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Cannes 2018 – « Plaire, aimer et courir vite » : la valse bleue des sentiments

Christophe Honoré est de retour sur la croisette avec Plaire, aimer et courir vite qui réunit les comédiens Pierre Deladonchamps, Vincent Lacoste et Denis Podalydès. Dans cette nouvelle oeuvre romanesque aux teintes bleutées, le cinéaste français retrouve la grâce naturelle de ses premiers films en peignant un amour impossible et bouleversant sur lequel planent les fantômes de Koltès et Truffaut.

Des nuances de bleu pigmentent Plaire, aimer et courir vite, des murs aux vêtements, de l’affiche de Querelle de Fassbinder (dessinée par Andy Warhol) au bac à glaçons. Couleur principale des tableaux d’une période de Picasso, cette teinte omniprésente offre au onzième long-métrage de Christophe Honoré la même mélancolie. C’est celle des années 1990 pour le réalisateur, qui parsème son film de souvenirs et de ses petites madeleines de Proust. Le dramaturge Bernard-Marie Koltès est mort en 1989, Jacques Demy en 1990, Hervé Guibert en 1991, tous atteints du sida. Le cinéaste convoque ces artistes disparus pour raconter une première et dernière histoire d’amour entre Arthur (Vincent Lacoste) un jeune étudiant rennais de vingt-deux ans, et de Jacques (Pierre Deladonchamps), un écrivain parisien touché par la maladie qui coure vers sa condamnation.

L’amour en fuite

Après une merveilleuse entrée dans les univers respectifs des deux personnages sur un fond de musique nineties, la rencontre des deux hommes se déroule dans le cinéma du Théâtre de Bretagne, à Rennes où est projetée La Leçon de piano de Jane Campion. Des regards échangés, une invitation à s’asseoir côte à côte dans le noir, un échange de répliques incisives digne d’un roman, « – Et vous êtes qui ? – J’aime les livres », des plans serrés sur ces deux visages, ces deux protagonistes très honoréens. Jacques invite Arthur à le retrouver en fin de soirée. Sous nos yeux, éclot un amour au premier regard dans une des plus belles scène de salles de cinéma. Le premier pour le jeune breton qui sort avec une fille mais voit des garçons la nuit dans un lieu de rencontre, dans une scène aux frontières de l’onirisme. Le dernier pour Jacques qui ne sait pas s’il doit se laisser aller ou fuir cette nouvelle aventure. L’un est jeune, spontané, et drôle, l’autre est mélancolique, méfiant et n’hésite pas à « salir la beauté ». Alors que chacun reprend le cours de sa vie, s’ensuit des cartes postales, des messages laissés sur des répondeurs, des conversations littéraires au téléphone. Jusqu’au jour où Arthur, tel un héros de roman d’apprentissage se décide à courir aimer celui qui lui plaît en le rejoignant à Paris. Courir pour vivre cette histoire avant qu’elle ne devienne impossible, cet amour en fuite pour citer une autre grande inspiration du cinéaste, François Truffaut, subtilement convoqué dans une scène.

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La justesse d’un duo

Le réalisateur des Chansons d’amour retrouve l’esthétique simple de ses premiers films, ces plans fixes et soignés qui laissent aux comédiens toute leur liberté dans le cadre et les thèmes radicaux dont il a l’habitude. Incontestablement bien dirigés, il faut saluer les interprétations des deux comédiens d’une justesse : Pierre Deladonchamps toujours excellent, ne joue pas comme à son habitude mais colle parfaitement à l’univers du réalisateur. Il rentre directement dans la course au prix d’interprétation masculine. Vincent Lacoste incarne la vitalité et la sensibilité de la jeunesse avec finesse et s’impose dans le cinéma français.

Les Chansons d’amour

Christophe Honoré capte avec grâce le fait d’être homosexuel dans les années 1990 que se soit l’amour, la paternité, la sexualité crue et tendre ou les scènes où le sida marque son empreinte sur les corps et les vies. Le cinéaste insuffle également à cette histoire romanesque et plutôt tragique un peu d’humour, de légèreté dans les répliques où les situations à l’instar de cette danse à trois entre les deux héros, et le vieil ami journaliste de Jacques incarné par Denis Podalydès. La verve et la littérature des dialogues est jouissive pour les oreilles, l’écrivain Honoré prouve une fois de plus la qualité de l’écriture de ses films. Dans Plaire, aimer et courir vite, les personnages ne chantent pas mais le récit est ponctué de chansons dans leur entièreté qui divisent l’histoire et répondent aux actions des personnages. On y écoute aussi bien le rock expérimental des années 1990 de Massive Attack  que la ballade délicate d’Anne Sylvestre Les Gens qui doutent d’Anne Sylvestre ou même, un air d’Haendel Ariodante scherza infida. Embrassant tous les arts, à l’image de son réalisateur, cette oeuvre est de loin l’une des plus bouleversantes de Christophe Honoré.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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