CINÉMA

« Compañeros » – Un long cauchemar de douze ans

Le troisième long métrage de Alvaro Brechner est un voyage intimiste et psychologique auprès de trois hommes incarcérés secrètement par la dictature uruguayenne dans les années 1970/1980.

Une vaste entreprise de déshumanisation. Trois hommes pris en otages par la dictature militaire en Uruguay en 1973 : José Mujica, Mauricio Rosencof et Eleuterio Fernández Huidobro. Interprétés par trois acteurs époustouflants, Antonio de la Torre, Chino Darín et Alfonso Tort, ces opposants politiques vont être constamment transférés de cellules en cachots pendant douze ans, une longue nuit de douze années comme le résumait si bien le titre original du film, La Noche de 12 años.

Compañeros est un film de survie, une lutte asphyxiante pour rester un être humain, résister seul dans le noir pour ne pas sombrer dans la démence. Le cinéaste uruguayen filme une partie de l’histoire de son pays au plus près de ces trois hommes. De leur point de vue, l’enfermement devient un périple existentiel tandis que la dictature au pouvoir tente de les déposséder d’eux mêmes.

« Que reste-t-il d’un homme lorsqu’on lui enlève tout ?  »

Alvaro Brechner s’emploie à répondre pendant deux heures à une seule question : “Que reste-t-il d’un homme lorsqu’on lui enlève tout ? “, quand seul ses cinq sens le maintiennent en vie. Car ce n’est pas la politique qui anime le réalisateur mais bien l’homme et sa capacité à surmonter des épreuves physiques et mentales effroyables. Ces épreuves, il les impose au spectateur. La réponse à la précédente question pourrait être l’imagination permettant de s’accrocher aux souvenirs, de se définir en tant qu’individu puisque l’on a existé en tant que tel avant l’incarcération, on a aimé, on s’est battu pour des idées.

Malgré quelques maladresses  : des flashbacks inévitables, une musique parfois trop présente et une mise en scène un peu convenue Compañeros ne s’engouffre jamais dans le pathos et offre des scènes intimistes sublimes. De puissants instants de cinéma comme des étoiles d’espoir qui brillent dans cette longue nuit oppressante. Les trois acteurs, quant à eux, resplendissent par leur interprétations physiques et silencieuses.

Notons pour l’anecdote qu’après la libération de ses hommes et le retour à la démocratie au milieu des années 80, José Mujica a été démocratiquement élu président de la République de l’Uruguay en 2010, à l’âge de 75 ans, Mauricio Rosencof est romancier, poète, journaliste et fut directeur de la culture de la mairie de Montevideo et Eleuterio Fernández Huidobro a été sénateur et Ministre de la défense de l’Uruguay en 2011.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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