CINÉMA

Le Livre de la Jungle – Aux frontières du réel

Le Livre de la Jungle se situe dans le prolongement de la nouvelle politique de Disney depuis moins de dix ans : la réadaptation en live de ses classiques animés. Tiraillée entre plusieurs impératifs commerciaux, souvent antagonistes, cette version 2016 est un produit fragile, souvent schizophrène mais étrangement attachant.

Le Livre de l’image photoréaliste

Les premières minutes du Livre de la jungle sont un électrochoc. Chaque image est l’objet d’une sidération face au réalisme de l’animation des dizaines d’espèces animales qui pullulent à l’écran. La frontière entre réel et imaginaire a rarement été aussi ténue. Le film réitère donc l’exploit du tigre photoréaliste de L’Odyssée de Pi et le multiplie pour chaque créature. Cette réussite visuelle tient tout autant à leur animation (notamment le rendu de la fourrure et des muscles) qu’à leur intégration dans le reste du cadre. Cela est rendu possible par l’expérience de Jon Favreau dans les effets spéciaux avec ses deux Iron Man, mais également par la technique de la prévisualisation. En effet à part l’acteur jouant Mowgli et quelques accessoires, le reste de l’image est entièrement numérique. Ainsi, lors du tournage, le réalisateur voit sur son moniteur les personnages et les décors grossièrement produits, autour de l’acteur. La cohabitation entre le réel et le numérique étant donc prévue dès le tournage, elle en est d’autant plus aboutie.

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Une image entièrement numérique, excepté Mowgli – Copyright The Walt Disney Company France

Malaise schizophrénique 

Mais cette avancée certaine dans l’univers des effets numériques est également une source de fragilité. L’approche du film est naturaliste, à la fois à travers le photoréalisme des animaux et une mise en scène parfois proche du documentaire, avec des zooms et une longue focale. Dans ce réalisme exacerbé il est donc troublant de voir débarquer au milieu d’un plan le design d’une créature cartoonesque, ou même plus généralement de les voir parler. Sans doute aurait-il fallu que le film tranche plus radicalement entre le cartoon et le naturalisme.

Le passage du dessin animé au photoréalisme est également une source d’ambiguïté. Prenons comme exemple la scène du serpent. En 1967, lorsque Kaa s’enroule autour de Mowgli, nous savons, grâce au dessin, que tout est fictif. Mais en 2016 l’authenticité des effets spéciaux provoque un vrai malaise lorsque ses anneaux serrent le jeune acteur. Tout à coup notre rapport à l’image est déboussolé et nous ne savons plus quel point de vue adopter.

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Copyright The Walt Disney Company France

Tiraillé entre la volonté de reprendre l’esprit du dessin animé et de proposer quelque chose de nouveau, entre l’approche tout public et celle plus dark à la mode aujourd’hui, le film apparaît comme schizophrène. Mais à force de vouloir tout faire en même temps, inconsciemment, il finit par ne rentrer dans aucune case préfabriquée. Et c’est sans doute en déstabilisant sans cesse son spectateur qu’il devient attachant.

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Copyright The Walt Disney Company France

Malgré un scénario construit maladroitement autour de deux axes en parallèles (Mowgli d’un côté et Sher Khan de l’autre) ce Livre de la Jungle n’en reste pas moins singulier. Même la mise en scène de Jon Favreau (jadis un peu trop convenue) parvient à nous étonner avec quelques éclats ici et là. En résulte une aventure honnête qui arrive à nous refaire croire qu’au sein de Disney réside encore des personnes motivées par le goût du travail bien fait.

 

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