CINÉMA

Cannes 2015 : la tête haute, quand l’espoir de demain éteint l’incendie d’hier

L’histoire sombre et lumineuse de Malory, jeune délinquant qu’une juge pour enfant tente de sauver tant bien que mal.

C’est le genre de film qui ne plairait pas à Eric Zemmour. Mais vraiment pas. La première scène s’ouvre dans le bureau d’une juge pour enfant, campée par Catherine Deneuve. Une mère, aux dents qui feraient fuir n’importe quel dentiste, est totalement dépassée par les évènements. Un bébé dans les bras, tandis que le petit Malory joue calmement par terre, elle explique, dans un énième cri de désespoir, qu’elle ne veut plus de son enfant. Elle fuit le bureau comme elle fuit ses responsabilités et laisse Malory, au regard désemparant, dans les bras de la république.

Dix ans plus tard, après avoir écumé les collèges de Dunkerque et les foyers sociaux, le jeune a sombré dans la délinquance. S’ouvre alors un catalogue de solutions pour tenter de le remettre sur le droit chemin. Mais ces solutions ne sont pas adaptées, elles n’épousent pas la personnalité du délinquant mais le mettent dans un moule qui le renferme un peu plus sur lui.

Si Zemmour n’aimerait pas le film, c’est parce qu’il donne de l’humanité aux petits caïds. En suivant la vie de Malory sans se perdre dans des méandres de personnages secondaires, on comprend son histoire, ses problèmes, ses pulsions et ses excès de violence. Sans jamais dire qu’il faut excuser le moindre fait et geste illégal au nom d’une histoire familiale difficile, le film nous invite au regard vers l’autre et à la compréhension d’autrui. Plutôt que le rejet, il faut l’accepter. Alors oui Malory est insupportable, odieux avec ceux qui tentent de l’aider. Les centres, les foyers ou les prisons qui font semblant de ne pas en être ne l’aideront pas. Ses compagnons de cellule non plus. Et sa famille encore moins. Les éducateurs spécialisés, qui ne le comprennent pas et le redoutent n’y arriveront pas plus. Toutes les solutions que la juge peut mettre en place ne serviront à rien tant que Malory n’apprendra pas à aimer, être aimé et s’aimer. De cet abandon, insupportable à accepter, dans un bureau froid d’une juge s’est construit un jeune homme renfermé qui n’accepte aucun sentiment à part celui de la violence. Mais c’est la rencontre avec l’amour qui peut le changer.

Alors oui, cela semble bien-pensant. On se dit que c’est mignon parce que l’amour est salvateur. Et c’est bien vrai qu’on échappe à quelques clichés dans LA tête haute. Mais c’est de montrer l’envers du décor qui est intéressant. C’est approcher Malory de près qui est passionnant. C’est cette tension perpétuelle qu’il a lui qui est passionnante et frissonnante. C’est son regard, que l’on croise rarement, qui est alarmant.

Emmanuelle Bercot a le mérite de livrer un film social juste. Elle pousse ses acteurs dans leurs limites. Catherine Deneuve est formidable en juge et bien plus rayonnante que face à ses homards dans Elle s’en va, de Bercot. Sara Forestier livre une nouvelle fois une prestation incroyable. Le moindre de ses rôles semble être un moyen de nous montrer son talent sans limite. Magimel est aussi très juste mais c’est surtout Rod Paradot, casté sauvagement lorsqu’il fumait une clope, qui est une incroyable révélation. Rien que pour lui et son incarnation du personnage, le film mérite d’être vu. Et pour cette dernière scène, un peu trop clichée et qui se transforme malheureusement en hommage à la république, pour son regard, son visage qui n’a pas fini de nous habiter. Et d’habiter, espérons-le, le cinéma français.

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