CINÉMA

Rencontre avec Paul Vecchiali – « Si je ne fais pas certains films, j’aurais peur d’en mourir » (1/2)

Pour aller rencontrer le cinéaste Paul Vecchiali, il a fallu traverser la France pour se rendre chez lui, à Plan-de-la-Tour. En haut des marches, le cinéaste nous attendait, répondant à quelques mails concernant la distribution en salle de ses prochains films, prévue à la fin du mois de mai. Ces deux jours passés chez lui ont permis de voir plus de cinq films du réalisateur non-diffusés sur les écrans.

L’inventivité permanente présente dans ses films se retrouve à l’oral, dans des échanges passionnés sur le cinéma. La maison a servi de décor pour plusieurs films dont le dernier en date, Le Cancre, sorti sur les écrans en 2016. La découverte de ses nouveaux films en sa compagnie est l’occasion de proposer des hypothèses d’interprétation en convoquant l’histoire du Cinéma et la filmographie de Paul Vecchiali. À 88 ans, il multiplie les expérimentations aussi bien littéraires que cinématographiques comme en atteste la vitalité de Trains de vie ou les voyages d’Angélique et les 7 déserteurs ou la guerre en vrac, dont la sortie est fixée au 30 mai. En parallèle, il termine l’écriture de son autobiographie et entame la réalisation de plusieurs projets filmiques.

L’entretien est organisé en deux parties : une première constituée d’un retour sur la filmographie imposante de Paul Vecchiali et une seconde sur les films qui sortent en salle le 30 mai ou plus tard, comme c’est le cas pour Faux accords.

Pour Les 7 déserteurs ou la guerre en vrac, aviez-vous le casting en tête lors de l’écriture ?

Oui. Lorsque les comédiens sont désignés, nous faisons une lecture à plat sans aucune intention de jeu. Il y a les mots et les mots peuvent gêner. À partir du moment où un mot gêne, il faut le retirer. Les dialogues c’est comme les costumes, ça va ou ça ne va pas. Ensuite, je leur demande d’apprendre par cœur.

L’acteur peut proposer des suggestions ?

Oui, complètement. Cela m’est arrivé une seule fois. C’était avec Hélène Surgère pour C’est la vie ! Elle n’arrivait pas à dire une phrase, je l’ai donc changée. Et au moment de faire la prise, elle a prononcé la mienne. Je lui ai demandé si elle avait changé d’avis et elle m’a répondu que non. On lui a montré la séquence et avec une grande mauvaise foi, elle nous a dit : « ça prouve que c’était mieux ! » (rires). Pour être plus exact, Astrid Adverbe est intervenue dans Trains de vie avec beaucoup d’astuces pour quitter un schéma qui était trop cadré. C’est le seul film où nous avons changé pas mal de détails. Mais il y a une chose que je n’aime pas lors de la lecture, c’est la psychologie. C’est ce qu’on fait au théâtre, par exemple. Lorsque j’ai travaillé pour la Comédie française, j’ai refusé en disant que les sentiments au théâtre, c’était dans les jambes. Je déteste la psychologie. Quand on parle avec quelqu’un, on répond dans l’instant. Concernant Les 7 déserteurs, nous n’avons quasiment pas fait de deuxième prise. Si on en refaisait une, c’était à cause de la technique.

Marianne Basler est une habituée de votre cinéma depuis Rosa la rose, fille publique.

Oui, c’est une très grande actrice. Elle a démarré avec moi. Je suis assez fier de ça. Dupontel, aussi. Pascal Cervo a commencé chez Laurent Achard. Ce réalisateur est immense. Il a un culot monstre. Je pleure devant ces films.

La bande-annonce des 7 déserteurs ou la guerre en vrac évoque le western. Vous n’en avez jamais réalisé. C’était l’occasion de rendre hommage à ce genre ?

J’ai écrit un western avec une amie mais ça ne s’est pas fait. Je ne veux pas porter le deuil, le métier est fait comme ça. Par contre, il y a certains films, si je ne les fais pas, j’aurais peur d’en mourir. Pour L’étrangleur ou En haut des marches, c’était faire le film ou mourir. Après, j’ai des regrets sur des films. Je vais paraître prétentieux mais je sais que je peux gérer des films à très gros budgets.

 

Dans le film, la guerre est totale dans le sens où elle détermine tous les rapports sociaux. Elle fabrique les personnages, même. 

Oui, mais pas uniquement la guerre. La politique, les médias fabriquent les individus. Tout ce qui est global le façonne. Cela détermine des axes de vie et j’ai la chance d’avoir échappé à ça. Tout ce que dit le personnage de Jean-Phillippe Puymartin dans le film, c’est moi. Lorsqu’il parle d’un Jean-Luc qui est un génie, j’avais Godard en tête. On a eu cette discussion avec Godard autour de la guerre.

Dans votre cinéma, les  personnages peuvent-ils s’extraire de leur environnement social ?

Quand un sentiment est plus fort que l’environnement, un personnage peut s’échapper de son environnement. S’il est lâche par rapport à son sentiment, le contexte politique et social va l’absorber. Il faut que le sentiment soit fort.

Les premiers personnages à mourir dans Les 7 déserteurs mettent en lumière la place du réalisateur et du spectateur dans ce jeu de cartes qu’est le cinéma. C’est ce que retranscrit le monologue final de Marianne Basler ?

C’est une des visions du film. Et, concernant le monologue final, c’est exactement cela. Son personnage prononce une phrase essentielle, elle dit : « Pourquoi vous vous intéressez à moi ? » Le regard caméra désigne la main du pouvoir. Il y a des lectures à étage dans ce film. Quand les gens sont en groupe, tout le monde se montre sous son meilleur jour, c’est le théâtre de la vie.

Si il y a quelque chose que je déteste dans le cinéma américain d’aujourd’hui, c’est qu’il n’y a qu’une seule image

D’ailleurs, le décor évoque une scène de théâtre. 

Oui, mais le plan-séquence du linge ne fonctionnerait pas au théâtre. J’ai fait mettre le travelling en parallèle au fil du linge et je n’ai donné aucune indication. Le cadreur et le machiniste improvisaient par rapport aux déplacements des comédiens. Je me plie à leurs indications. Si il y a quelque chose que je déteste dans le cinéma américain d’aujourd’hui, c’est qu’il n’y a qu’une seule image. Tout est sous-exposé et ocré, comme chez James Gray par exemple. L’unité, c’est du mensonge. Certains me reprochent de faire du théâtre filmé mais je ne comprends pas cette expression. À partir du moment où il y a une caméra et un micro, c’est du cinéma.

Il n’y a pas de musique dans ce film, hormis les séances chantées. On pense aux Oiseaux d’Alfred Hitchcock. Pourquoi ce choix ?

D’abord il y a beaucoup de dialogues, et la musique, c’est le dialogue et les bruits de guerre. Après cinq essais, j’étais enfin satisfait du mixage du son. Je voulais des musiciens et non des monteurs son.

Dans le cinéma américain de genre, la sortie du cadre équivaut généralement à la mort. Dans les 7 déserteurs, ça me semble être l’inverse. Le personnage de Jean-Philippe Puymartin tente de fuir le cadre à la fin. 

Il essaie de fuir le cadre car le cadre, c’est la mort. Certains s’échappent ou se donnent. Ugo Broussot se donne à la mort au moment où il jouit. La jouissance, on l’appelle la petite mort. Marianne, elle, affronte la mort.

Le spectateur est mis dans une position de voyeur. 

Ça me dérange quand j’entends le terme de spectateur. Chaque spectateur accepte de participer au rêve ou n’accepte pas. Je ne fais pas un film pour le spectateur idéal ou le public. Chacun réagit à sa manière.

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Jean-Philippe Puymartin et Ugo Broussot ©Dialectik

Vous avez tourné un deuxième film avec la même équipe, et ce au même moment. Comment vous-êtes vous organisés ?

Les 7 déserteurs se passent entièrement en extérieur. Si un jour il y a du vent, on tournait les scènes pour Trains de vie en intérieur. Le tournage des 7 déserteurs s’est étalé sur cinq jours et demi et pour Trains de vie, nous avions terminé de tourner en deux jours et demi.

Si on retrouve Marianne Basler trente ans après Rosa la rose, fille publique, on découvre aussi depuis plusieurs films la comédienne Astrid Adverbe. 

Astrid a vu coup sur coup Les Gens d’en-bas et En haut des marches. Elle m’a écrit une lettre où elle me disait qu’elle avait vraiment envie de travailler avec moi. Je lui ai répondu que je n’avais rien mais lorsqu’une actrice s’est désistée sur Retour à Mayerling, elle est venue, sans lire le scénario. Elle est sublime dans Trains de vie.

 Dans Trains de vie, la caméra l’isole au début et à la fin du film. 

Exactement. Entre ces deux plans, on peut imaginer ce qu’on veut. Il y a deux axes dans le film : celui de Paul Vecchiali et celui d’Astrid Adverbe. Je joue le beau-père et c’est moi qui chante à la fin. Il y a au moins deux points de vue dans le film.

Ceci dit, peu importe que le chemin parcouru ait eu lieu ou non, l’important réside dans la démarche. Un film se crée devant nous.

Oui. Il y a le premier degré avec les voyages successifs d’Angélique et l’idée que cette femme avec une sexualité débordante se demande ce que va engendrer son acte. J’aime bien la lecture première.

Les plans de coupe qui dessinent le décor à travers la vitre ont été tourné avec quoi ?

Avec un iPhone. Je les ai filmés, ainsi que les plans au Japon.

Que représente le Japon pour vous ?

À part le cinéma de Mizoguchi, rien (rires).

Lorsque l’on voit ces plans de coupe, on a l’impression d’une irréalité dans les décors, comme si les images se chevauchaient perpétuellement.

C’est tout à fait vrai. Les premiers plans sont flous car on passe trop vite. En termes de dramaturgie, ces images donnent l’impression que la vie est cachée derrière quelque chose.

Très curieusement, on n’imagine pas à quel point les femmes parlent de sexe

Les dialogues sont très triviaux. C’est l’évocation du rêve qui permet l’émergence d’un tel langage ?

Très curieusement, on n’imagine pas à quel point les femmes parlent de sexe. Plus que les hommes. D’une manière générale, elles sont plus crues que les hommes. Le terme de bite revient souvent. Dans le train, nous ne pouvons pas y échapper puisque nous sommes prisonniers de la parole des autres.

Pourquoi inclure une chanson de vous à la fin du film ?

C’est mon personnage qui la chante. La chanson finale peut être vue comme une morale mais aussi dans une autre perspective si l’on suit l’axe du beau-père.

 

Dans Faux accords, le personnage principal effectue les tâches quotidiennes avec difficulté et les plans semblent filmés à l’arraché. Il y a une rupture de ton lorsque Pascal Cervo arrive dans le film. Pourquoi ce choix ?

Ce qui déclenche cette rupture, c’est au moment où le personnage nettoie son ordinateur et trouve des messages privés. Dans le couple, il y a une liberté totale de vie donc il n’était pas au courant du tout. Il est saccagé par ce qu’il lit. Finalement, il se rend compte que c’est naturel. La trahison n’a pas eu lieu et l’absolution vient avec les cendres. Une fois qu’il a dominé sa solitude, il a envie de fantasmer ces textes et de les mettre en scène.

À ce titre, la séquence finale évoque le mélodrame. 

Un ami italien m’a demandé pourquoi je n’arrêtais pas le film avant cette séquence de fin où mon personnage pose les cendres sur son ventre. Il se projette dans la mort et cette séquence est essentielle. Je n’aime pas les scènes lisses.

Quels sont vos projets en cours ?

J’aimerai tellement reprendre La marquise est à Bicêtre et le faire avec Catherine Deneuve et Sophie Marceau. J’ai aussi envie de reprendre quelque chose que j’avais écrit pour Hélène Surgère et Sonia Saviange, juste après Femmes Femmes. C’est une voleuse qui est obligée de quitter Paris. Elle va répondre à une annonce d’une femme qui se prétend aveugle alors qu’elle ne l’est pas. Dans le train, elle est draguée par Nicolas Silberg et lui est un voyeur qui photographie des petites filles. C’est une vraie comédie. Il me reste en tête de faire un film sur la famille.

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