vraie, Jimmy, éclaire cette ombre à grands coups de rêves illuminés d’une naïveté enfantine.

Ce sont des imperfections de pellicule qui ouvrent le film, grises à la fois dans leur nature et dans ce qu’elles montrent. Ce sont des archives des années 30 qui introduisent Jimmy’s Hall. A échelle internationale, le krach boursier de Wall Street et la crise viennent appauvrir toujours plus de monde, jusqu’à la profonde campagne irlandaise, cœur de l’histoire, sortant tout juste de la guerre. Dans ces vallées brumeuses, un homme aux habits soignés revient là où il a poussé son premier cri. Après un exil de 10 ans, il veut remettre de la terre sous ses ongles et tremper ses chemises de sueur. Mais au détour d’un chemin, son passé le rattrape. Le dancing qu’il avait construit et son symbole de liberté ont demeuré dans les esprits. Cette force symbolique, Jimmy Gralton veut désormais qu’elle transpire des chorégraphies afro-américaines, qu’elle vienne réveiller les tympans de la jeunesse et ranimer le jazz qui sommeille sous les épidermes. Mais cette utopie rencontre un mur paroissial au béton haineux et effrayé, que les jeunes pousses idéalistes encouragent à fissurer de nouveau.

Droits Réservés

Au péril de sa vie et de ses amours, Jimmy est un leader. Personnage à l’identité décevante, sorte de héros inébranlable, peu de failles semblent le traverser.  Le peuple, il ne semble en faire réellement partie mais est prêt à tout pour le représenter pour le plus grand malheur de père Sheridan. Ce conservateur, considérant le pouvoir divin comme une arme au service de son propre despotisme refuse lui, la ré-ouverture du dancing. Alors, après avoir épié les danseurs à l’entrée du Jimmy’s Hall il proclame du haut de son autel les noms des traîtres à brûler vifs. Pour ces deux hommes tant opposés, leurs idées sont leur unique force de vie. Mais la peur que ressent Sheridan à l’idée de perdre son monopole le pousse à une violence sans merci. A l’aide d’insupportable moustachus, les riches propriétaires, un complot va se monter pour détrôner le bonheur juvénile des villageois.

jimmy's hall

Droits Réservés

A l’image du whisky irlandais, Jimmy’s Hall est authentique, un film qui ne profite pas des carrières ni des têtes d’affiches. Distillé de décors naturels et de quelques rubalises qui se perdent entre deux plans, de têtes inconnues, d’aucunes lumières artificielles, d’habits d’époques et d’une crédibilité à toute épreuve, il vous restera en bouche des saveurs fruitées légèrement boisées. Quelques singuliers deux roues gisent sur le parvis du dancing pendant que de belles rousses swinguent sur un parquet. Mais entre deux pas de danse, n’allez pas vous ridiculiser à faire les cinéphiles qui reconnaissent  les acteurs pendant la séance. Grâce à un jeu spontané, la frontière entre les acteurs et leurs personnage n’est jamais franchie. La dernière œuvre du cinéaste ressemble à plusieurs livres nous offrant des lectures multiples et prenantes.  Si les moins enjoués auront l’impression que Ken Loach recycle une vieille recette de film social où l’espoir a toujours plus de force, d’autres y verront certainement une simple chasse aux sorcières. Mais le gramophone émettra ses premières notes, vous envoûtera et vous persuadera que c’est une histoire d’amour double, celle de Jimmy pour son village et celle d’un jeune homme ébouriffé pour Oonagh, jeune irlandaise au visage pétillant. Le film nous brûle et nous fascine.

Aussi captivant et insaisissable que cette liberté, Jimmy’s Hall nous happe entre folie et utopie.

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