CINÉMAMUSIQUE

The Blaze – Au-delà des codes

En deux morceaux et deux vidéos, le duo français s’attaque sans en avoir l’air aux codes archaïques du clip tout en assumant des partis pris esthétiques et musicaux forts.

Depuis son apparition dans les années 80 et l’avènement de MTV, le clip tel qu’on le connaît actuellement a été source de railleries : passé le choc du Thriller de Michael Jackson réalisé par le génial John Landis, le clip est rapidement devenu (et souvent à raison) un format renégat, tout juste bon à promouvoir des tubes industriels produits à la chaîne. L’adjectif « clipesque » est même rapidement devenu péjoratif dans le domaine du cinéma, désignant des effets de mise en scène putassiers et grossiers  (à ce titre, Danny Boyle est sûrement le cinéaste à avoir le plus été affublé, souvent à tort, de cet adjectif). Pourtant, si la plupart des clips sont en effet médiocres et se contentent généralement d’une mise en scène grossière et d’un play-back maladroit, ces dernières années ont vu une résurgence de clips créatifs, intelligents et formellement audacieux, rappelant les grandes heures des clips d’Enjoy the Silence ou de Hurt. A ce titre, on retiendra tout particulièrement la poésie macabre de Coronus the Terminator, le Groundhog day sous acide de Down on my luck, ou dans un tout autre registre le noir et blanc torturé et brutal de Comme Gucci Mane. Néanmoins, ces clips restent cantonnés à une fonction d’accompagnement, de support visuel censé favoriser la diffusion d’un single.

 

Et c’est là qu’arrive, un peu de nulle part, The Blaze. Sans qu’on sache grand chose sur eux jusqu’à une interview donnée dans les Inrocks le mois dernier, les deux cousins français font une entrée tonitruante dans le petit monde de la musique électronique française avec deux singles accompagnés de deux vidéos : Virile et Territory. Il est difficile de véritablement qualifier les deux vidéos sorties de clips, tant le travail de The Blaze apparaît comme une hybridation fascinante et assez inédite entre vidéo et son. D’un côté, les deux singles séduisent immédiatement musicalement : percussions 808, synthés planants, voix grave et chaude électronique, paroles entêtantes… De l’autre, les clips témoignent d’un talent de mise en scène évidente : corps en effervescence, plans longs et travellings virtuoses, performances d’acteurs puissantes (notamment dans Territory)… Mais malgré ces qualités propres, ce qui fait véritablement la force de The Blaze est dans l’alliance de ces deux formes d’expression. Ici, la musique ne fait pas office de simple bande-son et le clip de simple support vidéo, non, Virile et Territory sont de véritables œuvres transmédias, où la musique et la vidéo s’unissent pour constituer un assemblage complexe aussi intelligent que sensible.

 

Ainsi, quand le protagoniste de Territory se bat contre un adversaire invisible dans les rues d’Alger en synchronisation avec les élans du synthétiseur, il ne s’agit pas simplement d’un effet grossier, mais bien d’une évidence. La musique devient le vecteur de l’inexprimable, et permet d’exprimer la puissance de ce retour au pays de manière bien plus immédiate que n’importe quel court-métrage. De la même manière, la danse-bagarre des deux personnages de Virile explore une relation aussi touchante qu’ambigue entre amitié et amour, que les paroles du morceau viennent renforcer, notamment grâce à un dernier couplet faisant office de formidable twist. Il y’a quelque chose de profondément physique dans la démarche de The Blaze, tant leur travail est un investissement et une sublimation de corps et de lieux délaissés par la musique électronique et le cinéma français : barre d’immeuble de banlieue, jeunesse maghrébine… Il y’a dans cette représentation sensible et sensorielle de ces territoires et de ces corps une volonté de renverser les codes établis et attendus, un peu à la manière dont DJ Mehdi faisait la fusion entre la french touch et le hip-hop, sans pour autant avoir de véritable discours politique : non, la démarche de The Blaze semble plutôt obéir à la vision du monde du personnage d’Anna Karina dans Vivre sa vie : « Après tout, tout est beau, il n’y a qu’à s’intéresser aux choses et les trouver belles ». Et tant pis si cette démarche unique et audacieuse n’est peut-être pas forcément compatible avec une logique commerciale à long terme (on imagine difficilement un album entier adapté à cette forme, surtout au vu des 13 mois qui séparent la sortie des deux clips), mais s’il ne devait rester que ces deux clips et leur EP sorti début avril, The Blaze resterait sans doute un des groupes les plus intéressants et novateurs de ces dernières années.

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