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Cannes 2017 – Les Fantômes d’Ismaël : un tourbillon d’émotions

« Je suis enfin assez vieux pour faire l’ouverture », a affirmé le réalisateur Arnaud Desplechin en conférence de presse mercredi 17 avril. Avec Les Fantômes d’Ismaël, il livre un film complexe, très loin du fameux trio amoureux. Par ce film à la fois gênant et bouleversant, le réalisateur confirme ici sa place dans le cinéma français et c’est sans compter sur ses excellents comédiens.

En ouverture du 70e Festival de Cannes avec Les Fantômes d’Ismaël, Arnaud Desplechin est toujours aussi déstabilisant. Ce dernier film semble tout entier personnifié par le personnage de Carlotta, interprété par Marion Cotillard. Disparue depuis vingt ans et considérée comme morte par son mari Ismaël (Mathieu Almaric), elle réapparaît un beau jour sur une plage bretonne, alors que ce dernier a refait sa vie avec Sylvia (Charlotte Gainsbourg). Elle raconte qu’un jour elle n’arrivait plus à respirer, elle s’est dirigée vers la gare et est montée dans un train, peu importait la destination. C’est justement cette impression que nous donne Les Fantômes d’Ismaël. À bord de ce TGV où Arnaud Desplechin est aux commandes, nous voyageons dans son cinéma sans savoir où il va nous mener. D’un plan à l’autre, à des histoires qui s’emboîtent toujours, à des personnages imprévisibles qui passent de l’apaisement au déchaînement ; le réalisateur réussit à toujours surprendre, avec beaucoup d’humour.

Des fantômes plus vivants que les vivants

Sous leurs airs de fantômes qui hantent Ismaël, Carlotta et le jeune frère du personnage principal sont en réalité plus vivants que le couple Sylvia/Ismaël. La première qui réapparaît après ces vingt années d’errance à travers le monde vit dans un présent constant et impose sa vitalité aux visages de la sérieuse Sylvia et du mélancolique Ismaël. Une fureur de vivre symbolisée par une scène où Marion Cotillard danse en se lâchant totalement, comme un défi à Charlotte Gainsbourg.  Le deuxième est joué par un Louis Garrel presque méconnaissable. Il incarne le comédien jouant le frère d’Ismaël dans le film que ce dernier réalise. Ce sont des poncifs habituels du réalisateur Arnaud Desplechin, qui fait toujours ressortir sa vie à lui dans son cinéma et qui est friand des films où les histoires s’imbriquent les unes dans les autres. Une habitude cinématographique certes, mais dont on ne se lasse jamais. Et contrairement à son dernier film, Trois amours de ma jeunesse qui était empreint de nostalgie, ce dernier est une tornade vivante d’émotions bien ancrées dans le présent. Comme l’a fait remarquer Louis Garrel en conférence de presse, ce qui est intéressant dans le cinéma de Desplechin, c’est qu’il met un peu de lui dans chaque personnage et que le film peut donc se lire à travers chaque point de vue.

Un casting évident

Les deux femmes se ressemblent finalement beaucoup. Carlotta le fait d’ailleurs remarquer à Sylvia au cours d’une de leurs conversations. D’abord physiquement, deux brunes, minces, les cheveux coupés au carré mais aussi par la douceur qu’elles apportent à l’écran dans leur manière d’être et dans leur voix. Cependant, elles sont aussi très opposées comme deux faces d’une même personne qui formeraient une entité féminine. Alors que Carlotta est impulsive, Sylvia est plus sage et rangée. L’une part et fait preuve d’une certaine lâcheté tandis que l’autre reste et se bat pour l’homme qu’elle aime. La femme du passé et celle du présent qui sont liées par ce même amour semblent représenter à elles seules toute la complexité des femmes.

Dans le cinéma, Marion Cotillard et Charlotte Gainsbourg ont le même problème : les spectat·eur·rice·s leur vouent un amour-haine. Toutes deux sont de grandes actrices mais sont parfois très mal dirigées. Elles se retrouvent dans des rôles qui ne leur correspondent pas du tout et qui les rendent souvent fades à l’écran. Arnaud Desplechin réussit là où beaucoup ont échoué : filmer leur sensualité au naturel, les sublimant par des gros plans sur leurs visages qui ne camouflent aucun défaut. Les réunir dans ce trio amoureux autour du toujours fascinant Mathieu Almaric était un beau pari. Ce dernier est la muse du réalisateur depuis Comment j’ai disputé ma vie sexuelle qui incarne selon les films Paul ou Ismaël Dédalus, originaires de Roubaix. Et on imagine très mal ce film sans sa déroutante manière de jouer et le regard qu’Arnaud Desplechin porte sur lui. Parfaitement dirigés les act·eur·rice·s s’adaptent avec brio à l’écriture très littéraire et poétique du réalisateur pour nous donner à voir et à entendre du théâtre et du cinéma, accompagnés d’une technique maîtrisée d’un bout à l’autre, assez magique.

Aussi troublant que fascinant donc, Les Fantômes d’Ismaël prouve une fois de plus le talent du réalisateur et confirme le fait que ses films sont inclassables dans le paysage cinématographique. Ce qui en fait un réalisateur qui peut plaire comme déplaire et dont il est préférable de voir tous les films pour bien saisir chacun dans son intégralité. Il existe d’ailleurs deux versions du film, une « version originale » plus mentale pour ce·lles·ux qui connaissent bien son cinéma et une version « française » plus sentimentale. Sa présence en ouverture du festival n’est que plus rassurante pour le cinéma français trop souvent décrié à tort, ces dernières années.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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