CINÉMA

Green room – Jeremy Saulnier se met au vert

Jeremy Saulnier a augmenté ce mois-ci sa filmographie, pour le moins chromatique, de Green Room, trois ans après le très remarqué Blue Ruin, qui avait reçu à Cannes le prix de la critique internationale. Autant dire que l’on attendait du jeune cinéaste américain qu’il fasse à nouveau ses preuves dans le genre « thriller ultra-violent » dont on avait reconnu les mérites dans Blue Ruin. Dans son dernier film, Jeremy Saulnier conserve cette même veine, pulsion de violence, mettant en scène la séquestration d’un groupe de hard-rock, The Ain’t Rights, témoin gênant d’un meurtre dont d’autres dégénérés, violents, skinheads, veulent garder le secret.  Le déchaînement de violence qui s’ensuit occupe alors une bonne partie du film, entrecoupé de moments de suspens. Pourtant jamais Jeremy Saulnier ne parvient vraiment à faire violence à son spectateur, ni finalement à le violenter véritablement.

La promesse non tenue : rien ne vous tord les boyaux…

A l’instar de Blue Ruin, je dirais d’abord simplement que Green Room manque de tripes. On peut certes lui reconnaître une certain efficacité (dramatique surtout) ; le film pousse le spectateur à ressentir une certaine extériorité vis-à-vis des évènements qui s’y déroulent. Pourtant les scènes de violence auraient pu à elles seules susciter l’émotion du spectateur (pour certains il s’agit du dégoût, pour d’autres de la jouissance), mais ici la violence semble presque banalisée, pas surprenante du tout mais attendue, déjà intégrée dans le cerveau du spectateur. De ce fait résulte la sensation de ne pas « participer » (émotionnellement) au film, mais d’y « assister ». Et c’est bien là ce qui est dommage car le synopsis était pourtant prometteur et réunissait des ingrédients propres à déclencher une violence géniale : musique hard-rock, club skinheads, néo-nazis, héroïne, etc. Finalement ce cadre, potentiellement riche et esthétiquement exploitable, ne l’est que très peu ou alors très superficiellement. Le look du film est certes soigné ; on peut y apprécier de beaux cadrages et de beaux plans, par exemple lors de l’ouverture où l’on découvre le groupe, The Ain’t Rights, dans le champ de maïs. La gamme chromatique des verts y est très belle, et les cadrages assez originaux. Une fois le groupe arrivé dans le club skinhead, il semble que Saulnier néglige ou abandonne son projet esthétique au profit de l’action. Les images ne sont plus tellement surprenantes, pas laides mais presque classiques, et on ne les remarque plus pour elles-mêmes. Green Room ne me semble alors pas très bien porter son nom, le vert n’étant pas si présent que ça dans les décors, pourtant soignés, du club punk.

© Green room - Broad Green Pictures

© Green room – Broad Green Pictures

Un souci de modération,  impression de légèreté et de niaiserie ?

Finalement est-ce peut-être ce trop de soin pour l’allure et l’action qui finit par inhiber la violence, l’intensité même du film ? L’agressivité des uns et des autres est de ce point de vue trop figurative à mon goût, et donc n’atteint pas directement le spectateur, qui, encore une fois, peut s’attendre à être « violenté » comme évoqué plus haut. Mais Green Room est sans excès, sans fureur, sans fougue, et semble toujours dans la tempérance. Il n’y a rien de vraiment gore, de vraiment excitant pour le spectateur sadique que nous sommes tous un peu secrètement. D’aucuns diront que c’est le mélange entre crudité du film d’horreur et innocence du teen-movie qui donne au film son charme, ou (au pire) son équilibre. Pourtant, il m’est à moi impossible de me résoudre à cette idée, car trop souvent il m’a été donné de trouver un geste ou une réplique un peu ridicule, responsable d’un déplaisant décalage. Par exemple, au début du film, est demandé à chacun des membres du groupe quel groupe il souhaiterait emmener avec eux sur une île déserte. Tous répondent, sauf un, jusqu’à ce qu’à la fin il se décide et à son interlocuteur de lui dire : « Tu diras ça à quelqu’un qui en aura quelque chose à foutre. ». Le spectateur déçu aurait pu lui aussi dire cette phrase, tant la réplique conclut drôlement le film, sur une note d’ironie plus que niaise…

Ainsi, Green Room, à l’instar de Blue Ruin, est un film plutôt « bien fait », efficace en termes de dramaturgie, d’actions, mais pas suffisamment pour être vraiment convaincant. A la fin, on peut être déçu d’avoir cru un moment que le film s’acheminerait vers une déflagration violente – émotionnellement violente, quand on constate que celui-ci semble en rester toujours à une forme de modération. En effet, un plaisir modéré seulement comble le désir secrètement tortionnaire du spectateur, quelque peu contrarié de ne pas avoir été surpris.

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