CINÉMA

Retour sur Phase IV

Comme de temps en temps dans Maze, revenons sur un film un peu oublié ; dépoussiérons-le et voyons ce qu’on y trouve. Ce mois ci, on s’attaque à  l’unique film réalisé par le célèbre graphiste Saul Bass, Phase IV (1974). Il s’agit d’un film de science fiction dans lequel des fourmis s’unissent et deviennent plus fortes et plus agressives qu’auparavant. Un film expérimental, scientifique et philosophique dans lequel il est bon de se plonger !

Avant toute chose, revenons sur l’illustre identité du réalisateur. Saul Bass est avant tout un graphiste pour le cinéma, notamment pour les génériques et certaines affiches de films. L’exemple sans doute le plus notable est son travail avec Alfred Hitchcock dans Vertigo. Celui-ci a, en effet, designé l’affiche ainsi que le générique ; le tout résumant parfaitement sa pâte, son style, ses traits. Aujourd’hui encore, alors que celui-ci est mort en 1996, son travail inspire et de nombreuses personnes s’amusent à reprendre son style pour re-designer des affiches de films.

Entrons à présent dans le film lui-même. Des fourmis, dans un état américain, changent subitement de comportement et se mettent à attaquer les humains devenant rapidement une puissance inquiétante et une réelle menace capable de s’adapter aux contres-attaques humaines. Dès le début, le film innove car vous n’êtes pas sans savoir que lorsqu’un film oppose un homme, ou l’humanité, face à un animal ou à une entité monstrueuse, le cinéma a une tendance à agrandir les créatures afin de les rendre plus puissantes et dangereuses. Il nous suffit de citer quelques titres comme King Kong, Les dents de la mer, ou encore Godzilla pour s’en rendre bien compte. Ici, il en est tout autre, et c’est très étonnant car il s’agit de fourmis et de véritables fourmis en plus. Saul Bass n’a pas choisi et n’a pas eu besoin de faire muter les fourmis en de gigantesques insectes terrifiants puisque, pour lui, la créature ce sont  les colonies toutes entières. Un des deux personnages principaux, le docteur Ernest D. Hubbs résume l’idée en quelques phrases : “Ce ne sont pas des individus. Ce sont des cellules individuelles ; les petites et efficaces parties d’un tout. [C’est] une harmonie parfaite avec un parfait altruisme et dont de soi, ainsi qu’une parfaite division du travail organisée pour les rôles préétablis.” Ainsi la créature est partout, elle créée un réseau. Deux scientifiques enfermés dans un laboratoire tentent donc d’étudier l’étrange comportement des fourmis. Cette étude se découpe, tout comme le film, en quatre phases.

Affiche PHASE IV

– droits réservés

Bien qu’un peu effrayant ou repoussant aux premiers abords, notamment lorsque l’on voit l’affiche, le film offre un très bon spectacle de science-fiction à la fois marginal mais aussi bizarrement ancré dans l’esthétique de son époque. Le film s’ouvre sur des images spatiales dans lesquelles on découvre une éclipse. Des images qui nous rappellent d’ailleurs aisément 2001 l’odyssée de l’espace, sorti quelques années plus tôt. Ces premiers plans, qui nous feront explorer le cosmos qu’une seule fois dans le film, sont accompagnés d’une voix off qui présente le contexte du film : les fourmis pètent les plombs ! Après quoi, une longue série de plans filmés à l’intérieur même d’une fourmilière illustre l’éveil et l’organisation des fourmis. Ces premiers plans, eux, seront récurrents dans le film. Et, par là, le cinéaste signe un très beau pari : celui de véritablement ”faire jouer” des fourmis !

Dès le début, on découvre également l’univers sonore du film. De la musique jouée au synthétiseur nous plonge dans une ambiance désormais tout à fait désuète mais en parfaite cohésion avec l’esthétique du film. Le son est expérimental au même titre que l’image parfois. En effet, Saul Bass a recours à de nombreux effets visuels visant parfois l’esthétisme et parfois la narration. On peut par exemple citer des plans subjectifs de fourmis qui reviennent souvent dans le film. Pour ça, l’image semble être vu à travers un kaléidoscope. Pour en revenir au son et plus particulièrement au son diégétique , la majeure partie du film se déroule dans un laboratoire dans lequel se trouve de nombreux appareils et ordinateurs tous plus fournis les uns que les autres en boutons. L’univers sonore du laboratoire est très oppressant car en plus d’être tout à fait hermétique, les divers appareils ne cessent de biper et de vrombir. C’est un véritable délice.

L’histoire du film, bien que très simple, est fascinante. Pourtant, un doute s’installe petit à petit dans la tête du spectateur : les fourmis cherchent-t-elle vraiment à attaquer les humains ? En réalité, sans révéler la fin du film, il s’agit peut-être plutôt d’une prise de conscience de la part des fourmis ; elles expérimentent même peut-être sur les humains. Tout comme le font les deux scientifiques enfermés dans leur laboratoire au beau milieu du désert. Avec cette idée, deux mondes se regardent sans se comprendre et chacun s’étudie pensant que l’autre tente de l’attaquer.

La phase IV clôture le film de façon surprenante !

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