CINÉMA

 « Nos batailles » – À l’amour comme à la guerre

Pour la soirée d’ouverture de la reprise de la sélection “Un Certain Regard”, qui se déroulait jusqu’au 6 juin, La Cinémathèque proposait Nos batailles  de Guillaume Senez. Fendant la ligne de démarcation des genres, le deuxième long-mètrage du cinéaste belge est un véritable film d’auteur, nuancé et splendide, comme rarement le cinéma français en offre.

Dans son premier long-métrage, Keeper, sorti en 2015, Guillaume Senez racontait comment un adolescent au visage d’enfant devait conjuguer ses rêves et ses responsabilités entre son désir de devenir footballeur professionnel et sa décision d’assumer sa paternité soudaine. L’idée superbe du film était de faire de Maxime un gardien de but, métaphore à peine voilée de la difficulté du rôle de père, à la fois indispensable mais également incapable de maîtriser l’entiereté de la situation.

Trois ans plus tard, les interrogations de Guillaume Senez n’ont pas changées, ou si peu. Il troque ici l’adolescent précoce pour le père de famille engagé, les rêves sont abandonnés tandis que les responsabilités sont plus grandes. Plus question de garder une cage, mais plutôt un foyer qui se fissure, des valeurs qui s’effritent. Soit l’histoire d’Olivier, chef de service en entrepôt, courageux et combatif, qui se retrouve seul à devoir gérer activité professionnelle et vie de famille, suite au départ précipité et sans explications de sa femme, Laura. Sur tous les fronts, Olivier, syndicaliste engagé dans la vie de son entreprise  doit batailler pour protéger les acquis sociaux de ses collègues et élever ses deux enfants, qu’ils ne voyaient jusqu’alors qu’au coucher, chaque soir, après son travail. Le personnage, d’abord ulcéré par le départ de Laura, va devoir dissiper son incompréhension pour entamer le chemin vers une responsabilisation qu’il avait feint jusqu’ici.

Cette bataille contre le quotidien, il ne la mène pas seul. Il peut compter sur plusieurs personnages forts. C’est là qu’intervient une autre obsession du réalisateur : la famille. D’abord, ses enfants qui après avoir compris la situation, organisent une forme de résistance pour se partager les taches ménagères. Ensuite, ce sont sa mère et sa sœur, interprétées respectivement par Dominique Valadié (dont les apparitions au cinéma, disparates dans le temps mais toujours justes, font dire qu’elle est trop rare)  et Laeticia Dosch, qui vont l’aider, le rassurer, lui faire comprendre, parfois même par l’humour. Dans l’oeuvre naissante mais déjà profonde de Guillaume Senez, les femmes sont fortes et imprévisibles, à l’image de sa meilleure amie, elle aussi syndicaliste dans la même usine, interprétée par Laure Calamy. Elles ont vu arriver les situations, ont su s’adapter, à la différence d’Olivier, juché sur ses convictions.

Car toute l’intelligence du film se retrouve dans l’écriture du personnage principal, jamais réellement sympathique, certes admirable mais hermétique à la souffrance d’autrui. Il n’entend pas le chagrin des femmes de sa vie, trop occupé à rechercher celle qui l’a abandonné. Si par l’image le cinéaste prend le parti d’Olivier, en épousant tous ses gestes et en le faisant habiter la quasi intégralité des plans de son film, il n’oublie pas que l’engagement d’un homme ou d’une femme entraîne l’implication de ses proches. C’est avec une finesse totale que Romain Duris, acteur de l’intrication émotionnelle,  aborde ce rôle. Il est d’une justesse rare, ne cherche pas la performance et s’oublie sans cesse derrière son personnage.

You may also like

More in CINÉMA